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4,3

sur 647 notes

Critiques filtrées sur 4 étoiles  
Je n'avais jamais lu Joyce Carol Oates, une femme de lettres américaine née en 1938, auteure de plusieurs dizaines de romans, auxquels il convient d'ajouter essais, pièces de théâtre, recueils de nouvelles et de poésies. Un livre des martyrs américains est son dernier opus. C'est un roman qui pourrait être le récit d'une histoire vraie, un récit enrichi de témoignages semblant pris sur le vif.

Le livre commence comme un thriller sanglant. En novembre 1999, un individu qui se dit « Soldat de Dieu » raconte en direct son meurtre prémédité d'un homme qu'il qualifie de « médecin avorteur ». Un meurtre qu'il revendique au nom de sa foi religieuse. Il tue en même temps le garde du corps du médecin.

Luther Dunphy est un homme fruste, à l'esprit malade et pervers. Incapable de s'assumer, enfermé dans le déni, il s'est réfugié dans une bigoterie absurde au sein d'une église évangélique radicalisée, comme il en existe de nombreuses aux États-Unis. Des chapelles où l'on fait allégeance à la « Parole de Jésus » et non à la Loi des hommes. Où l'on considère que l'avortement est un assassinat et qu'un médecin avorteur est un tueur en série qu'il convient d'éliminer.

La famille Dunphy est à l'image du père. La mère et les enfants sont arriérés, à la limite de la débilité. Vivant dans la crasse et le désordre, ils sont manipulés par un environnement de bigots qui élèveront leur père au rang de héros, et plus tard, de martyr.

La cible du tueur, le docteur Augustus (ou Gus) Vorhees, était un médecin obstétricien laïque aux idées progressistes, convaincu du droit des femmes à disposer librement de leur corps. A l'écoute de celles qui, pour une raison ou pour une autre, se refusaient à mettre au monde un enfant non désiré, il pratiquait des avortements depuis des années. Lors de sa mort, il exerçait dans le centre spécialisé d'une petite ville du Midwest américain, dans un contexte ayant légalisé l'interruption de grossesse.

La disparition du mari et du père provoque un cataclysme dans la famille Vorhees. Les enfants découvrent que l'engagement de Gus l'exposait à des menaces qu'il connaissait, qu'il assumait en toute conscience et qui faisaient vivre sa femme dans l'angoisse. Leur reste le sentiment d'avoir été abandonnés par leur père au profit de ses convictions. Ou de ses ambitions.

Les deux familles vont suivre, chacune de son côté, la longue procédure judiciaire qui conduira Luther Dunphy dans le couloir de la mort. Deux personnages principaux émergent peu à peu : les filles cadettes des deux familles, Dawn Dunphy et Naomi Vorhees. Leurs profils s'opposent, mais elles sont toutes les deux anéanties par l'acte du début et par ses prolongements. A mon étonnement, j'ai été captivé par l'évolution et le parcours de ces deux jeunes filles, puis jeunes femmes, jusqu'à l'inattendue et émouvante fin concoctée par l'auteure, douze ans après le meurtre… le talent d'une romancière !

Pour attester d'une complexité difficile à assumer par les uns et par les autres, l'auteure n'hésite pas à prendre du recul et à peindre dans toute sa largeur une société américaine en butte à de nombreux problèmes sociaux et sociétaux, parmi lesquels le racisme et l'intolérance dans le pays profond, périphérique et rural. Les paradoxes ne manquent pas, notamment le constat que les conservateurs « pro-vie », hostiles à l'avortement, sont de fervents partisans de la peine de mort, à laquelle les progressistes « pro-choix », sont opposés par conviction.

Finalement qui sont les martyrs ? A l'approche de son exécution, Luther Dunphy se voit en martyr au service de Jésus. C'est aussi en martyr que l'érigent ceux qui le soutiennent. On est dans la même logique monstrueuse que celle des islamistes radicalisés qui tuent au nom d'Allah. le docteur Vorhees pourrait être considéré comme un martyr de la lutte pour la libération de la femme. Et que dire des enfants dont les pères ont sacrifié l'équilibre, au profit d'une cause qui leur paraissait essentielle et qui ne comptait peut-être que pour leur propre ego ?

Le martyr n'est qu'un « idiot suicidaire », selon un personnage apparaissant dans la seconde partie du livre. A chacun d'en penser ce qu'il croit bon.

