Ce tome contient une histoire complète ; il regroupe les épisodes 16 à 20 de la série "Legends of the Dark Knight". le scénario est de Dennis O'Neil, la mise en page de Trevor von Eeden, les dessins de
Russell Braun, l'encrage de
José Luis Garcia-López, et la mise en couleurs de
Steve Oliff. Il n'est pas besoin d'avoir de connaissance particulière sur Batman pour lire cette histoire qui se place dans ses premières années d'activité.
Batman est sur la piste de ravisseurs ayant kidnappé Sissy, la fille de Randolph Porter un docteur en pharmacie spécialisé en galénique. Elle est détenue dans des égouts en train de se remplir du fait de la pluie. Alors qu'il ne reste plus que quelques mètres le séparant d'elle, Batman est face à un éboulement dont la plus grosse pierre dépasse ses capacités physiques. Il ne peut la déplacer ; la fillette meurt noyée. Il prend sur lui d'aller annoncer la nouvelle à son père qui travaille sur des gélules contenant un produit chimique permettant de gagner en masse musculaire rapidement. Après bien des hésitations, Bruce Wayne finit par céder à la tentation de cette aide dans sa guerre contre le crime. Or le geste de Randolph Porter n'est pas tout à fait gratuit, il a un service à demander à Batman.
En 1989, suite au succès de Batman year one, DC Comics décide de lancer une série consacrée aux exploits de Batman pendant ses 2 ou 3 premières années d'activité. Plutôt qu'une histoire continue indéfinie, "Legends of the Dark Knight" comprend des histoires complètes par des créateurs différents. Dennis O'Neil écrit Shaman (épisodes 1 à 5), puis
Grant Morrison et
Klaus Janson réalisent Gothic (épisodes 6 à 10).
Doug Moench et
Paul Gulacy racontent la première rencontre entre Batman et Hugo Strange dans Prey (épisodes 11 à 15, + dans ce recueil 137 à 141). Et Dennis O'Neil revient pour cette histoire qui part d'un constat très simple : Bruce Wayne est un homme sans superpouvoir, il était inévitable qu'à un moment de sa carrière il soit tenté par un surcroît de force. Ce que les lecteurs de l'époque découvriront par la suite, c'est que cette histoire est la première pierre d'un récit d'envergure qui se poursuit dans Batman versus Bane, pour culminer dans Knightfall 1.
O'Neil connaît bien le personnage de Batman puisqu'il avait déjà écrit ses aventures avec
Neal Adams dans les années 1970 à 1973 (Tales of the Demon). Il était également responsable éditorial des différentes séries Batman à l'époque de ce récit. Cette connaissance et son amour du personnage transparaissent tout au long de ces 5 épisodes. Dans la mesure où ils se déroulent au début des années d'activité de Batman, les 2 seuls personnages récurrents sont Alfred Pennyworth (sarcastique comme à son habitude, et très attentionné vis-à-vis de son employeur) et James Gordon. Cela rend le récit d'autant plus accessible aux nouveaux lecteurs. O'Neil a l'art et la manière de rendre son Batman humain, intelligent, hésitant en tant que débutant et susceptible de commettre des erreurs. Il rappelle par 2 fois qu'à cette époque Bruce Wayne a choisi de ne revêtir son costume de chauvesouris que la nuit, et qu'il n'a pas encore construit de Batmobile.
La narration d'O'Neil présente plusieurs aspects agréables pour le fan de Batman. À cette époque, Bruce Wayne est déterminé, mais pas encore maladivement obsédé par sa mission. Il dispose de techniques de combats à main nues efficaces, mais il n'est pas invincible, il n'est pas capable de mettre à terre dix hommes avec les mains attachées dans le dos. Si sa détermination est sans faille, il doute encore de ses méthodes, de sa capacité à vaincre les criminels, de ses alliés. O'Neil a l'art et la manière de décrire Batman comme un être humain faillible pour qui chaque victoire exige des efforts réels, tant physiques qu'intellectuels. Cette approche du personnage le rend plus accessible, plus humains ; le lecteur peut plus facilement se projeter dans ses aventures et ses péripéties.
La contrepartie de cette approche plus humaine est qu'O'Neil a tendance parfois à adopter un ton un peu trop explicatif et édulcoré. Sa description de l'addiction présente plusieurs aspects un peu simplistes. Autant O'Neil montre bien à quel point la mort de la fillette a perturbé Bruce Wayne lui faisant prendre un risque qu'il n'aurait sinon jamais pris (prendre de la drogue), autant le développement de son addiction et la facilité avec laquelle Randolph Porter le manipule sont décrits de manière un peu fruste. Il utilise également des ressorts dramatiques un peu appuyés, en particulier en ce qui concerne les relations père et fils, et aussi sur les motivations trop stéréotypées des méchants de l'histoire. Mais d'un autre coté, son récit tient le lecteur en haleine, son Batman est crédible et attachant, son apport de nouvelles pierres à la mythologie de Batman est organique et naturelle (outre la drogue Venom, il y a également l'île de Santa Prisca).
Étrangement la partie graphique est assurée par l'association de 3 artistes dans un montage très chaîne de production. Les images n'en souffrent pas et elles bénéficient même d'un bon niveau de définition pour un comics de cette époque. Il est évident que la consigne était d'avoir un style réaliste et pas trop emphatique. Coté réalisme, le résultat n'est pas entièrement convaincant ; ce comics porte encore les stigmates des années 1980, avec des éléments trop simplistes. Ce défaut n'apparaît que de temps en temps pour un élément spécifique. Par exemple lors d'une scène d'action Batman s'accroche sur le toit d'un camion dont l'apparence est vraiment trop lisse, trop enfantine, ce qui rompt un peu le charme de l'immersion. Pour ce qui est de limiter l'emphase, le résultat est plus convaincant avec des postures assez naturelles et des expressions de visage maîtrisées à 80%. Si les graphismes ne sont pas encore dans un réalisme photographique, ils se sont déjà éloignés des codes enfantins des années 1970. Dans la majeure partie des pages, ils transcrivent bien le scénario qui se veut plausible et prosaïque.
Malgré quelques passages qui apparaissent un peu datés ou un peu gauches dans la narration ou les illustrations, cette histoire a bien surmonté l'épreuve des années et elle présente un Batman mesuré, humain et faillible dans lequel le lecteur peut facilement se projeter.