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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
En refermant cette BD je me suis souvenue de ce reproche, à peine voilé, de Constantin Brancusi, à ses contemporains :

« Vous ne pouvez, hélas, pas encore vous rendre compte [de la valeur] de ce que je vous laisse » (Nici nu vă puteți încă da seama de ceea ce vă las eu).

Dans ce plaidoyer pour la liberté d'expression artistique, Arnaud Nebbache se montre très habile à condenser la vie de Brancusi, les préoccupations de son époque et le procès historique. Il s'est très bien documenté et a opté pour un graphisme à mon sens très original, en tout cas très personnel.

Comme il le déclare au journal L'Express, il utilise « une technique numérique pouvant s'apparenter au pochoir et à la sérigraphie par les quatre aplats de couleurs choisis pour guider chaque séquence du récit ».

Le dessinateur précise encore : « Pour rendre le procès moins froid, j'ai pris la liberté de le faire vivre à travers les yeux et la main de Marcel Duchamp ; on sait qu'il joua un rôle essentiel de médiateur mais rien n'indique qu'il a assisté à l'intégralité des débats ou en a réalisé des croquis ».

J'ai beaucoup apprécié le début de la BD, l'entrée en matière, avec ses renvois au passé de Brancusi : page 11, une belle référence, dans la bouche d'Edward Steinchen (« Dis surtout qu'il te fait de l'ombre ! ») à la célèbre phrase prononcée par Brancusi au sujet de son ancien maître Auguste Rodin : « Il ne pousse rien sous les grands arbres » et pages 23-25, la présence d'une autre artiste d'origine roumaine, Lizica Codréano.

Un véritable coup de coeur pour cette BD, que j'ai un peu boudée au début, à cause de son graphisme, incompréhensible lorsqu'on juge sur un simple échantillon de quelques cases.

Comme la plupart d'entre vous le savent, je suis aussi d'origine roumaine et j'aime établir des liens culturels. Cette fois-ci je vais simplement citer Serge Fauchereau, qui écrit dans son livre Sur les pas de Brancusi (p. 57) :

« Toute sa vie Brancusi a sculpté des oiseaux et tous dérivent plastiquement de ce premier oiseau Măistra (1911) par l'intermédiaire des « Oiseaux en vol » jusqu'au « Grand Coq » auquel il travaillait encore à la veille de sa mort. […] La Măiastra à laquelle renvoie Brancusi est un oiseau particulier des contes et légendes de Roumanie […]. « La Măiastra ou l'oiseau-fée » version autrefois recueillie par Petre Ispirescu est peut-être la plus connue : un empereur a fait édifier un magnifique monastère mais malheureusement aucun architecte ne peut empêcher la tour de l'église de s'écouler. Un rêve lui révèle que seul un oiseau-fée y parviendrait. Ses trois fils partent tour à tour en quête de l'oiseau magique. Les deux aînés finissent par amener l'oiseau ainsi qu'une jeune fille attachée à son service : « Chacun admirait la beauté de cet oiseau : son plumage qui avait des milliers et de milliers de couleurs brillait comme un miroir en plein soleil ». La tour ne s'effondre plus mais le bel oiseau ne chante pas, ce qui plonge tout le monde dans la tristesse. Un jour il se met à chanter merveilleusement devant un jeune berger. Dès que ce berger s'éloigne, son chant cesse. Au terme d'un récit riche en rebondissements et en métamorphoses il s'avère que le pâtre est le plus jeune fils de l'empereur massacré par ses frères. Grâce à une pomme magique la jeune fille qui sert l'oiseau éclaircit toute l'histoire. Justice est faite tout finit par un mariage : elle épouse le jeune prince ».

Marielle Tabart, dans son Brancusi, l'inventeur de la sculpture moderne, dénombre pas moins de 27 variations sur le thème de l'oiseau.

Pages 107 et suivantes de la BD, j'ai cru qu'allusion était faite à cette légende sur les pouvoirs de l'artiste.

Je crois avec ferveur en la parenté de cette légende populaire avec le projet artistique de Brancusi.

C'est encore Serge Fauchereau qui traduit ce poème de Lucian Blaga (cf. p. 61) :

« L'oiseau sacré

(incarné en or par le sculpteur Brancusi)

Dans un vent que nul n'a levée
Orion hiératique te bénit
en pleurant sur toi
sa haute géométrie sacrée.