L'écriture de Joyce Carol Oates est ample, déliée, le ton est vivant, varié, adapté aux narrateurs auxquels elle prête sa plume. Des passages en italique lui permettent de mettre en perspective plusieurs narrations, plusieurs moments, plusieurs points de vue. On sent que les mots lui viennent facilement, trop facilement peut-être, inspirant quelques redondances, quelques détails en trop, quelques longueurs. Fallait-il huit cent cinquante pages ?

Lien : http://cavamieuxenlecrivant...
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Un livre de JC Oates que je m'étais promis de lire à sa sortie, et puis le temps a passé. Vive cette lecture commune qui m'a permis d'enfin le découvrir. Et Merci à mes compagnons sur cette aventure

Un thème qui reste d'actualité, malheureusement et plus encore en cette année où le risque de voir Trump redevenir président est grand. le droit des femmes à choisir d'avorter était déjà en 2019 remis en cause dans beaucoup d'états américains, et par de nombreux politiques. La situation ne s'est pas améliorée.

L'autrice choisit de parler de ce thème en nous plongeant dès le départ dans la tête de celui qui se considérera comme un martyr, celui qui pense que Dieu l'a investi d'une mission, celui qui croit que tuer sur un parking deux hommes désarmés est un acte de guerre et en tant que soldat ne devrait pas être puni pour cela. Cette première partie m'a semblé bien longue, j'avais du mal à me replonger dans le livre tellement cette situation, cet angle de vision me mettaient mal à l'aise. Et c'est là tout l'intérêt d'une lecture commune. Les encouragements de mes amis, souvent en avance dans leur lecture, m'ont permis de persévérer.

J'ai ensuite beaucoup aimé cette lecture où j'ai retrouvé tout l'art de l'autrice pour analyser et disséquer d'abord le parcours qui va mener au meurtre, et ensuite l'impact de cet évènement et ses retentissements sur la vie des familles qui y sont mêlées.

Après cette première partie malaisante, elle nous parlera dans un premier temps des femmes, celles du médecin assassiné, celle du tueur, dans les mois qui verront le procès ou plutôt les procès se dérouler. Celles qui seront au premier plan ensuite seront les filles de ces deux hommes, sensiblement du même âge, au devenir bien différent. Aucune, ni les femmes , ni les filles ne sortiront indemnes de cet évènement qui les marquera longuement, leur vie ne sera jamais la même. Et j'ai aimé suivre leur évolution, leurs tentatives pour sortir de cette mécanique infernale, pour laisser derrière elle ce passé. Les remous sans fin de ce meurtre retentissent longtemps dans leurs vies.

