Je voulais encore entendre des sanglots de bébés ; je voulais goûter à toutes sortes de pleurs.
Tout en jouant avec la terre, Rie venait me voir à intervalles réguliers, toutes les deux ou trois minutes, pour que je lui nettoie les mains. Cette régularité toute simple me conduisait progressivement vers un sentiment impitoyable. Ce n'était pas désagréable au point d'en éprouver de l'irritation, car il m'apportait même une sorte de bien-être secret. Ces derniers temps, il m'arrivait souvent d'être la proie de ce "sentiment de cruauté".
De toute façon, j’ai du mal à comprendre ce qu’est un couple. Cela m’apparaît un peu comme une étrange entité gazeuse. Un corps éphémère, sans contours ni forme, qu’on a du mal à distinguer dans la transparence de son flacon triangulaire, au laboratoire.
J'avais envie d'écraser entre mes doigts ses lèvres qui se tortillaient sans arrêt comme deux chenilles.
En entendant sa respiration saccadée, je me demandais avec cruauté s'il ne lui arrivait pas parfois, à force de bavarder, de se détester elle-même.
Quand elle se mettait à parler, les autres étaient obligés de se taire.
La tempête n’en finissait pas. De mon lit, je gardais les yeux fixés sur les ténèbres si profondes que j’avais l’illusion de me trouver au fond de la mer. En retenant ma respiration, je les sentais vibrer légèrement. Les particules d’obscurité, comme effrayées, s’entrechoquaient dans l’espace. J’étais seule, mais je n’avais pas peur. J‘étais même tranquille au milieu de la tempête. J’étais calme comme quelqu’un qui est emporté au loin. J’avais l’impression d’être entraînée vers un monde lointain que je n’aurais jamais pu atteindre par mes propres moyens. Je ne savais pas très bien quel était ce monde. La seule chose que je pouvais comprendre, c’était qu’il était calme, immobile et serein.
Il avait terriblement grandi. La ligne élancée de sa nuque, de ses doigts et de ses bras se fixa pour longtemps au fond de ma rétine. Les muscles soutenaient harmonieusement cette ligne. Mais ce fut sa manière de sourire qui m’impressionna le plus. Il souriait discrètement, tête baissée, l’index de la main gauche effleurant la monture argentée de ses lunettes. Son souffle léger s’échappait faiblement par les interstices de sa main gauche. C’était bien un sourire, mais sous les cils, on aurait dit un soupir déchirant. Je finis par garder mes yeux fixés sur lui, pour ne pas perdre le moindre mouvement expressif à chaque fois qu’il souriait.
Ses sanglots si violents qu’ils faisaient craindre une quelconque rupture à l’intérieur de son corps, assouvirent mon « sentiment de cruauté ». J’espérai intensément la voir pleurer encore plus. J’étais d’autant plus heureuse que je pouvais, comme ce jour-là, goûter pleinement ces sanglots pour moi toute seule, et que personne l’était présent pour la prendre dans ses bras afin de la consoler et de faire cesser ces sanglots, et enfin parce qu’il s’agissait d’un bébé à qui on ne pouvait rien expliquer.