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EAN : 9782358876032
320 pages
La manufacture de livres (06/02/2020)
3.71/5   70 notes
Résumé :
1945. La guerre est terminée, l'armistice est signé. Mais à ce moment précis, le jeune lieutenant Hiro Onoda, formé aux techniques de guérilla, est au cœur de la jungle sur l’île de Lubang dans les Philippines. Avec trois autres hommes, il s'est retrouvé isolé des troupes à l'issue des combats. Toute communication avec le reste du monde est coupée, les quatre Japonais sont cachés, prêts à se battre sans savoir que la paix est signée. Au fil des années, les compagnon... >Voir plus
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Livre lu dans le cadre de l'opération Masse Critique de février. Un grand merci à Babelio et aux éditions La Manufacture des Livres. J'attendais la parution de cet ouvrage avec impatience. le recevoir gracieusement en échange d'une critique, c'est encore meilleur.

J'avais déjà eu connaissance lors de mes lectures sur l'Histoire japonaise du cas extraordinaire d'un soldat ayant poursuivi la guerre après la reddition impériale d'août 1945. Je n'avais pas retenu son nom mais j'avais été marquée par cette guérilla sur une île des Philippines pendant près de trente années. Comment cela pouvait-il être possible? Et surtout, comment avait-il pu réagir en apprenant la défaite de son pays trois décennies plus tard, autant de temps passer à combattre et résister pour rien finalement?

Les mémoires de ce soldat, Onoda Hirô, m'ont apporté toutes les réponses à mes interrogations. Il décrit brièvement sa vie de son enfance jusqu'à son incorporation comme officier dans un régiment particulier, celui de la guerre secrète (sabotage, espionnage, désinformation de l'ennemi, etc). Né en 1922, il a grandi dans un Japon militariste aux visées expansionnistes et hégémoniques sur la Grande Asie. Cet esprit était largement diffusé dans les populations au sein des écoles, journaux et associations villageoises ou de quartiers. L'appel aux valeurs combattantes jusqu'au sacrifice au nom de l'Empereur divin Shôwa ne fit que croître au fil des années 1930 jusqu'à devenir un embrigadement mental de tous pendant la guerre du Pacifique. Ce cadre contextuel particulier où les valeurs des samouraïs s'allient au jusqu'au boutisme militaro-colonialiste explique l'état d'esprit du jeune officier Onoda lorsqu'il part en 1944 pour une île des Philippines avec quelques autres frères d'armes pour y mener des opérations de guérilla.

Dans ce récit publié au Japon peu après son retour sur sa terre natale, qui a beaucoup changé durant sa longue absence, l'auteur retrace ces années à obéir aux ordres reçus en 1944. A croire fidèlement en son serment de défendre l'Empereur et la terre sacrée du Japon. Il y a une véritable spiritualisation du combat et de la survie, de la guerre contre les Américains - appelés l'ennemi par Onoda. Les nouvelles de défaite qu'il apprend au hasard de ses tribulations sur l'île de Lubang, il les met sur le compte de tentatives d'intox de la part de cet ennemi. Ça pourrait presque prêter à sourire, tant de foi dans l'impossibilité pour son pays de jamais se soumettre, s'il n'y avait eu tant de morts et de vies gâchées.

Voilà un ouvrage enfin traduit en français - merci aux éditions La Manufacture des Livres pour cette belle initiative. le parcours d'Onoda Hirô est si incroyable que dans un roman ou un film, ça paraîtrait excessif. Et pourtant, c'est bien sa réalité. Et celle de quelques autres Japonais retrouvés, comme lui, dans diverses zones où eurent lieu des combats. Mais Onoda est celui qui poursuivi la guerre le plus longtemps.

Ce récit donne à réfléchir sur l'intégrité et le dévouement d'un homme à son pays - exacerbés par l'embrigadement des populations qui accompagna son éducation. C'est ce qui lui permit de tenir tout ce temps, de ne pas sombrer à la mort de son compatriote avec lui sur l'île, ... Difficile de ne pas refermer cet ouvrage sans une certaine tristesse pour ces trois décennies de vie, perdues pour lui dans la jungle philippine, au nom du Japon.
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Mon premier sentiment à la lecture de cette histoire : qui accorderait la moindre crédibilité à un scénario pareil, dans le cadre d'un roman ? Comment peut-on imaginer qu'un soldat, mais avant tout un homme, « normalement constitué » mentalement et physiquement, puisse passer trente ans à survivre dans la jungle, qui plus est avec une détermination si absolue ?