Autrefois tu as vécu au fond des mers
et tu as frôlé le feu du soleil.
Dans les forêts flottantes tu poussais
de longs cris sur les eaux originelles.

Es-tu oiseau ou cloche à travers le monde,
créature qu'on dirait calice
ou chanson d'or survolant
notre terreur des énigmes mortes ?

Tu perdures dans l'ombre comme les contes ;
à la flûte invisible du vent
tu joues pour ceux qui boivent leur sommeil
aux pavots noirs souterrains.

La lumière de tes yeux verts est pour nous
comme le phosphore qui s'écaille aux ossements anciens
à écouter les révélations sans paroles
sous l'herbe du ciel, tu prends ton vol.

Depuis le ciel voûté de ton zénith
tu déchiffres tous les mystères des profondeurs.
Prends ton essor sans fin
mais ne dis jamais ce que tu as vu ».

Grâce sois rendue aux mains de Brancusi, mais aussi à celles d'Arnaud Nebbache, qui lui rend ici, un juste hommage.

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Ils craignent la vérité que tu leur imposes.
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Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre. La première publication date de 2023. Il a entièrement été réalisé par Arnaud Nebbache, scénario, dessins, couleurs. Elle comprend cent-vingt pages de bandes dessinées.

Fin 1906 ou début 1907, Constantin Brâncuși travaille dans l'atelier d'Auguste Rodin à Meudon : il y étudie et il participe à la réalisation de moulage pour ses sculptures. Un jour, il est appelé par le maître dans le statuaire. le sculpteur lui explique l'enjeu. Il lui demande de regarder ces statues de danseurs, d'observer, car il faut saisir le geste vrai. Saisir le geste au plus près de la vérité du mouvement. C'est la transition d'une attitude à une autre qu'il faut voir. Brâncuși doit transmettre ce mouvement. C'est la relation du corps à l'espace qui l'environne. Il faut sentir l'air qui les entoure, inspirer. Il faut jouer avec la résistance de l'air, il faut le déplacer. C'est dans cet espace que la figure doit se déployer. Il faut sentir cet espace. Dans l'espace, la figure doit se révéler, s'élever, se brandir, s'envoler. C'est dans le ciel qu'il faut regarder. On ne peut pas faire de la sculpture en regardant la Terre. Il faut voir plus loin ! L'instant d'après, la figure est dans l'air. Alors, c'est l'air autour de soi qu'on sculpte. C'est l'air autour qui est la matière. C'est l'espace qui doit être sculpté. Après cette leçon à laquelle se sont joints les autres apprentis de l'atelier, Brâncuși sort dans le grand jardin, avec un bras de statue sous le sien. Il y retrouve Edward Steichen en train de s'exercer à la photographie. Ils discutent ensemble. le sculpteur se demande comment il peut s'accomplir dans son métier, caché derrière ce vieux chêne de Rodin. Son ami lui conseille d'être patient et moins arrogant. Rodin a sûrement encore beaucoup de choses à lui apprendre. Son interlocuteur lui répond qu'il est bien décidé à partir : dès qu'il trouve un atelier, c'est terminé.

Vingt ans plus tard, en 1926, Constantin Brâncuși se trouve dans son atelier : il se tient dans différents endroits pour se rendre compte de l'effet visuel de ses oeuvres sous différents angles de vue. Il prend en photo son oeuvre l'Oiseau dans l'espace. Marthe Lebherz, surnommée Tonton, entre dans l'atelier et lui demande ce qu'il cherche, à mitrailler le même oiseau depuis des heures : s'attend-il à ce qu'il s'envole ? Il répond qu'effectivement, il cherche l'envol, il cherche l'espace autour de l'oiseau. Cet espace autour qui lui permettra de prendre son envol. Il lui demande de se rapprocher et de danser pour lui, de danser autour de l'oiseau, pour lui montrer l'espace autour, pour lui montrer l'envol. Il lui explique que le vieux Rodin l'a bien fait lui. C'est l'espace qu'il sculptait avec ses danseuses. Il se souvient du nom qu'il donnait à ses dessins : Vol, L'envolée, Aviation, Aéroplane, Ardeur du ciel. C'est donc bien d'envol qu'il s'agit. Marthe lui répond que ça fait longtemps qu'elle ne danse plus assez, qu'elle n'a plus le talent. Elle lui suggère de demander à Lizica : elle est très douée, avec elle son oiseau s'envolera. Elle sort, Constantin s'assoit et considère ses oeuvres. À New York, Marcel Duchamp contemple les gratte-ciels, en fumant une cigarette, pendant que les passants circulent autour de lui, et que le flux d'automobiles s'écoule. Il se rend à la galerie Brummer où doit se tenir une exposition des oeuvres de Brâncuși l'hiver prochain.

