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4,3

sur 649 notes
Joyce Carol Oates montre dans ce formidable livre une Amérique en guerre : le terme peut paraître fort mais, dans le vocabulaire même choisi (ennemi, combattre, soldat de Jésus, armée de Dieu..), il s'agit bien d'une guerre entre les pro-life et les pro-choix, entre des chrétiens d'une Amérique rurale et des médecins de santé publique et ceci à travers l'histoire de deux hommes et de toute leur famille.
Joyce Carol Oates a écrit ce roman en 2017 et depuis le droit à l'avortement n'a jamais été autant d'actualité aux Etats-Unis.
Ce roman est magistral car Joyce Carol Oates réussit avec un immense brio à tisser des liens que l'on aurait cru impossibles entre deux hommes si diamétralement opposés.

Tout du long de ce riche et fascinant roman, le lecteur se pose aussi cette question cruciale: qui est le martyr du titre : celui qui meurt au nom de Dieu ou celui qui devient un héros parce qu'il est mort pour une cause (le droit des femmes à disposer de leur corps) ?
Lien : http://www.baz-art.org/archi..
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Quand Luther Dunphy perd une de ses filles dans un accident de voiture et qu'il assiste à la lente dépression de son épouse, il se tourne vers le professeur Wohlman qui milite contre l'avortement. Il devient alors Soldat de Dieu et fait sien le combat fanatique des pro-vies. Au point d'assassiner le docteur Augustus Voorhees, le 2 novembre 1999, devant une clinique pour femmes de l'Ohio. « L'Armée de Dieu sait que chaque meurtrier avorteur tué signifie des vies d'enfants sauvés. » (p. 18) Luther est jugé et condamné à la peine capitale. Pour les épouses et les enfants des deux hommes, il faut désormais vivre avec un poids énorme : être apparenté à un assassin ou à un assassiné, ce n'est pas une identité facile à afficher.

Au gré de témoignages croisés sur les deux hommes, faits par des parents, des amis, des témoins ou des professionnels, et au fil du récit de leurs deux existences, Joyce Carol Oates dresse deux portraits fictifs qui symbolisent les camps qui s'opposent avec acharnement autour de la question de l'avortement. Pro-vie ou pro-choix, il semble ne pas exister de demi-mesure. « Défendre les enfants à naître. Un homicide justifiable. » (p. 24)

À la lecture d'une phrase de la quatrième de couverture, je m'interroge. « le lecteur est ainsi mis à l'épreuve, car confronté à la question principale : entre les foetus avortés, les médecins assassinés ou les « soldats de Dieu » condamnés à la peine capitale, qui sont les véritables martyrs américains ? » Pour moi, les premiers martyrs, ce sont les femmes à qui on refuse encore le droit de décider, à qui on impose une loi divine supérieure pour contrôler leur corps.

Lire ce texte a été perturbant. Je suis femme, je suis croyante, je suis pro-choix. Ce roman fait froid dans le dos parce qu'il dit le vrai, l'actuel, le concret. Si une dystopie comme La servante écarlate peut faire frémir dans ce qu'elle a de très plausible, le texte de Joyce Carol Oates n'a pas besoin d'être imaginaire pour être terrifiant.
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Tout autant que les fusillades et les discriminations raciales, le thème de l'avortement est au coeur de l'actualité américaine depuis des décennies... JCO aborde ici un de ces aspects de ce continent très contrasté, où des points de vue extrêmes continuent de s'affronter avec une réelle violence.
Il y a, d'un côté, le Dr Augustus Voorhees qui pratique les avortements - mais suit également les grossesses délicates pour les mener à terme, ce que ses détracteurs oublient - et bien que conscient qu'il met sa famille et lui-même en danger, continue à pratiquer, parce qu'il est dans son droit, tout simplement.
De l'autre, Luther Dunphy, pratiquant rigoriste, soldat de Dieu, qui un matin le tue pour sauver la vie de tous ces embryons menacés.
Chacun d'eux est de bonne foi, chacun d'eux justifie son acte sous couvert d'idéalisme. Et autour de cet assassinat, la région est divisée.
JCO nous entraîne dans les années qui suivent auprès des deux familles des protagonistes et notamment de chacune des deux filles de Voorhees et de Dunphy.
Naomi et Dawn grandissent toutes les deux meurtries, haineuses, et convaincues de la légitimité des actes de leur père respectif.
C'est un roman dense, profond, complexe, et un nouveau sujet que JCO aborde une fois encore, qui nous fait réfléchir, entrer au coeur de ce conflit américain.
Pour ma part, j'ai particulièrement aimé la complexité du personnage de Luther Dunphy car c'est celui qui a suscité en moi le plus de questions. En revanche, le portrait de sa fille Dunphy, un vrai personnage de JCO tel qu'elle les affectionne dès qu'elle aborde l'adolescence, m'a perturbée et ne m'a pas convaincue, au moins au début.
Je reste un peu sur ma réserve sur ce livre, pas tellement au niveau du thème présenté encore une fois de manière magistrale qu'au niveau de certains personnages en eux-mêmes qui sont trop proches de ceux des autres romans de l'auteure. J'aurais voulu une autre complexité à ce niveau-là, quelque chose de nouveau.
A lire, quand même!