L'autrice nous les décrit avec un regard acéré, une précision et une sens du mot qui va faire mouche, étonnants. Son écriture sait se mettre au service de chacun de ses personnages. Et procédé usuel chez elle, l'utilisation de passages en italiques pour mettre en perspective certains instants apporte par moments un contrepied apprécié.
C'est pour moi la grande force de JC Oates, cette aptitude à mettre à nu ses personnages, à décortiquer leurs sentiments, à traquer leurs faiblesses et parfois, mais parfois seulement leurs forces. Elle n'est pas une autrice de l'optimisme, et les lumières restent bien faibles dans ses romans, mais quelle dextérité à peindre la dureté de certaines vies. Elle me donne l'impression par moments d'observer des insectes se débattre dans une toile d'araignée, infiniment, sans aucune chance d'y échapper.
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Commençons par le plus evident: c'est une somme, un livre à l'ambition folle, un roman au sens le plus noble du terme, qui vous oblige à entrer en empathie avec un fanatique, balaie vos évidences et fait feu de tout bois. Oates sait tout faire: raconter un combat de boxe? Les doigts dans le nez. L'épouvantable mise à mort d'un condamné ? Il suffit de demander. Un accident de la route ? C'est parti mon Kiki.
Voilà, je pense, ce qui m'empêche d'être bouleversée par les romans de J.C. Oates: cette technique qui ne se fait oublier qu'à de trop rares moments, cette qualité « made in America » d'immense faiseuse; oui mais les coutures sont trop visibles pour que j'y voie autre chose que de la littérature. De la littérature et non de la vie.
Je m'explique.
Un homme tue le médecin d'un centre de planning familial qui pratiquait des avortements. A partir de ce meurtre initial, Oates croise les destins des deux familles avec la volonté de traquer les hypocrisies des deux camps: le camp des croyants faibles devant la chair vs celui des démocrates prompts à réclamer la peine de mort, les premiers comme les seconds barricadés dans leurs certitudes d'appartenir au camp du Bien et se refusant à parler à ceux d'en face, rejetés d'un bloc comme étant le Mal: « Pas de dialogue avec l'ennemi » explique le médecin à sa famille.
Mais pour mieux montrer le nécessaire vacillement des certitudes, fallait-il créer tant de rapprochements binaires?
Luther a déçu ses parents. Gus a déçu ses parents.
Luther est un bon charpentier désintéressé. Gus est un bon médecin désintéressé.
Luther aime sa femme mais la trompe. Gus aime sa femme mais la trompe.
Luther met sa mission au-dessus de sa famille. Gus met sa mission au-dessus de sa famille.
Luther se prend pour le sauveur. Gus aussi.
Luther est prêt à tuer sa femme pour son bien. Gus ne permet pas à sa femme d'être indépendante pour mieux aider les femmes à être libres.
La femme de Luther et celle de Gus se battent contre les mouches.
Le fils aîné de Luther a le même âge que le fils aîné de Gus. Leurs filles aînées aussi. Les relations conflictuelles entre frère et soeur sont les mêmes.
Ils ont d'autres enfants mais Oates se désintéresse du reste des fratries.
On a proposé à la femme de Luther d'avorter. La mère de Gus a voulu avorter.
Les deux garçons trouvent un équilibre dans le couple. Les deux filles cherchent leur père.
Luther a une fille handicapée. Gus a un frère handicapé.
La femme de Luther ne peut plus s'occuper de ses enfants. La femme de Gus non plus.
Etc.
Vous trouvez cette liste pénible à lire? Moi aussi.
Quant à la fin, elle rassemble celle qui combat (pour le championnat de boxe) et qui est la fille du meurtrier par arme à feu (en anglais tirer = to shoot) avec celle qui filme (en anglais filmer se dit également to shoot), fille de celui qui se battait pour les droits des femmes. Non mais c'est vrai! Pourquoi se détester alors qu'on est tous pareils?
Donc voilà. Ce n'est plus un roman, c'est une équation. Ou un syllogisme. C'est propre, bien fait, tiré au cordeau.
Prévisible.
Ennuyeux.
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Ah, cette JCO ! Dans quoi m'a-t-elle encore embarquée ! 840 pages, tout de même, où elle plonge dans la psychologie d'un assassin « au service de Jésus », de sa famille (sa femme, notamment, et sa fille ainée), ainsi que de la famille de la victime, un médecin pratiquant des avortements dans un centre de l'Ohio, dans une petite ville au fin fond de l'Amérique (psychologie de la femme et de la fille également).

Connaissant cette auteure que j'adore, je m'attendais donc à tout ça : faits bruts maintes fois mâchés et remâchés par les divers protagonistes. On part du l'avant-crime et on arrive à une dizaine d'années plus tard, lorsque les petites filles de l'assassin et de la victime sont devenues des jeunes filles appréhendant leur destin tronqué à la base. le tout en passant par le procès, la dépression des familles respectives, et la lente reconstruction des personnalités se bâtissant sur des ruines.

Les thèmes : l'avortement (nous sommes en 1999, et la loi sur l'avortement est encore précaire), la religion (ah les USA et leur souci de tout ranger dans la case « le Bien » et « le Mal » posée par la religion omniprésente !), la maternité (le veuvage a-t-il une conséquence sur la relation aux enfants ?) et la relation père-fille (comment survivre à la mort du père ? ), la peine de mort (faut-il exécuter un « défenseur des plus faibles », en l'occurrence un « assassin d'assassin » de foetus ? )…et…oui, la boxe féminine.

Ce roman magistral brasse tout cela avec l'écriture hyper empathique de JCO.
Mais voilà, j'ai été beaucoup moins enthousiaste que pour ses autres romans, m'agaçant des lenteurs surtout quand elle se place dans le chef de l'assassin au nom de Jésus. Je pense qu'il ne faut plus me parler de religion pour le moment, j'en ai assez entendu ! Et puis quand même, la suite m'a paru vraiment longue à lire, comme si JCO, telle une Pénélope, défaisait le fil de son écriture pour la recommencer encore et encore.