C'est pourtant bien le récit autobiographique hallucinant que nous livre Hirô Onoda. Il faut sans doute replacer le contexte du Japon dans les années 1930 et jusqu'au début de cette incroyable aventure en 1944 pour tenter, un peu, de comprendre. Avant la seconde guerre mondiale, la façade asiatique du Pacifique est sous occupation japonaise, de l'est de la Chine à l'Indonésie. L'empire est au fait de sa puissance, agressive et conquérante. Elevé dans cette ambiance assez insouciante, le jeune Onoda débute sa carrière à dans la ville chinoise de Hankou, contrôlée par le Japon, dans une entreprise de négoce. Mais il est bientôt mobilisé dans le renseignement, l'espionnage. Puis lorsqu'après Pearl Harbour, ce Japon trop téméraire recule, il faut défendre coûte que coûte les territoires extérieurs en perdition. En 1944, les américains ont beaucoup repris, ils occupent notamment les Philippines…Onoda devenu sous-lieutenant est envoyé là-bas avec quelques hommes pour mener des actions de guérilla, notamment détruire une piste d'aéroport, avec l'ordre de se battre jusqu'au bout pour l'Empereur et ne jamais se suicider. Mais la situation est désespérée, les groupes de soldats japonais sont dispersés dans la jungle, le groupe qu'il commande se réduit très vite à trois hommes en plus de lui-même. C'est le début d'une vie de mobilité incessante et sans fin dans la forêt, plus ou moins à proximité des villages de l'île, à se cacher, chasser, et surtout croyant combattre un ennemi qui se manifeste surtout à travers des largages aériens de tracts…Et c'est là que cela devient ahurissant. Les jours, les mois, bientôt les années vont s'écouler, les bombes atomiques sont tombées sur la mère-patrie, le Japon est vaincu, le monde a radicalement changé, l'ennemi d'hier ne l'est plus, et on peut dire que les autorités japonaises ne ménagent pas leurs peines pour faire passer le message à ces naufragés qu'en fait leurs familles n'ont pas oubliés…Pourtant, il n'y a rien à faire, cette poignée d'irréductibles totalement dévouée au combat impérial s'est enfermée dans un déni jusqu'au-boutiste, une paranoïa hallucinante qui lui fait systématiquement prendre les messages pour des faux, des ruses de l'ennemi pour les piéger. Une faute d'orthographe ou une expression pas traditionnellement japonaise sur un tract, un inconnu sur une photo où pourtant figurent sans ambiguïté des membres de leur famille, et même des appels (bien réels) au porte-voix d'un frère ou d'une soeur : pièges !!! Pour le coup, ces hommes se sont confinés dans une bulle réfractaire, ils ne jurent que de lutter jusqu'à la mort pour le Japon, alors même que les ennemis sont pour l'essentiel invisibles. Pour l'essentiel, mais la nécessité de manger, de se déplacer occasionne sporadiquement des frictions avec les habitants philippins, des échanges armés interviennent parfois et les maintient dans l'idée fausse que l'ennemi est là, qu'ils sont traqués, mais même aussi que des soldats japonais ne sont pas loin. Même les largages de la presse en 1959 ne les convaincront pas que la guerre est finie, que le Japon vaincu s'est déjà profondément transformé : enfermés dans leurs convictions inébranlables, ils spéculent encore sur les nouvelles alliances militaires et les recompositions qui interviennent durant ce conflit qui ne leur semble pas terminé !

Hormis cette foi quasi mystique en un glorieux Japon impérial, c'est sans doute aussi le fait de ne pas être seuls qui font tenir ces hommes. Mais peu à peu, ils tombent. Akatsu, le plus faible mentalement et physiquement, les abandonne après quelques années, puis encore plus tard, Shimada est tué par balle. Durant ces années, ce qu'ils pensent être la propagande ennemie se poursuit (alors qu'on essaie en vain de leur faire entendre raison). Lorsque Kozuka est abattu à son tour à l'automne 1972, Hirô désormais seul va finir par réaliser que c'est bien sur frère qui l'appelle là-bas au loin…Nous sommes en février 1974, fin de partie.