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Depuis l'élection de Donald Trump, même si l'on ne s'intéresse pas aux États-Unis, il a bien fallu admettre qu'il y avait au moins deux Amériques. Comme n'importe quel résultat électoral surprenant, quand on se penche dessus, on réalise bien vite que ce n'est pas arrivé au petit bonheur la chance, sans évènement annonciateur.

Ce roman débute en novembre 1999, quand un soldat de Jésus tue un médecin avorteur.
Les deux seront respectivement élevés au rang de martyr par leurs supporters.

Un roman long.
Il n'aurait pas fallu moins de pages pour commencer à entrevoir le chemin qui peut mener à ce genre de drame. Surtout vu de France.

Un roman impartial.
Il n'aurait pas fallu que Joyce Carol Oates prenne parti. La conclusion est toujours mieux mémorisée quand on y arrive par son propre cheminement. Et sans haine pour aucun des deux protagonistes, qui saperait au passage le travail consciencieux de l'écrivain, c'est encore plus solide.

J'ai beaucoup apprécié la façon dont Joyce Carol Oates aborde ce sujet. Pas d'excès, pas de bourrage de crâne, pas de jugement.
Un livre qu'on peut mettre entre toutes les mains.
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J' avoue que je ne sais pas par où commencer pour vous parler du dernier roman de Joyce Carol Oates, Un livre de martyrs américains. Par mon admiration devant cette auteure capable d'écrire un roman de 800 pages aussi riche et complexe et à la productivité stupéfiante ? Par cette rencontre qui n'a pas été immédiate ? Il m'a fallu un certain temps pour rentrer dans l'histoire (heureusement que je n'ai pas lâché ce livre pour autant) et puis soudain, malgré ma lenteur de lecture, j'avais envie de connaître la suite, d'en savoir plus sur chacun des protagonistes.

Une Amérique en guerre
Le terme peut paraître fort mais dans le vocabulaire même choisi (ennemi, combattre, soldat de Jésus, armée de Dieu..), il s'agit bien d'une guerre entre les pro-life et les pro-choix, entre des chrétiens d'une Amérique rurale et des médecins de santé publique et ceci à travers l'histoire de deux hommes et de toute leur famille. Joyce Carol Oates a écrit ce roman en 2017 et depuis le droit à l'avortement n'a jamais été autant d'actualité aux Etats-Unis.

Un livre de martyrs américains s'ouvre sur le meurtre du médecin Augustus Voorhees par Luther Dunphy. Joyce Carol Oates s'attarde sur la jeunesse de ce « soldat de Dieu », sur son comportement avec les filles, sur son cheminement et comment il se sent « sauvé » par l'église. Si l'auteure adopte un point de vue neutre, je l'ai trouvé pour ma part très antipathique (raciste, prêt à étouffer sa femme dans un moment de rage) et je me suis demandée comment j'allais pouvoir passer plus de 800 pages avec lui !

Heureusement dans le chapitre suivant, Joyce Carol Oates adopte le point de vue de Naomi, une des filles du Dr Augustus Voorhees et c'est à ce moment précis, que j'ai commencé à avoir réellement envie, chaque soir, de me replonger dans ce pavé.

Pourquoi Un livre de martyrs américains est un grand roman
Ce roman est d'une telle richesse qu'il est difficile d'en isoler certains éléments en particulier. Néanmoins une scène m'a frappé et témoigne pour moi du génie de l'écrivaine : celle du coup de fil, celle où on annonce à la femme du docteur qu'on a tiré sur son mari et probablement de manière mortelle. Cela m'a rappelé cette fabuleuse scène d'ouverture de Daddy Love où l'auteure décrit la même séquence sous différents angles faisant monter une pression incroyable.