Alors, qui sont ces martyrs, finalement ? Ceux qui s'engagent à mettre des bâtons dans les roues des avorteurs, quitte à se condamner eux-mêmes à l'emprisonnement et la peine de mort ? Ceux qui servent la cause des femmes, quitte à risquer leur vie ? Ou les familles des uns comme des autres, obligées de subir les choix et les conséquences des choix de l'homme ?

Si vous êtes prêts à vous immerger dans un roman tortueux, tourmenté, et long, entrez donc dans la ronde de ces martyrs.
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Quand Luther Dunphy perd une de ses filles dans un accident de voiture et qu'il assiste à la lente dépression de son épouse, il se tourne vers le professeur Wohlman qui milite contre l'avortement. Il devient alors Soldat de Dieu et fait sien le combat fanatique des pro-vies. Au point d'assassiner le docteur Augustus Voorhees, le 2 novembre 1999, devant une clinique pour femmes de l'Ohio. « L'Armée de Dieu sait que chaque meurtrier avorteur tué signifie des vies d'enfants sauvés. » (p. 18) Luther est jugé et condamné à la peine capitale. Pour les épouses et les enfants des deux hommes, il faut désormais vivre avec un poids énorme : être apparenté à un assassin ou à un assassiné, ce n'est pas une identité facile à afficher.

Au gré de témoignages croisés sur les deux hommes, faits par des parents, des amis, des témoins ou des professionnels, et au fil du récit de leurs deux existences, Joyce Carol Oates dresse deux portraits fictifs qui symbolisent les camps qui s'opposent avec acharnement autour de la question de l'avortement. Pro-vie ou pro-choix, il semble ne pas exister de demi-mesure. « Défendre les enfants à naître. Un homicide justifiable. » (p. 24)

À la lecture d'une phrase de la quatrième de couverture, je m'interroge. « le lecteur est ainsi mis à l'épreuve, car confronté à la question principale : entre les foetus avortés, les médecins assassinés ou les « soldats de Dieu » condamnés à la peine capitale, qui sont les véritables martyrs américains ? » Pour moi, les premiers martyrs, ce sont les femmes à qui on refuse encore le droit de décider, à qui on impose une loi divine supérieure pour contrôler leur corps.

Lire ce texte a été perturbant. Je suis femme, je suis croyante, je suis pro-choix. Ce roman fait froid dans le dos parce qu'il dit le vrai, l'actuel, le concret. Si une dystopie comme La servante écarlate peut faire frémir dans ce qu'elle a de très plausible, le texte de Joyce Carol Oates n'a pas besoin d'être imaginaire pour être terrifiant.
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Tout autant que les fusillades et les discriminations raciales, le thème de l'avortement est au coeur de l'actualité américaine depuis des décennies... JCO aborde ici un de ces aspects de ce continent très contrasté, où des points de vue extrêmes continuent de s'affronter avec une réelle violence.
Il y a, d'un côté, le Dr Augustus Voorhees qui pratique les avortements - mais suit également les grossesses délicates pour les mener à terme, ce que ses détracteurs oublient - et bien que conscient qu'il met sa famille et lui-même en danger, continue à pratiquer, parce qu'il est dans son droit, tout simplement.
De l'autre, Luther Dunphy, pratiquant rigoriste, soldat de Dieu, qui un matin le tue pour sauver la vie de tous ces embryons menacés.
Chacun d'eux est de bonne foi, chacun d'eux justifie son acte sous couvert d'idéalisme. Et autour de cet assassinat, la région est divisée.
JCO nous entraîne dans les années qui suivent auprès des deux familles des protagonistes et notamment de chacune des deux filles de Voorhees et de Dunphy.
Naomi et Dawn grandissent toutes les deux meurtries, haineuses, et convaincues de la légitimité des actes de leur père respectif.
C'est un roman dense, profond, complexe, et un nouveau sujet que JCO aborde une fois encore, qui nous fait réfléchir, entrer au coeur de ce conflit américain.
Pour ma part, j'ai particulièrement aimé la complexité du personnage de Luther Dunphy car c'est celui qui a suscité en moi le plus de questions. En revanche, le portrait de sa fille Dunphy, un vrai personnage de JCO tel qu'elle les affectionne dès qu'elle aborde l'adolescence, m'a perturbée et ne m'a pas convaincue, au moins au début.
Je reste un peu sur ma réserve sur ce livre, pas tellement au niveau du thème présenté encore une fois de manière magistrale qu'au niveau de certains personnages en eux-mêmes qui sont trop proches de ceux des autres romans de l'auteure. J'aurais voulu une autre complexité à ce niveau-là, quelque chose de nouveau.
A lire, quand même!