Sur la forme, la première partie du récit se déploie comme un roman d'action, d'aventure, le rythme est enlevé, mais centré sur les aspects liés à la mission de l'équipe et de sa perception militaire et stratégique de la situation. Elle nous fournit aussi une mine d'informations historiques et géopolitiques de cette période dans la zone de domination nippone, grâce notamment à d'excellentes et non envahissantes notes de bas de page. Il n'y a pratiquement pas d'informations sur la manière dont ces hommes parviennent au quotidien à survivre dans la jungle (s'alimenter, dormir, se réchauffer et s'abriter, se laver…). Mais les pages centrales exposent subitement des illustrations concrètes des trucs de survie de la vie quotidienne construits par ces naufragés. C'est passionnant et ouvre la voie aux chapitres suivants, où l'on constate une belle inventivité, une organisation et un instinct de survie remarquable. Ils prouvent bien que ces hommes n'étaient pas fous, mais totalement conditionnés et enfermés dans une logique orientée. Ces aspects donnent corps au caractère de témoignage documentaire de ce récit.

La qualité littéraire intrinsèque m'a semblé honorable, dans une sobriété de style qui convient parfaitement à un récit autobiographique qui ne cherche pas à en mettre plein les yeux, l'auteur ne chantant pas sa propre gloire (sans avoir pour autant de véritables états d'âme, il n'est d'ailleurs pas évident qu'il se sente absolument un modèle de chef). Ce serait bien inutile, les faits bruts sont d'une rare éloquence, et accrédités par l'existence de plusieurs autres cas avérés de soldats japonais ayant pris la même voie, même si lui, peut-être parce qu'il a été le dernier sorti, a été très médiatisé au Japon.

Un livre assez formidable, dans lequel on regrettera à peine quelques coquilles d'édition, par-ci par-là, qui gagneraient à être corrigées si une édition de poche devait être publiée par la suite. Ce n'est toutefois pas de nature à remettre en question cette riche expérience de lecture.

Un grand merci au masse critique de babelio et à La manufacture de livres pour me l'avoir offerte !
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Je me suis toujours demandé ce qui se passait dans la tête des soldats japonais ayant continué le combat parfois longtemps après la fin de la seconde guerre mondiale. Quoi de mieux pour le découvrir que les mémoires de Hiro Onoda, qui se rendit en… 1974 !!

Les premières pages sont perturbantes : on y découvre un jeune loup aux dents longues parti travailler en Chine, et passant toutes ses soirées dans les dancings de la concession européenne ! Mobilisé en 1942, il rejoint une école d'officier, puis est envoyé quelques mois dans un centre de formation à la guérilla. Fin 1944, il est affecté aux Philippines. Son commandant l'envoie sur la petite île de Lubang, avec une unique consigne : faire de son mieux pour embêter les Américains jusqu'au retour de l'armée japonaise…

Il a donc exécuté ses ordres pendant trente ans. Avec trois hommes. Puis deux. Puis un. Puis, les deux dernières années, seul. Quand on leur a annoncé que la guerre était perdue, ils ont considéré qu'il s'agissait d'une ruse des Américains. On leur a parachuté des tracts, des journaux, des photos de leurs familles même : nouvelles ruses. Son frère est venu, a diffusé un message par haut-parleurs : encore une ruse. Très fort ces Américains, décidément. Il ne rentrait tout simplement pas dans son cadre de pensée que le Japon puisse perdre la guerre. Plus fort encore : s'il y avait encore un Japon et des japonais, c'est que la guerre était toujours en cours ; s'ils l'avaient perdu ils seraient tous morts. Peu à peu, il se construisit un monde imaginaire pour expliquer les évolutions qu'il observait : le Japon s'était allié avec les communistes en Chine, conflit militaire et guerre économique étaient maintenant dissociés… le 9 mars 1974, quand son ancien colonel lui annonça qu'ils avaient bel et bien perdu la guerre, son univers s'écroula.

En fait, son point de vue semble si banal dans le Japon de 1940 que tout ce qu'on se demande, c'est : pourquoi n'y a-t-il pas plus de gars qui ont fait comme lui ? La réponse est simple : son entrainement à la guérilla. Contrairement à 99% des officiers japonais, il n'avait pas été formé à mourir glorieusement à la tête de ses troupes mais à survivre quoi qu'il arrive. Puis, la chance voulut que l'un des trois hommes qui l'accompagnaient soit rompu à la survie dans la nature.