Dans un premier temps, le lecteur peut être déstabilisé. L'auteur a fait le choix d'une structure narrative dans laquelle les passages consacrés à Constantin Brâncuși en France tiennent plus d'importance que le procès aux États-Unis, auquel il n'est donc pas présent. Il vaut donc mieux que le lecteur soit familier de l'enjeu du célèbre procès Brâncuși contre États-Unis pour pouvoir apprécier pleinement l'intention de l'auteur dans les passages qui précèdent l'ouverture des auditions, le procès ne commençant qu'en page quarante. L'enjeu porte sur une oeuvre d'art intitulé l'Oiseau dans l'espace, une sculpture de plus d'un mètre de haut, mince, fuselée et polie comme un miroir. En apparence un objet manufacturé, mais présentée par son créateur comme une oeuvre d'art. Ainsi chaque scène, relatant le procès ou relatant la vie de Brâncuși, participe à éclairer une facette des questions soulevées par ce procès. Quels sont les critères pour juger de la notion d'oeuvre d'art ? Qui peut être qualifié d'artiste ? Qui est juge en la matière ? Avec cet enjeu en tête, le lecteur se trouve plus à même de comprendre l'intérêt de certaines scènes. Par exemple, la séquence d'ouverture dans l'atelier d'Auguste Rodin (1840-1917) peut sembler ne servir qu'à établir la volonté d'indépendance de Brâncuși, l'origine de son questionnement et de son travail sur la représentation du mouvement. Puis survient l'ellipse de vingt ans pour arriver directement aux prémices du procès. Cependant, cette scène montre également un travail de fabrication et de reproduction de parties de sculptures, par moulage, déjà une forme d'industrialisation et de reprographie d'une oeuvre d'art qui perd ainsi son unicité.

Dès la couverture, le lecteur peut avoir un aperçu des caractéristiques des dessins : pas de traits de contour systématiques, des contours qui peuvent comporter une part de flou dans la façon d'apposer les couleurs, un visage avec seulement un point pour les yeux, une bouche invisible derrière la barbe, mais des rides pour attester de l'âge de Constantin Brâncuși (1876-1957), cinquante ans au moment du procès. La deuxième de couverture et la page en vis-à-vis accueillent une unique illustration monochrome, toute en ombre chinoise. Puis vient un dessin qui montre le sculpteur mettre le couvercle sur la caisse contenant l'Oiseau dans l'espace, pour son voyage transatlantique, vu en légère élévation : le sculpteur tenant le couvercle, la caisse avec la sculpture à l'intérieur, deux caisses fermées sur la gauche, une sculpture enveloppée dans du tissu avec une corde sur la droite, une longue scie, un marteau, une boîte de clous et deux planches, le tout sur un fond vierge tout blanc. En page sept, une grille de neuf cases de taille identique, disposées en groupe de trois sur trois bandes : des formes de statues de Rodin, une danseuse, avec un contour un peu imprécis et des couleurs qui ajoute à la difficulté de lire les formes. En page treize, les cases sont réalisées en couleur directe, sans trait de contour, avec une simplification des formes qui évoque par certains côtés des collages de papier découpé. Lors de la scène dans l'atelier entre Tantan et Tonton, le dessinateur passe en trichromie pour des contrastes très prononcés.

