Anachronismes urbains

Juillet de n'importe quelle année. le bitume se fait manger la croûte par une armée de voitures familiales. C'est que le Sud de la France a un pouvoir d'attraction inégalable pour les doryphores du Nord de l'Europe. Tel un cliché, c'est souvent Monsieur qui est au volant. le teint blanchâtre et les chaussettes remontées dans les indémodables sandales d'été. Il est investi d'une mission de la plus haute importance: amener sa famille d'insectes d'un point A à un point B. Sur le siège passager, Madame dans sa petite robe à fleurs cache ses cernes derrière d'épaisses lunettes noires. La bouche baveuse, et la joue droite écrasée contre la vitre latérale, est-ce qu'elle fait un AVC? Non. Elle s'endort simplement dans la position typique des voyageurs routiers.

Les marmots, sur la banquette arrière eux, sont sous tranquillisants numériques. Huit heures de Disney ça vous assomme un gosse et permet d'éviter la petite musique du “On-est-bientôt-arrivés ?”

Tel une transhumance de moutons, la famille Doryphores se retrouve aux côtés d'autres coléoptères sur l'autoroute du soleil. Bien souvent à l'arrêt sur l'asphalte, en plein cagnard, cette longue procession de camping-cars est un mouvement de population qui n'a rien à envier aux grandes migrations d'oiseaux. Il serait, peut-être, intéressant de faire une sociologie de ces vacanciers. Qui sont-ils ? Pourquoi vont-ils là et pas autre part? Fuient-ils la vie urbaine ? Mais, en fait, qu'est-ce que l'urbain ?

Cette dernière question est le coeur de l'ouvrage Anachronismes urbains où Jean-Marc Offner tente de déconstruire les slogans érigés en dogmes et qui nous empêchent de penser la Ville dans sa globalité. Pour résoudre les problèmes de mobilité: le transport collectif! Contre la crise du logement: tous propriétaires ! Il faut lutter contre l'étalement urbain ! Pas de vivre-ensemble sans mixité résidentielle !

Analyse.

L'auteur français s'engouffre, d'entrée de jeu, dans le vif du sujet en évacuant la confusion qu'il peut y avoir entre la ville et l'urbain afin d'élargir notre champs de vision. Là où la construction de la ville semble être une histoire de spécialistes qui se résume presque exclusivement aux métiers d'architectes et d'urbanistes, Jean-Marc Offner considère l'urbain comme un phénomène nettement plus large dont on ne peut nier l'importance. Un changement de paradigme s'impose.

“ Par facilité de langage, l'emploi du mot ville perdure, même si cela prête à sourire au regard de son étymologie: une réunion de maisons de campagne ou de villas. On peine encore à s'extraire de l'image ancienne des villes denses d'Europe, enserrées dans des remparts devenus boulevards, celles que les touristes visitent et photographient. le terme de ville est tellement commode qu'il participe des persistances rétiniennes nous empêchant de prendre acte de l'avènement de l'urbain, un urbain des modes de vie plus que des cadres de vie, de la quotidienneté plus que de l'esthétique, d'un rapport au monde plus que d'une situation géographique. »

L'une des croyances combattues par l'auteur veut que le transport collectif résoudrait tous les problèmes de mobilité. En effet, en 2020, nous avons encore tendance à voir les problèmes de déplacements par la lorgnette d'un dualisme primaire, à savoir la voiture contre le transport collectif alors que la mobilité est devenue plurielle (vélos et trottinettes électriques en location, co-voiturage, car-sharing, etc). Si je suis d'accord avec le principe développé par Offner, il me semble que le débat d'une mobilité plurielle se joue aussi à un autre niveau: celui de nos libertés individuelles ! Ainsi il ne faut pas être devin pour comprendre que cette nouvelle manière de se déplacer ne peut fonctionner qu'avec l'aide d'une technologie algorithmique efficace. Je t'offre une solution de mobilité diverse et complète uniquement si tu deviens une data. La technologie numérique est-elle devenue le nouvel horizon indépassable? Un nouveau … dogme ? 😉