Dans cette scène du coup de fil, on perçoit tout : le basculement, l'avant/après, l'effondrement, la fragilité des choses et le côté éphémère de la vie.

Joyce Carol Oates a une façon de revenir sur certains détails, certaines minutes comme si elle tenait à la main d'abord un crayon de papier, puis un feutre puis de la peinture pour ajouter des nuances de couleurs. Il n'y a jamais de facilité, de binarité. le tableau est complexe et vibrant.

Ce roman est magistral car Joyce Carol Oates tisse des liens que l'on aurait cru impossibles entre deux hommes si diamétralement opposés. En effet les enfants de l'assassin comme ceux du médecin tué doivent changer d'école, changer de ville et sont l'objet de tous les regards, mis au banc pareillement. Leur mère, de façon différente, est absente et chacune chute face au drame.

Et puis qui est le martyr ? Celui qui meurt au nom de Dieu ou celui qui devient un héros parce qu'il est mort pour une cause (le droit des femmes à disposer de leur corps) ?

Au fil des pages, on suit les différents procès et comment ils sont vécus par les deux familles. Je ne peux pas vous en dévoiler davantage mais il y a une scène particulièrement terrible vue par les yeux d'un surveillant de prison, le genre de scène qui marque la mémoire à vie.

Plus j'ai avancé dans ma lecture et plus j'ai eu l'impression d'un kaléidoscope complexe, rendant l'histoire d'autant plus palpable, crédible, « vraie ». Kaléidoscope du fait du nombre de points de vue différents sur la même histoire, kaléidoscope car dans la grande histoire, il y a des dizaines et quelle talent de conteuse a Joyce Carol Oates.

Un livre de martyrs américains n'est pas seulement le destin de deux hommes et le portait d'une Amérique déchirée, c'est aussi celui de deux femmes : Naomi la fille du médecin et Dawn, celle de son assassin. Toutes les deux sont obsédées par la mémoire de leur père. le meurtre change totalement le cours de leur vie jusqu'à un final qui m'a laissé sans voix !

Impossible de ne pas citer l'immense travail de traduction de Claude Seban, traductrice de Joyce Carol Oates depuis 23 ans !

Ne vous laissez pas impressionner par le nombre de pages, prenez le temps qu'il faudra (la lecture n'est pas une course ou une compétition) mais ne passez pas à côté de ce roman incroyablement puissant !
Lien : http://www.chocoladdict.fr/2..
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Joyce Carol Oates a écrit "un livre de martyrs américains" alors qu'elle avait plus de 80 ans. Peut-être fallait-il cette maturité pour pouvoir aborder ce thème si clivant, si controversé que celui de l'avortement qui déchire la société américaine.
Luther Dunphy croit que Jésus l'a chargé de tuer le "meurtrier avortionniste", le Docteur Gus Voorhees. Chaque partie croit avoir la vérité absolue.
On va suivre la vie de ces deux hommes avant puis après le crime et les conséquences sur leur famille.
L'auteure fait le choix de suivre plus précisément la fille de la victime et celle du meurtrier.
Il est très difficile de s'attacher aux personnages.
Le style est presque clinique, exigeant, avec quelques longueurs mais qui ne tombe jamais dans le simplicité.
Un livre provocateur qui incite à la réflexion et, comme d'habitude, avec JC Oates parfaitement écrit.
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Un meurtre : celui du docteur Augustus Voorhees, un spécialiste qui pratique l'avortement dans une petite ville de l'Ohio, assassiné par Luther Dunphy, un ouvrier couvreur, père de famille sans histoire.
L'auteure commence par nous plonger dans la vie de Luther, enfant de la classe moyenne basse américaine. C'est un père rongé par la culpabilité après la mort de sa fille de 3 ans, trisomique, à la suite d'un accident de voiture. Sa femme, en pleine dépression, abuse d'anxiolytiques. Luther semble avoir une tendance psychotique. C'est homme à la fois naïf, inconscient et dangereux que Oates nous dépeint.
La psychologie du personnage est d'une finesse rare.
Luther se raccroche à son église. Accompagné de son épouse, il assiste à une conférence du professeur Wohlman, un activiste anti-avortement.
Ensuite, nous découvrons la famille du docteur Voorhees, un humaniste dévoué à la cause des femmes, à la limite du sacrifice, négligeant ses proches.
le paradoxe de la situation, le réaliste des descriptions des rapports humains rendent l'histoire totalement addictive.
C'est véritablement une immersion dans la psyché humaine, dans l'univers de deux familles que tout oppose, au coeur de l'Amérique profonde.
Un livre un peu trop long, comme toujours pour cet auteure, qui se perd parfois en digressions inutiles à mes yeux, mais un vrai travail de patience et de documentation.
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Wouah, quelle oeuvre ! On retrouve dans cet extraordinaire roman plusieurs des thèmes chers à J.C.Oates, les filles, les mères, la boxe, le deuil, les classes sociales, la résilience, la fuite, la peine de mort... qui s'articulent ici autour du grand débat de l'avortement, polarisé autour des deux figures paternelles, chacun champion de son camp… Le combat oppose d'une part, dans le coin gauche, le ''médecin avorteur'' qui défend les féministes, athés et socialistes ''pro-choix'' et dans le coin droit, le ''soldat de Dieu'' qui défend les fondamentalistes ultra-religieux ''pro-vie''. (Vu d'ici au Québec, on oublie à quel point la droite religieuse a d'emprise sur des larges pans de la population des É-U si proches et si loin de nous...) Le ''soldat de Dieu'' tuera le ''médecin avorteur'' à bout portant, dans le stationnement de la clinique... (basé sur un fait vécu)... Pour être ensuite éliminé par l'État (peine de mort) après plusieurs années d'incarcération...