Tout du long de l'ouvrage, le lecteur remarque ces effets esthétiques variés en fonction de la nature de la séquence : silhouettes caricaturées lors de la visite à la Galerie Brummer, cases sans bordure avec uniquement la robe de Lizica Codreanu en train de danser, page sans texte (vingt-six au total) ou avec un unique phylactère pour une dizaine d'autres, quelques dessins en pleine page, le sculpteur en noir & blanc avec un trait de contour plus gras au milieu de personnages en couleur pour faire ressortir sa solitude et sa déconnexion par rapport à son environnement, experts en train de déposer au tribunal sous forme de buste avec du texte rattaché uniquement par un trait sans contour de bulle et le tout sur fond blanc, Brâncuși perché au sommet de son oeuvre la Colonne sans fin ou Colonne de l'infini (inaugurée à Târgu Jiu en Roumanie), dessins en noir & blanc en page cent-deux pour la dernière lettre de Marcel Duchamp, bichromie pour la dernière séquence avec Brâncuși assis sur une plage du Nord, etc. L'artiste sait jouer avec les formes de mise en scène, de découpage, de rendus, tout en maintenant une unité cohérente du début à la fin, remarquable.

Le titre annonce donc l'objet : le procès qui a opposé le sculpteur au gouvernement des États-Unis pour la qualification de ses oeuvres. Art ou produit industriel ? le lecteur assiste donc aux dépositions et aux interrogatoires d'Edward Steichen (photographe et peintre) interrogé par maître Higginbotham, de Jacob Epstein (1880–1959, sculpteur américain), de Forbes Watson (rédacteur en chef de la revue The Arts), de Brâncuși accompagné de Fernand Léger (1881-1955) à Paris, de Robert Ingersoll Aitken (1878-1949, sculpteur américain), de Thomas Hudson Jones (1892-1969, sculpteur), puis des secondes auditions de Steichen, d'Epstein, de Jones, et enfin du verdict du juge J. Waite.

L'enjeu apparaît clairement : officialiser réglementairement le fait que l'art n'est plus figuratif mais qu'il a déjà commencé à explorer bien des territoires conceptuels très éloignés de l'Homme de Vitruve (1490) de Léonard de Vinci (1452-1519). Au cours des pages consacrées au procès, le lecteur sourit en voyant comment les avocats ont toutes les peines du monde à établir la légitimité des intervenants, à justifier que leur avis fait autorité dans le monde de l'art, et qu'ils puissent donc être considérés comme une référence incontestable permettant de statuer sur la nature de l'Oiseau dans l'espace. Cela peut lui faire penser à la manière dont certains artistes contemporains sont qualifiés de tels par des experts dont les intérêts peuvent parfois être plus pécuniaires qu'esthétiques. Par la force des choses, un lecteur du vingt-et-unième siècle connaît déjà le verdict et a pu contempler des oeuvres d'art bien plus conceptuelles que la sculpture objet du débat : il sourit donc devant des propos réactionnaires sur l'art car ça fait bien longtemps que l'art s'est libéré des préoccupations représentatives et de l'imitation de la nature. Il relève également le nombre d'artistes fréquentés par Brâncusi lui-même : Auguste Rodin (1840-1917), Marcel Duchamp (1887-1968), Erik Satie (1866-1925), Fernand Léger (1881-1955), Alexander Calder (1898-1957, sculpteur et peintre), Emmanuel Radnitsky (1890-1976, dit Man Ray, photographe). L'originalité et la force de cette bande dessinée est de mettre en scène le sculpteur tout du long, de montrer d'où lui vient ce projet de montrer le mouvement, de le regarder s'interroger sur son art, de le voir considérer des objets fabriqués dans une usine et de les rapprocher de ses propres productions sondant ainsi la porosité de la frontière entre l'art et la production de masse, ou plutôt ce qui sera plus tard qualifié de design.