Sur le plan de l'habitat Jean-Marc Offner n'hésite pas à ruer dans les brancards en s'attaquant à l'injonction Tous propriétaires et en avançant des chiffres interpellants:

“ Les pays comptant beaucoup de propriétaires sont aussi ceux qui connaissent des difficultés économiques conséquentes: Portugal, Espagne, Grèce, Italie, sans oublier les petits pays de l'est, de la Moldavie à l'Albanie. Quant aux pays locataires (Allemagne, Suisse, Autriche), ils se portent plutôt mieux que les autres en matière de logement, voire de santé économique et sociale. La France se situe entre les deux catégories. “

L'auteur français nous explique, sources à l'appui, pourquoi forcer les citoyens à s'endetter et se surendetter pour devenir propriétaire est une fuite en avant qui se paie à l'échelle nationale. Alors que le rêve de devenir propriétaire devient de plus en plus inaccessible, il n'y a jamais eu autant de propriétaires en France. Et les analysent démontrent qu'une politique qui incite fortement à devenir propriétaire ne participe en rien à la résolution de la crise du logement.

Outre les problématiques de mobilité et d'habitat, le livre Anachronismes urbains déconstruit, pendant 197 pages, les phrases-slogans qui prennent en otage tout débat contradictoire. Jean-Marc Offner les remet en perspective des chiffres ainsi que de nombreuses sources. Même si l'on peut ne pas être d'accord avec l'entièreté des développements faits par l'auteur, il a le mérite de jeter un pavé dans la marre de nos idées reçues en ce qui concerne la vie urbaine. Et ça, c'est déjà pas mal dans un monde qui tend à lisser les vrais débats d'idées.

N.B. Ce livre aborde aussi un large volet quant à la gouvernance et aux politiques françaises liées aux enjeux de l'urbain mais n'étant pas français j'ai délibérément décidé de ne pas m'étendre sur une thématique que je connais que très peu.
Lien : https://lespetitesanalyses.c..

C'est un bain de fraîcheur intellectuelle que s'offre le lecteur qui aborde cet ouvrage indispensable, malgré ses faiblesses.
La remise en cause de certaines idées reçues qui, encore aujourd'hui, forment le socle de la pensée de ceux qui, responsables nationaux ou locaux, déterminent les modes d'actions sur la ville, est tout à fait salutaire. Et sur bien des points, comme les déplacements, encore pensés en réalité, malgré un discours sur "la mobilité" à travers le seul prisme du transport collectif, ou le primat de la propriété sur la location, ou encore le discours sur l"étalement urbain", ou bien sur le mythe de la mixité résidentielle ou d'autres aspects encore, M. Offner apporte un regard fondé sur une analyse documentée qui oblige le lecteur à repenser ses propres visions de manière totalement salutaire et en lui donnant les éléments d'information lui permettant de se forger sa propre analyse.
C'est ce qui m'a conduit à donner à ce livre très éclairant une note élevée, malgré ses faiblesses, qui sont de deux ordres.
Les unes sont malheureusement très fréquentes dans tous les ouvrages sur l'action publique : même quand, comme ici sur bien des points, l'analyse est très lucidement menée, documentée, historiquement appuyée, le lecteur reste très frustré dès que la question est abordée des réponses possibles aux difficultés soulevées et de la manière alternative possible de faire. On tombe alors dans des généralités sans le moindre caractère opérationnel, avec des injonctions comme "réconcilier les horizons de la ville et de la campagne" ! (mais encore?)
La deuxième faiblesse est que, à mon sens, l'auteur aurait dû s'en tenir, dans sa déconstruction de mythes, aux domaines qu'il était réellement en mesure d'analyser de manière factuelle, et qui auraient déjà fait la matière d'un ouvrage d'une grande richesse et très instructif. Ce n'est visiblement pas le cas, et il s'aventure malheureusement dans des horizons où il n'est guidé que par sa seule intuition, intéressante, certes, mais qui ne mérite pas le même ton de certitude que les domaines vraiment étudiés et documentés ; il en est ainsi, par exemple, de sa critique sévère des tentatives de rationalisation de la structuration institutionnelle des territoires où la systématisation de sa volonté de déconstruction de mythologies de notre époque le conduit à la mise en cause de toute vision territoriale (sans craindre les contradictions, car en même temps, il plaide pour des fusions communales). Cette vision demeure, à elle seule, certes insuffisante, car, comme le livre le démontre bien, le territoire est loin de résumer les ressorts de la vie et de l'action urbaine ; et aucune solution territoriale n'est entièrement cohérente, mais elle est tout de même indispensable. Son approche dans certains domaines ne peut donc être ressentie que comme purement idéologique, et sa tentative d'argumenter alors à partir d'exemples étrangers tombe parfois à plat pour ceux qui les connaissent (comme sa vue erronée du "Gegenstromprinzip" de la planification allemande, qui, en réalité, n'impose nullement des contraintes réciproques entre les documents locaux et régionaux, mais, exactement comme chez nous, la nécessité de participation des acteurs des uns à l'élaboration des autres, et la prise en compte réciproque des contraintes essentielles de tous dans cette élaboration).
Bref, un livre indispensable, mais à lire, mais c'est le cas de tout ouvrage dans ce domaine, avec un esprit éveillé.