La construction de l'ouvrage est brillante, avec son écriture précise, ciselée, Madame Oates nous entraîne dans un de ces entonnoirs dont elle a le secret. La dialectique est son terrain de prédilection ! Comme dans tous ses livres, elle creuse, cherche à comprendre les motivations de l'Autre, éclairant son sujet de multiples points de vue. Le véritable sujet du roman est le vécu des deux familles survivantes au départ/martyrs(?) des pères, et en particulier, celui des deux filles, Dawn et Naomi, les orphelines, leur résilience, comment elles arrivent à vivre leur vie, fille de père assassin, fille de père assassiné.

Parmi les meilleurs d'une des meilleures, à consommer sans modération.
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Dans l'État de l'Ohio, en novembre 1999, devant une clinique où l'on pratique des avortements, Luther Amos Dunphy, « soldat de Dieu », va commettre un assassinat et un meurtre. Il va d'abord tirer sur Augustus (Gus) Voorhees, gynécologue et accoucheur réputé qui pratique aussi des avortements, et sans préméditation, sur M. Barron, ancien marine, accompagnateur chargé de la sécurité du docteur. Le tireur, Luther Amos Dunphy, est le narrateur de la première des cinq parties de ce gros et passionnant roman (860 pages).
***
Je suis une inconditionnelle de Joyce Carol Oates, tout en reconnaissant bien volontiers que sa pléthorique production se révèle inégale… J'ai eu peur, à la lecture de la première partie, que ce roman-ci ne me plaise pas. J'avoue que la fréquentation de Luther Amos Dunphy m'a été particulièrement pénible. Ce fanatique religieux, à qui Dieu et Jésus parlent, misogyne, raciste, habité par des pulsions de meurtre (pas seulement envers les pro-choix !), infidèle, narcissique rejetant toujours ses fautes sur les autres, incapable de se remettre en question, tourmenté par une sexualité dont il a honte, m'a paru franchement détestable et a suscité bien peu d'empathie de ma part dans un premier temps… Heureusement, dès la deuxième partie, Joyce Carol Oates donnera la parole à plusieurs narrateurs qui interviendront longuement ou brièvement, que ce soit à la première ou à la troisième personne, pour nous proposer une sorte de parallèle entre la manière dont les deux familles vont appréhender la vie après cette tragédie, jusqu'en 2012. Tous nous tendent un miroir de l'Amérique contemporaine, des républicains purs et durs aux démocrates ouverts d'esprit, mais en passant par toutes les nuances des palettes politiques et religieuses. On suivra alternativement la famille Voorhees (Naomi, Darren et Melissa, les enfants, ainsi que Jenna, leur mère) et la famille Dunphy (essentiellement Dawn, une des filles, et Edna May, la mère), sans oublier Luther qui attend son procès en prison, Naomie et Dawn étant les personnages principaux.
***
Nous verrons donc vivre les Dunphy, une famille de « petits Blancs », républicains fanatiques religieux, peu instruits, issus d'un milieu modeste, et les Voorhees, démocrates, universitaires, cultivés, relativement à l'aise financièrement, généreux, ouverts d'esprit et pleins d'humour. Le roman n'est pourtant pas manichéen, même si ce que je viens d'écrire pourrait le faire croire, parce que J. C. Oates s'attache à présenter les conséquences qu'impliquent les positions tranchées des deux pères, défenseurs acharnés de leurs engagements respectifs : les deux familles souffrent de leurs convictions bien avant l'assassinat. Après, les retombées sur les uns et les autres sont désastreuses psychologiquement, bien sûr, mais aussi socialement : chaque membre de chaque famille se retrouve être l'épouse ou l'enfant d'un assassin… Assassin d'un médecin réputé et adoré par ses patientes pour les Dunphy, assassin d'enfants de Dieu, avorteur infâme pour les Voorhees, dans les deux cas, un héritage très lourd à porter. Comme toujours, l'auteure présente des personnages secondaires extrêmement fouillés et particulièrement intéressants qui font entendre un autre son de cloche. Dans ce roman, ce rôle est dévolu à deux personnages auxquels je me suis particulièrement attachée : Madelena, la grand-mère paternelle de Naomi, personnage entièrement autonome, intensément libre d'esprit, respectueuse de la liberté d'autrui, et Karl Kinch, le provocateur, le personnage « poil à gratter », si j'ose dire, qui pose toujours les bonnes questions auxquelles il n'apporte jamais les réponses. Par ailleurs, je suis chaque fois admirative de la manière dont J. C. Oates utilise l'italique et les parenthèses, donnant à son texte une saveur, une couleur particulières. Un vrai plaisir de lecture, particulièrement propice à la réflexion sur ce sujet clivant à une époque où le droit des femmes à disposer de leur corps régresse dans de nombreux pays.
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Il m'aura bien fallu du temps pour digérer cette lecture. Plus d'un mois que je l'ai terminée, et je me sens seulement maintenant capable d'exprimer ce que j'ai pu ressentir à la découverte de cette histoire d'un drame états-unien malheureusement banal, mais décortiqué d'une plume de maître par Joyce Carol Oates.