Constantin Brâncusi est considéré comme ayant poussé l'abstraction sculpturale jusqu'à un stade jamais atteint ayant ouvert la voie à la sculpture surréaliste, ainsi qu'au courant minimaliste. Arnaud Nebbache raconte le procès qui a opposé le sculpteur au gouvernement des États-Unis, mais pas seulement. Il met aussi en scène l'artiste dans son quotidien, avec tout ce qu'il a d'extraordinaire, dans sa recherche artistique avec tout ce qu'elle a de pragmatique. La narration visuelle possède une forte personnalité, adaptée pour les dépositions presque dépersonnalisées, ainsi que pour les moments de la vie quotidienne et ceux de réflexion de l'artiste, avec une cohérence esthétique épatante du début à la fin, tout en faisant preuve de variété.
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Le roman graphique débute en 1926 , le sculpteur d'origine roumaine Constantin Brancusi , ancien élève de Rodin , envoie une oeuvre avant-gardiste aux Etats- Unis .
Immédiatement cette oeuvre trop peu conventionnelle n'est pas reconnue comme oeuvre d'art , Brancusi doit payer une lourde taxe aux douanes américaines, son oeuvre étant classée comme un simple objet utilitaire.
Contre toute attente , le sculpteur intente un procès .
Arnaud Lebbache nous raconte l'histoire de ce procès avec talent , il nous fait réfléchir sur la notion d'art , à cette révolution de l'art moderne , à cette bataille juridique où les experts s'affrontent , qu'est ce qui définit une oeuvre d'art , qu'en est - il de l'imagination , de l'art abstrait .
Une très belle lecture , passionnante , à mettre entre toutes les mains .
Un grand merci à #netgalley et aux éditions Dargaud .
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Brancusi est un sculpteur célèbre, un des premiers “abstraits” de l'Art Moderne. Cet album raconte une anecdote particulière de sa vie : Il se rend aux États-Unis pour exposer dans une galerie new-yorkaise, une des ses sculptures est arrêtée à la douane pour faire payer la taxe sur les objets industriels manufacturés, Brancusi portera plainte, le procès devra alors faire valoir ou pas la valeur d'oeuvre d'art à l'objet en question.

Ce que j'ai aimé, c'est que les auteurs n'ont jamais orienté leur histoire vers le sensationnel et la provocation, ni vers le fait divers, mais au contraire, ils ne parlent que d'Art moderne, de perception, d'interprétation, d'évolution, de création. Pas de débats houleux au tribunal, au contraire, ces débats sont un peu ridiculisés, mais sont racontés avec une apparente neutralité. On suit alors le sculpteur dans son atelier, avec sa compagne, ou dans ses rencontres diverses, le procès semble loin pour lui, de l'autre côté de l'Atlantique, il n'y assiste d'ailleurs pas, c'est Marcel Duchamp qui le suivra pour témoigner de son déroulé. Brancusi ne le vit à distance que comme un sujet d'angoisses et de doutes.

Le dessin est travaillé en surface de couleurs, en aplats dilués, il n'est fait que de taches de couleurs naturelles posées délicatement sur le blanc très présent, comme une vieille sérigraphie, sur un papier qui semble absorber l'encre en profondeur. Les formes sont jetées sur le papier, et elle prennent vie avec une belle élégance, dévoilant le mouvement l'élancement des formes ou leur étalement plus pesant, le dessin lui-même pose les enjeux de l'Art Moderne : confrontation des formes, réflexion de la lumière, la naissance de l'abstraction, la prédominance de l'impression, de l'émotion sur le réalisme naturaliste.
Il y a peu d'action dans cette histoire, quelques faits se croisent avec quelques réflexions et interrogations, comme se déroule en réalité la vie de ces artistes à cette époque, pas de lyrisme tapageur qui dénaturerait l'art de Brancusi qui en est dépourvu (le mouvement minimaliste est d'ailleurs son héritier).
Le fait divers n'est alors qu'un prétexte pour poser des questions essentielles à l'interprétation d'une oeuvre d'Art : Quels sont les critères pour juger de la notion d'oeuvre d'art ? Cette bande dessinée nous apporte un point de vue historique avec cette évolution radicale que l'Art Moderne a apportée à cette époque, et d'un point de vue plus global sur notre interprétation de toutes oeuvres d'Art, celle de tout public en 2023.

