[...] ... Ce que je trouvais alors le plus étrange ici, c'était l'heure des repas. Cela venait peut-être du fait que la cuisine et la salle-à-manger se trouvaient au sous-sol.
L'église et l'institut Hikari, construits en bois à l'occidentale, sont assez vieux. Leur ancienneté est palpable dans chaque planche de bois, dans chaque châssis de moustiquaire, dans chaque carreau de faïence. On a multiplié les constructions supplémentaires, aussi l'ensemble est-il extrêmement compliqué et même de l'extérieur il est difficile d'en saisir la forme générale. C'est encore plus imbriqué à l'intérieur, où des couloirs sinueux se succèdent interminablement et où l'on trouve un peu partout des petites dénivellations.
En suivant le couloir labyrinthique qui part du hall d'entrée de l'institut, on réalise soudain que l'endroit où l'on se trouve est au premier étage. On surplombe alors la cour qu'on aperçoit sous les fenêtres.
Au bout du couloir le sol est découpé de la taille d'un tatami en bordure duquel on aurait fixé une solide poignée métallique. En tirant sur la poignée, cette partie du couloir se relève avec un grincement sec. On fixe l'anneau à un crochet qui pend du plafond, et l'on se retrouve avec le vide à ses pieds. C'est de là que part un escalier abrupt menant à la cuisine et à la salle-à-manger.
Tous les enfants aimaient cet escalier secret. Quand venait l'heure des repas, c'était à qui soulèverait la trappe, et cela donnait presque toujours lieu à des disputes. Les enfants s'engouffraient l'un derrière l'autre dans l'escalier, sous le regard sévère du directeur et de la puéricultrice. ... [...]
Ses sanglots si violents qu’ils faisaient craindre une quelconque rupture à l’intérieur de son corps, assouvirent mon « sentiment de cruauté ». J’espérai intensément la voir pleurer encore plus. J’étais d’autant plus heureuse que je pouvais, comme ce jour-là, goûter pleinement ces sanglots pour moi toute seule, et que personne n'était présent pour la prendre dans ses bras afin de la consoler et de faire cesser ces sanglots, et enfin parce qu’il s’agissait d’un bébé à qui on ne pouvait rien expliquer.
J’y demandai à consulter tous les journaux à partir du quatorze février et examinai un à un les articles des éditions locales. […]
Il y avait des affaires en tout genre. Une femme s’était intoxiquée en repeignant sa salle de bain ; un écolier s’était retrouvé enfermé dans un réfrigérateur abandonné sur une décharge ; on avait arrêté un escroc au mariage de soixante-sept ans ; une vieille femme avait dû être hospitalisée pour avoir mangé un champignon hallucinogène. Le monde semblait connaître des difficultés dont je n’avais jamais soupçonné l’existence.
Tout en suivant son profil du regard, je pris conscience du fait que je ne pourrais plus rien lui demander. Ni caresses, ni protection, ni chaleur. Il ne plongerait sans doute plus jamais dans ma propre piscine troublée par des pleurs d’enfants orphelins. Des vagues de regrets arrivaient sur moi, doucement mais sans relâche.
La piscine
(…)
Le figuier qui avait été planté à l’emplacement du vieux puits ne donnait plus de figues depuis longtemps et il avait été détruit. A la place, il ne restait plus qu’un petit monticule de terre.
Rie jouait avec une petite pelle pour enfants au sommet de ce monticule. Je la surveillais de loin, assise sur une caisse de bouteilles de jus de fruits.
Ses jambes qui dépassaient sous sa robe de chambre étaient blanches et lisses comme une motte de beurre. Les cuisses des bébés, si différentes soient-elles, foncées et parsemées de taches, irritées par une éruption quelconque, ou couvertes de stries tellement elles sont potelées, attirent toujours mon regard. Les cuisses des bébés deviennent érotiques à force d’être sans défense, et semblent d’une fraîcheur étrange, comme si elles appartenaient à un autre être vivant.
(…)
La pureté de cette confiture qui brillait en transparence à la lumière du néon me faisait penser à une froide bouteille de produit chimique .Dans cette bouteille de verre incolore tremblait le produit capable de détruire les chromosomes du fœtus.
-C’est prêt.
Je me suis retournée en tenant fermement les poignées du chaudron. -Tiens , mange.
Je lui ai proposé la confiture . Elle l’a regardée un moment avant de se mettre à manger en silence.
Même si on est triste quand on vit seul, ce n’est pas à cause de cela qu’on est malheureux. Voilà en quoi c’est différent du sentiment de perte. Par exemple, même si on a perdu tout ce qu’on avait, on reste soi-même.
(Les Abeilles)
Qui, de moi ou d’autrui, est le plus précieux ? Nous sommes tous des êtres humains. Personne n’est un étranger sur cette terre.
(La Piscine)
Je suffoquais du désir de me baigner à la source qui se trouvait au plus profond de sa douceur, avant d'essuyer mon corps au coton douillet de son âme.
Jun avance sur le plongeoir de dix mètres. Il a pour maillot le slip de bain rouge foncé que j’ai vu hier pendu sous l’auvent de la fenêtre de sa chambre. Arrivé à l’extrémité de la planche, il tourne lentement le dos à la surface de l’eau et aligne les talons. Tous les muscles de son corps sont bandés à l’extrême, comme s’il retenait sa respiration. C’est la ligne musculaire qui part de la cheville pour atteindre la cuisse à ce moment-là que je préfère dans son corps. Elle a l’élégance glacée d’une statue de bronze.