- Hé ! Tu peux imaginer que quelqu’un avait affiché ça au bahut ?
Mariette lui tendait un papier qu’il ne prit pas. Alors elle le lut :
- « J’appelle les fainéants, les crasseux, les drogués, les alcooliques, les pédés, les femmes, les parasites, les jeunes, les vieux, les artistes, les taulards, les gouines, les apprentis, les Noirs, les piétons, les Arabes, les Français, les chevelus, les fous, les travestis, les anciens communistes, les abstentionnistes convaincus, tous ceux qui ne comptent pas pour les hommes politiques, à voter pour moi, à s’inscrire dans leur mairie et à colporter la nouvelle ! » et il termine par : « Tous ensemble pour leur foutre au cul ! » c’est pas génial ? C’est Coluche. On aurait presqu’envie d’en faire une chanson, tu ne trouves pas ?
« La vie était cette toute petite proposition, ce quignon de pain tendu derrière les grilles, et la plupart des adultes refusaient de voir que la terre avait tremblé, toutes les jeunes pouliches ne s’en retourneraient pas bêtement brouter un peu d’herbe verte en attendant qu’on les féconde ».
Oui, les fournitures ruinaient son budget, l'école était gratuite pour ceux qui ne comptaient pas, pour les autres c'était une hantise et une humiliation.
L'enfance si lente était terminée, point final. Il n'y avait aucun recours possible.
À force de s'imaginer ailleurs, et plus tard, elle vivait dans un temps démultiplié, comme une vie à plusieurs dimensions, avec des lignes de fuite et des extensions.
Elle retrouvait les siens avec une joie un peu forcée, vivant ces retrouvailles avec la peur de ne pas être au diapason.
C'était le printemps, un printemps qui lançait en plein ciel des bouquets d'odeurs généreuses et charnelles, et quand elle fut dans la rue, elle sentit glisser et disparaître le temps d'avant, quatorze années et plus encore, son temps à elle et celui des autres qu'elle portait sans le savoir, le mythe de la perfection, la famille unie et indestructible. Elle l'avait déposé là, ce mythe, dans le jardin et la maison de l'enfance. Elle avait aimé y croire, mais il était inventé, maintenant elle le savait, et elle comprit avec une fierté émue qu'elle avait grandi. Elle traversa la rue et ne se retourna pas, ignorant que derrière elle le jardin gardait, enraciné et fier, le souvenir de son passage.
Mais à qui avons-nous vraiment ouvert notre coeur? Quand avons- nous osé dire les tourments, les détresses, les pensées les plus sombres, les éblouissements, la solitude? Ces protections successives avaient tissé au fil du temps un long manteau qui, en nous protégeant, faisait de chacun de nous un être méconnu.
Vous êtes jeunes, vous verrez, il y aura toujours des vieux pour vous faire croire que c’était mieux avant. Ne les croyez pas.
Se marier. Avoir des enfants. Gagner sa vie pour les élever. Et l'essentiel semblait accompli. On marchait dans les pas de son père, ou de sa mère, et on marchait droit. Les chutes viendraient un peu plus tard, des délivrances et des déchirures, et c'est là peut-être que leurs vingt ans leur paraîtraient le plus bel âge.