Voilà donc un album très intelligent, une biographie comme j'aime en trouver, qui raconte les doutes, les interrogations et qui nous met, nous lecteur, devant l'oeuvre de l'artiste en question, et devant l'Art en général.
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Ahh, Brancusi.
Un des grands piliers de la sculpture moderne. Un de ceux dont on peut dire il y a eu un avant et un après.
Si je connais ses oeuvres majeures et quelques anecdotes et grandes lignes sur sa vie et sa carrière, je dois avouer que cette histoire judiciaire n'avait pas marqué plus que ça mon esprit.
Mais ce n'est pas vraiment ça qui m'a attirée de prime abord avec cette BD mais l'incroyable technique picturale que l'on peut déjà apprécier sur la couverture mais qui est assez représentative des planches à l'intérieur. Les trais sont quasiment inexistants et c'est les aplats de couleurs eux même qui font resortir les formes, les personnages et les décors. Cette technique picturale est très importante et rappelle aux connaisseurs la technique de la lithographie qui sonne, en plus, un certains velouté, une certaine texture à l'aplat.
Les visages et attitudes des personnages, souvent minimalistes et un peu caricaturaux, n'en sont pas moins expressifs, parfaitement rendus et graphiquement très efficaces.
Vous l'avez compris, j'ai adoré le dessin.
Mais revenons à l'histoire.
Une des oeuvres majeures de l'artiste - fruit de très nombreuses années de travail, de réflexion et d'expérimentations diverses - et l'une de ses oeuvres les plus épurées , appelée "l'oiseau dans l'espace", est bloquée par les douanes. En effet, pour être affranchie de taxes, il doit s'agir d'une oeuvre originale, sans objet pratique, réalisée par un sculpteur professionnel. Personne ne conteste l'inutilité fonctionnelle de cette pièce, le qualificatif d'oeuvre unique pose problème. Dans le cadre d'une pièce aussi stylisée, comment être certain qu'il n'en existe qu'une seule et qu'elle a bien été réalisée par Brancusi lui-même?
Bref, c'est assurément la question de la définition même d'oeuvre d'art et de démarche artistique qui est posée. Une question qui est passionnante et dont la réponse est toujours le lieu de discussions entre amateurs d'art et de néophytes. Tout comme la différence entre artisans et artistes et la frontière, parfois trouble, qui les sépare.
Ce sont des sujets qui me touchent, qui m'intéressent et m'interpellent, et je dois dire que j'ai vraiment adoré cette lecture.
De plus, cette BD représente une incroyable galerie de portraits : Fernand Léger, Alexander Calder, Peggy Guggenheim, Marcel Duchamp, Man Ray...tous ces grands noms se succèdent le temps d'une réflexion, d'une figuration ou occupent un rôle plus important...un régal pour les amateurs.
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J'ai beaucoup appris dans cette BD racontant le procès en 1927 opposant le sculpteur Brancusi contre les Etats-Unis au sujet d'une sculpture taxée par les douanes à son arrivée sur le sol américain au titre d'objet métallique manufacturé et non d'oeuvre d'art. Cette BD raconte ce procès complétement ubuesque (les débats sont parfois ahurissants) mais aussi la vie de Brancusi, ses amis, son processus de création. le choix de l'auteur pour les dessins et la technique utilisée m'a un peu surpris au début de ma lecture mais je trouve que finalement cela s'accorde bien avec le récit et le thème. J'ai un moins apprécié le dessin des visages.
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L'album s'ouvre par une plongée dans l'atelier de Rodin dans lequel Brancusi joue les arpètes. Chez ce maître de la sculpture classique il y est toutefois question d'espace, d'air sculpté par l'oeuvre... réflexions qui trouveront écho des années plus tard quand Brancusi présentera ses oeuvres si éloignées en apparence des celles de son formateur.
L'album raconte la controverse qu'a provoqué aux Etats Unis en 1927 "L'oiseau" de Brancusi , sculpture résolument moderne, quasi abstraite et marquant ( avec quelques autres ) le passage de cet art dans l'abstraction. le procès intenté par Brancusi aux USA pour que son oeuvre ne soit pas considérée comme un simple objet manufacturé ( et donc sujette à une taxe) est donc le thème principal et totalement passionnant de ce roman graphique. Les débats sont relatés ici avec une grande clarté et un souci quasi pédagogique, projetant le lecteur sans qu'il s'en rende compte dans un univers de réflexions intenses, au coeur de l'éternel débat des classiques et des modernes. Mais l'album ne s'arrête pas là et suit aussi la vie de Brancusi, ses interrogations sur l'essence même de travail et des recherches de ses confrères qui, à la même époque révolutionnaient leur domaine de compétence ( Duchamp, Calder, Jean Prouvé, ...). Autant dire, qu'en quelques pages cet album synthétise avec bonheur toute une période d'intense créativité. Et si, personnellement, certaines planches très, trop stylisées, m'ont paru manquer de lisibilité, la palette de couleurs choisie, le dessin quand même très inspiré, résolument moderne, rend un très bel hommage à cet artiste et confère à cet album une grâce et une originalité qui complètent à merveille son propos.
Sans doute un des plus beaux albums de ce début d'année.
Lien : http://sansconnivence.blogsp..
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Une BD de 128 pages avec un graphisme original, sans contour et une palette de couleur proposées sur les mêmes tonalités. Certaines pages n'ont pas de paroles, celles ou Brancusi travaille son art et c'est sublime.