Nous avons tous des réponses plus ou moins toutes faites à des problèmes qui se posent à nous ou à la société. Et puis, lorsque l'on creuse un peu on s'aperçoit que ce n'est pas aussi simple et surtout pas simpliste. La ville et ses enjeux (transport, mixité,...) ne fait pas exception.
À partir de phrases dogmatique qui nous viennent souvent à l'esprit comme par exemple le très classique "pour résoudre les problèmes de mobilité: le transport collectif !" ou le plus discret "pour mieux gérer les territoires, changeons leur périmètre" , Jean-Marc Offner nous conduit à prendre le problème différemment.
Il argumente pour déconstruire les dogmes mais peine un peu je trouve à aller au delà de la théorie lorsqu'il propose une autre manière de faire et de réfléchir. J'aurais aimé un plus d'exemples concrets pour illustrer les concepts et mieux me les représenter.
Il n'empêche que très documenté et de lecture abordable (c'est un essai quand même, donc il faut un peu se concentrer !) cet ouvrage est très intéressant pour qui s'intéresse au développement des villes et aux choix d'urbanisme pour concilier social et environnement.

Merci à Babelio et aux éditions SciencePo Les presses pour cette masse critique

J'ai reçu ce livre dans le cadre de masse critique. A la base, j'essaie toujours de prendre des livres qui diffèrent de mon univers. Cependant, cette fois-ci, j'ai décidé de demander Anachronismes urbains de Jean Marc Offner. Pourquoi? Je travaille dans le domaine de la mobilité (en tout cas les mobilités douces) et il y a une bonne partie qui traite de ce sujet. Je conseille ce livre à toutes les personnes qui s'interrogent sur des sujets tels que la mobilité (notamment les transports publics), l'aménagement du territoire.
Des chiffres, des idées sont énoncées. Je ne suis pas forcément d'accord avec tous les points de vue de l'auteur mais cet essai a au moins l'intérêt de nous faire réfléchir. Il faut faire taire les idées reçues !
Si vous souhaitez donc vous renseigner sur l'urbanisation en France, je vous conseille cet ouvrage mais je vous conseille également de lire d'autres livre ou essai sur ce sujet afin de vous faire votre propre opinion des enjeux.

Stimulant « Anachronismes urbains » de Jean-Marc Offner. Tordre le cou à 7 « dogmes » enkystés dans le débat public et réussir à penser une ville « faite de vides autant que de pleins, de liens autant que de lieux et de fonctionnements dynamiques autant que de structures statiques ».