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Depuis l'élection de Donald Trump, même si l'on ne s'intéresse pas aux États-Unis, il a bien fallu admettre qu'il y avait au moins deux Amériques. Comme n'importe quel résultat électoral surprenant, quand on se penche dessus, on réalise bien vite que ce n'est pas arrivé au petit bonheur la chance, sans évènement annonciateur.

Ce roman débute en novembre 1999, quand un soldat de Jésus tue un médecin avorteur.
Les deux seront respectivement élevés au rang de martyr par leurs supporters.

Un roman long.
Il n'aurait pas fallu moins de pages pour commencer à entrevoir le chemin qui peut mener à ce genre de drame. Surtout vu de France.

Un roman impartial.
Il n'aurait pas fallu que Joyce Carol Oates prenne parti. La conclusion est toujours mieux mémorisée quand on y arrive par son propre cheminement. Et sans haine pour aucun des deux protagonistes, qui saperait au passage le travail consciencieux de l'écrivain, c'est encore plus solide.

J'ai beaucoup apprécié la façon dont Joyce Carol Oates aborde ce sujet. Pas d'excès, pas de bourrage de crâne, pas de jugement.
Un livre qu'on peut mettre entre toutes les mains.
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Joyce Carol Oates a écrit "un livre de martyrs américains" alors qu'elle avait plus de 80 ans. Peut-être fallait-il cette maturité pour pouvoir aborder ce thème si clivant, si controversé que celui de l'avortement qui déchire la société américaine.
Luther Dunphy croit que Jésus l'a chargé de tuer le "meurtrier avortionniste", le Docteur Gus Voorhees. Chaque partie croit avoir la vérité absolue.
On va suivre la vie de ces deux hommes avant puis après le crime et les conséquences sur leur famille.
L'auteure fait le choix de suivre plus précisément la fille de la victime et celle du meurtrier.
Il est très difficile de s'attacher aux personnages.
Le style est presque clinique, exigeant, avec quelques longueurs mais qui ne tombe jamais dans le simplicité.
Un livre provocateur qui incite à la réflexion et, comme d'habitude, avec JC Oates parfaitement écrit.
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Un meurtre : celui du docteur Augustus Voorhees, un spécialiste qui pratique l'avortement dans une petite ville de l'Ohio, assassiné par Luther Dunphy, un ouvrier couvreur, père de famille sans histoire.
L'auteure commence par nous plonger dans la vie de Luther, enfant de la classe moyenne basse américaine. C'est un père rongé par la culpabilité après la mort de sa fille de 3 ans, trisomique, à la suite d'un accident de voiture. Sa femme, en pleine dépression, abuse d'anxiolytiques. Luther semble avoir une tendance psychotique. C'est homme à la fois naïf, inconscient et dangereux que Oates nous dépeint.
La psychologie du personnage est d'une finesse rare.
Luther se raccroche à son église. Accompagné de son épouse, il assiste à une conférence du professeur Wohlman, un activiste anti-avortement.
Ensuite, nous découvrons la famille du docteur Voorhees, un humaniste dévoué à la cause des femmes, à la limite du sacrifice, négligeant ses proches.
le paradoxe de la situation, le réaliste des descriptions des rapports humains rendent l'histoire totalement addictive.
C'est véritablement une immersion dans la psyché humaine, dans l'univers de deux familles que tout oppose, au coeur de l'Amérique profonde.
Un livre un peu trop long, comme toujours pour cet auteure, qui se perd parfois en digressions inutiles à mes yeux, mais un vrai travail de patience et de documentation.
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Devant un centre d'avortement, Luther Dunphy tire à bout portant sur un médecin avorteur, le Dr Augustus Voorhees.

Pour lui, ce médecin est un assassin et les femmes qui avortent des meurtrières aussi car pour lui, quelque soit la raison de la grossesse (viol, inceste, raisons médicales,…), l'avortement est un péché.

Le procès est facile : Luther coupable et au pilori ces fous de Dieu qui agissent en Son Nom, pour Lui, à Sa place, comme si Dieu n'était pas assez grand pour punir (en partant du principe établi que Dieu existe).