Tout le monde connait l'histoire avec les Etats-Unis : Brancusi voulait conquérir l'Amérique et ils ne reconnaissaient pas son art et taxe les oeuvres d'une façon inconsidérée.

On vit cette histoire de procès à travers cette BD comme une enquête avec du suspens en 1927 à un moment de grands changements, de nouveauté dans l'art qui est bien exprimé dans cette séquence d'images.

Arnaud Nebbache a bien su mettre en exergue l'art abstrait de Brancusi au travers des formes et des couleurs.

Je remercie bien chaleureusement les éditions Dargaud pour ce cadeau car je ne l'aurais peut-être jamais ouvert dans une librairie et il mérite d'être mis en avant car il est de qualité et très original.
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Je ne connaissais pas vraiment Bracusi, mais grâce à cette BD, je me sens un peu plus "experte" dans le domaine de l'art, mais j'ai encore beaucoup à apprendre.
Ce procès Etats-Unis/Bracusi qui ne veut pas payer les droits de douane de sa sculpture appelée "Oiseau" est vraiment très intéressant et nous montre les prémices de l'art contemporain. Il a fallut beaucoup de d'entêtement des peintres, sculpteurs... qui ne voulaient pas se laisser enfermer dans le moule imposé par les textes régissant le monde de l'art.
C'est vraiment très intéressant.
Seul bémol me concernant, je n'ai pas vraiment aimé les dessins que j'ai trouvé assez agressifs.
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Un superbe livre graphique et l'on tourne les pages avec beaucoup de plaisir.
L'auteur nous parle d'un fameux procès, qui a fait jurisprudence : le procès de Constantin Brancusi contre les Etats Unis, en 1926.
Marcel Duchamp, alors installé à New York, propose à son ami sculpteur, d'organiser une exposition de ses oeuvres. Brancusi travaille alors avec acharnement à une oeuvre qui lui tient à coeur, l'oiseau. Elève de Rodin, il souhaite rendre dans son oeuvre l'envol de l'oiseau. L'"Oiseau dans l'espace", une sculpture de plus d'un mètre de haut, mince, fuselée et polie comme un miroir. En apparence un objet manufacturé, mais présentée par son créateur comme une oeuvre d'art. Il envoie donc son oeuvre mais surprise, arrivée à la douane, elle est lourdement taxée à l'importation en tant qu'objet utilitaire. Les oeuvres d'art étant, elles, exonérées. S'engage alors un procès, qui va être raconté en dessin par Duchamp à son ami Bracussi, resté en France.
Nous assistons donc aux dépositions et aux interrogatoires d'Edward Steichen (photographe et peintre) interrogé par maître Higginbotham, de Jacob Epstein (1880–1959, sculpteur américain), de Forbes Watson (rédacteur en chef de la revue The Arts), de Brâncuși accompagné de Fernand Léger (1881-1955) à l'ambassade des Etats Unis à Paris, de Robert Ingersoll Aitken (1878-1949, sculpteur américain), de Thomas Hudson Jones (1892-1969, sculpteur), puis des secondes auditions de Steichen, d'Epstein, de Jones, et enfin du verdict du juge J. Waite.
J'ai adoré suivre le procès mais aussi les questionnements de Brancusi, ses doutes, ses certitudes, les échanges autour d'un café, ses soirées où il croise Man Ray et d'autres artistes de l'époque. Les comptes rendus dessinés de Duchamp du procés.
Un livre magnifique sur l'histoire de l'art, mais aussi sur le droit face aux oeuvres d'art et un bel hommage à Constantin Brancusi et envie de continuer à découvrir sa vie et ses oeuvres. Avais aimé m'arrêter devant sa tombe lors de vacances parisiennes.
#BrancusicontreEtatsUnis #NetGalleyFrance
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