Trouver refuge

Les hymnes se succèdent comme des vagues. Lors de son premier séjour, sans doute n’en était-il resté qu’à la beauté de la Sainte Montagne et de ses rituels. Mais il lui semble désormais comprendre l’enjeu de ce qui s’y déroule. Superstition ? Folklore ? Plutôt une fidélité à une certaine idée de l’être humain : choisir la lumière plutôt que les ténèbres. Et se sacrifier, s’il le faut, pour que la lumière gagne.
(page 316)

Sur l’Athos, les moines sont enterrés sans cercueil. Le défunt est cousu dans son habit noir. Au bout de trois ans, les os sont sortis de terre et lavés avec du vin. Ils rejoignent ceux des autres et s’y mélangent. Seuls les crânes sont alignés.
(page 290)

Les hélices du ferry tracent leur sillon aux remous blancs. L’aigle noir à deux têtes du drapeau byzantin se contorsionne sous le vent. Accoudés au bastingage, des passagers contemplent la haute silhouette de l’Athos, encore lointaine, mais qui offre déjà à la vue ses flancs verts et son sommet coiffé de nuages. Des moines, des pèlerins, des ouvriers employés par les monastères et qui sait, peut-être d’autres fugitifs en quête d’un lieu où être sains et saufs.
(page 98)

Grâce aux Byzantins, on avait pu conserver le plus ancien manuscrit de l’Iliade, les pièces de Sophocle, les poèmes de Pindare et d’importants ouvrages de science et de médecine, patiemment recopiés par les moines, appris par cœur par les enfants, garçons et filles, annotés par les savants, à l’abri de ses murailles légendaires.
(pages 151-152)

Il flotte autour d’eux une électricité mêlée de tristesse. Celle qui vient toujours quand on s’aperçoit qu’on n’a plus rien à dire à celui qui fut son ami. Tout simplement parce que n’étant plus le même, il ne peut plus être votre ami.
(page 399)

Elle admire l’art de Papa pour tout présenter sous un jour acceptable. Elle admire la façon dont certaines choses deviennent audibles quand on les explique avec pédagogie, dès lors que l’auditoire est prêt à les entendre parce qu’il n’a plus de principes et qu’on lui dit que c’est pour son bien. « Vous m’avez élu pour ça, non ? »
(page 354)

Certains parents ouvrent à leurs enfants des comptes en banque. Avec ce cahier, c'est un peu ce qu'il fait : mais c'est un compte en banque de souvenirs. Il s'y consacre avec soin. Il colle des photos, des images de tableaux.

Expliquer étymologiquement, c’est dérouler un parchemin. Le déployer. Et c’est ainsi que les histoires se transmettent, sans cesse enrichies. Schéhérazade en sait quelque chose : ça peut durer très, très longtemps… Mais puisque ça éloigne la mort…
(page 184)

L'église est un incendie dans la nuit. Cierges au parfum de miel, lustres tous feux allumés, lampes à huile dont les mèches tremblent dans leurs corolles de verre grenat.
(...)
L'iconostase les domine de toute sa hauteur et de tout son or, comme un décor de théâtre percé de portes et de fenêtres. A l'intérieur, des scènes christiques peintes il y a des siècles, que l'oeil ne déchiffre que quand il s'habitue au jeu de l'ombre et de la lumière.

Parce que Byzance était belle, compliquée, attachante, mal connue, et qu'elle avait su se défendre, toute seule, pendant mille ans, contre tous les barbares imaginables. Parce que face à eux, dans ce monde hyper-violent, Byzance avait su, héritière du vieil Empire romain mais parlant grec, à cheval entre l'Occident et l'Orient, à la fois combattive et cultivée, chrétienne et païenne, protéger et transmettre au monde toutes les connaissances de l'Antiquité.