"Il y a toujours quelqu'un pour s'opposer à sa candidature", songeait Joseph, et il s'adressait en esprit au précieux sanctuaire d'une réunion de conseil : quelqu'un s'oppose toujours, quelqu'un de normal, quelqu'un de beau, quelqu'un qui a la chance d'être normal, quelqu'un qui respecte les règles de conduite des esprits rouillés du temps jadis. Quelqu'un de chrétien, pire que tout, ayant une renommée d'ascète, un de ceux qui vous assènent un coup sur le crâne : " pauvre enfant, souhaitons-lui l'amour de Dieu, ah, Dieu est bon, il ne ferme jamais une porte sans en ouvrir une autre" ; ou quelqu'un de pur et dur, incapable d'assouplir le règlement pour les besoins de la cause, quelqu'un de satanique, se réjouissant des souffrances des autres, quelqu'un qui a eu trop de "non" dans son enfance, quelqu'un qui est capable de dire "non" à un infirme muet : il y a toujours quelqu'un qui dit "non".
Il peignait de grandes toiles, ressuscitant la vie en lui donnant une fierté ornée de guirlandes et de perles secrètes. Décider quoi dessiner ne posait jamais de problème. En créant de vastes paysages de solitude désertique, il se cognait la tête contre le désespoir, mais en y faisant surgir des pyramides coniques, des chameaux bossus lourdement chargés et doucement conduits par des Arabes vêtus de longues robes aux couleurs vives, en emprisonnant la liberté de l'errance dans le gâchis de ses besoins, il défiait un sort contraire en faisant briller dans l'esprit de l'homme l'éclat même de la nature.
Tels étaient les professeurs de Joseph et telle était leur imagination que le garçon muet demeurait constamment ébahi par le degré de certitude presque télépathique avec lequel ils lisaient l'expression de son visage, les mouvements de ses yeux et le langage de son corps. Plus d'une fois, professeur et élève rirent de bon cœur en déchiffrant son code. En de tels moments, Joseph reconnaissait l'image de Dieu sur des visages humains. Elle brillait dans la gentillesse des professeurs, luisait dans leur vivacité, se signalait dans leurs attentions, et se faisait caresse dans leur regard.
La poésie fut son moyen d'expression et la vérité son emblème.