Parce que même si vous n'êtes pas une enragée de l'avortement, vous accordez quand même aux femmes de disposer de leur corps et de ce qui y pousse, contre leur gré. Oui, on tue un être vivant mais ceci est l'affaire de celle qui l'accompli, pour les raisons qui lui sont propres et que nous ne connaissons pas.

Pourquoi ? Parce que le grand philosophe qu'est Patrick Juvet n'a pas posé la bonne question : où sont les hommes (les pères) ?? Pour faire un enfant, il faut un homme et une femme, ça reste toujours la bonne vieille méthode éculée de l'ovule et du spermatozoïde.

Mais lorsque la femme tombe enceinte des oeuvres des coups de rein de monsieur (qu'elle soit consentante ou pas), ce dernier n'est jamais avec elle à la clinique de l'avortement ! Comme si ensuite, c'était le problème de madame, rien que le sien. Facile, non ?

Et puis ensuite, si il faut, on frappera la femme qui a avorté ou l'Église la jugera, sa famille aussi, même si elle a été victime d'un viol…

En commençant ce roman, mon procès était fait, plié, terminé d'avance, avant même que Luther Dunphy, le coupable, ne présente les circonstances de l'assassinat de celui qu'il considérait comme un meurtrier (le Dr Augustus Voorhees, le médecin avorteur).

Il aurait été plus facile si tout avait dichotomique : les bons d'un côté et les mauvais soldats de Dieu de l'autre.

Cela n'aurait pas été réaliste, bien évidemment, mais pour ma conscience, cela lui aurait évité d'être tiraillée à hue et à dia et de tourner en rond avec cette question obsédante : qui sont les martyrs américains ? Les foetus avortés, les médecins qui pratiquent les avortements et qui risquent de se faire tuer ou les fous de Dieu qui flinguent les médecins ?

Peut-être que tout simplement, les martyrs sont les femmes qui se retrouvent enceintes sans l'avoir demandé puisque certains considèrent encore la contraception comme un péché.

Ces femmes aux prises avec des maris libidineux qui se comportent comme des lapins en rut ; ces femmes/jeunes filles/gamines victimes de prédateurs sexuels qui les ont violées et qui courent toujours ; ces femmes pauvres qui ne savent pas comment elles nourriront une bouche de plus… Une fois de plus, aucun homme pour les épauler.

L'auteur déroule la vie de deux familles : celle de l'assassin et celle de l'assassinée. Cela vous fait plonger dans leur vie, dans l'enfance de l'assassin et même si à la fin du récit vous le considérez toujours coupable, vous saurez au moins le pourquoi du comment il en est arrivé là. Un éclairage est toujours bon pour l'esprit.

L'auteure n'est pas tendre avec l'Amérique et la mentalité rétrograde de certains qui ne jure que par Dieu. Les croyances sont l'affaire privée de chacun, je ne les rejette pas mais certains vont trop loin et on a l'impression de ne pas se trouver en Amérique, pays qui se veut libre, tolérant et progressiste (pourquoi vous toussez ?), mais dans le fin fond du fin fond des âges sombres dont nous avons émergés.

Ce livre n'est pas facile à lire car il est profond, il ne juge personne, il déroule les faits, mais certains passages sont des plus horribles, comme les foetus dans des sacs poubelles et l'injection létale.

Mais au moins, il a le mérite d'aller au fond des choses et de nous montrer les conséquences de l'acte d'assassinat sur les familles, que ce soit celle du tireur (Dunphy) que celle de la victime (Voorhees).

Entre nous, j'ai trouvé que les passages consacrés à la famille Dunphy plus intéressants que ceux consacrés à la famille Voorhees car plonger dans le quotidien difficile d'une famille pieuse et pas riche était plus enrichissant que celle de la famille instruite. Dawn Dunphy m'a profondément plus marqué que Naomi Voorhees.

Mon seul bémol sera pour la longueur du roman (864 pages) : 150 pages de moins lui aurait évité cette impression de lourdeur qu'il donne par moment, surtout lorsque nous sommes avec la famille Voorhees.

À certains moments de ma lecture, j'ai tiré la langue comme un coureur non entraîné (qui a dit non dopé ?) qui grimperait le mont Ventoux. Lui s'accrochera à une voiture, moi j'ai sauté quelques passages loin et insipides.

Un roman qui analyse brillamment et de manière pointue une société fort complexe sans la juger.

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