Effectivement, et plus encore depuis l'annulation de l'arrêt Roe vs Wade, l'accès à l'IVG est un puissant cheval de bataille dans le pays : les anti et pro s'affrontent à ce sujet, plus ou moins violemment, et le meurtre d'Augustus Voorhees, médecin progressiste qui pratique des IVG dans diverses cliniques du Midwest, au gré des menaces qui les environnent, sa famille et lui, par Luther Dunphy, convaincu d'être un soldat de Dieu qui doit protéger les « enfants » à naître « sacrifiés » par le Dr Voorhees, ne vient que montrer un état de fait qui s'est en effet réellement déjà produit à plusieurs reprises.

Par ce meurtre, et ses conséquences, notamment sur les familles des protagonistes, l'un dont l'on découvre l'existence par l'intermédiaire de sa fille Naomi, principalement, l'autre par la description de sa situation en prison, mais aussi par l'intermédiaire de sa propre fille, Dawn, c'est la fracture qui finit de se fissurer entre deux mondes qui nous est peinte avec une précision chirurgicale, et qui nous mènera finalement vers un chemin inattendu, dans lequel l'on peut bien parler de « martyr » au pluriel.

Et le plus fort, sûrement le plus difficile à digérer, surtout lorsque l'on est soi-même pro-IVG et franchement athée, c'est la capacité qu'a l'autrice à nous présenter ces deux mondes comme ils sont, sans aucun jugement, afin de mieux faire prendre conscience au lecteur que, de chaque côté, il y a, finalement, une forme d'extrémisme, même si l'un est effectivement moins virulent et funeste que l'autre. Et cela m'a ramenée, avec beaucoup de pertinence, à des questions que je m'étais moi-même posé quant à l'accession de Donald Trump à la présidence, au fait que j'ai dépassé la simple critique de l'état de fait pour essayer de comprendre les raisons et les mécanismes qui y ont mené – cela fonctionne aussi pour la France, désormais.

Encore une fois, Joyce Carol Oates m'a poussée dans mes retranchements, peut-être encore plus que d'habitude, en m'obligeant à voir de l'humain là où je ne souhaitais vraiment pas en voir, sans prendre parti, juste en me racontant des vies, elles aussi terriblement banales, comme le drame qui les noue, dans les États-Unis d'aujourd'hui.

Encore et toujours malaisant, encore et toujours brillant, en somme.
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