En revanche, qu'on ne s'attende pas à un récit exaltant. Tout est raconté avec une sobriété et une simplicité typiquement japonaise. Il a fait ce qu'il estimait être son devoir, et voila tout. Il fallait surtout trouver à manger et ne pas tomber malade. Point. Leurs actions de guérilla étaient des plus modestes, même s'ils ont visiblement bien pourri la vie des paysans de Lubang pendant trente ans. A sa sortie de la jungle, il sera d'ailleurs étonné qu'ils ne lui en veulent pas plus.
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Quelle histoire ! Trente ans à faire la guerre alors que celle ci est achevée !
Envoyé sur l'île de Lubang fin 1944 alors que l'armée de l'empereur nippon prend l'eau, le lieutenant Hiro Onoda sera fidèle à ses principes, son pays et sa mission : Faire une guerre de guérilla tant que son hiérarchique supérieur ne l'arrêtera pas.
Et rien ne pourra l'arrêter : Ni la difficile vie qu'il subit au quotidien , ni les tracts qui tombent du ciel lui intimant de se rendre, la guerre étant finie, ni les messages , les photos de sa famille, les journaux vantant le regain économique du Japon dans les années soixante. rien.
Pour Onoda, tout ça n'est que grossière tentative pour nuire au Japon et à son armée alors que celle ci est sur le point de reconquérir les Philippines , en s'appuyant sur son travail de sape dans l'île de Lubang. Onoda voit toujours dans les preuves tangibles de la fin de la guerre un indice qui prouvent que le Yankee qui le fera tomber n'est pas encore né!.

L'histoire n'aurait pas été vraie , on aurait pu targuer l'écrivain d'usurpateur , une matrone bien dure faisant régner l'ordre et la terreur dans le foyer conjugal eut été un bien meilleur prétexte pour rester à Lubang que ceux avancés ici. Mais l'histoire est vraie...

Alors , on est obligé de se replonger dans les premières pages du livre , que j'aurais aimé plus fournies. Ici, on montre l'endoctrinement et l'on comprend que la hiérarchie dans l'armée japonaise est compliquée à appréhender en terme d'ordre. Forcément cela a eu un impact sur notre soldat et ses compagnons d' infortune.
Niveau écriture , pas de quoi se relever la nuit, on est sur un récit sans fioriture de la vie sur l'île , de la promiscuité avec les autochtones que l'on réquisitionne pour les besoins de la guerre :).

Un livre qui ne vaut que par son coté autobiographique . Mais quelle vie !
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Hirô Onada a vingt ans quand il est appelé sous les drapeaux dans sa ville de Wakayama. Jusque là il était représentant pour une société d'import-export et, installé en Chine, il vivait une vie potache, fréquentant les dancings de la concession française, dépensant sans compter, flirtant avec les femmes chinoises. Cela ne l'empêche pas de prendre sa formation militaire très au sérieux et d'intégrer, en 1944, l'école de Nakano où sont formés les officiers commandos de l'armée japonaise. Quand il est envoyé aux Philippines, son supérieur, le major Yoshimi Taniguchi lui ordonne d'appliquer les techniques de guérilla sur l'île de Lubang. Il s'agit pour lui de retarder le débarquement de l'ennemi américain par tous les moyens et de tenir les positions japonaises jusqu'à l'arrivée des renforts. Mais si Onada débarque plein d'entrain et de détermination, il déchante très vite face à des troupes japonaises à bout de souffle et peu enclines à coopérer. Malgré le manque de coopération de ses camarades, le jeune soldat ne dévie pas de sa route et met tout en oeuvre pour accomplir sa mission secrète.
9 mars 1974, Hirô Onoda dépose les armes devant le major Taniguchi. Sa guérilla aura duré vingt- neuf ans.

Etrange témoignage que celui de ce japonais jusqu'au boutiste dont on ne sait s'il faut en rire ou en pleurer. Durant presque trente ans, il a mené sa guerre, harcelant les paysans philippins, caché dans la jungle, d'abord accompagné de trois de ses camarades, puis seul les dernières années. Allaité aux mamelles du nationalisme et du militarisme, formé dans une des écoles les plus dures du pays, incapable d'imaginer l'armée impériale rendant les armes, il a continué son combat solitaire malgré les preuves évidentes de la fin de la guerre. Rien n'y a fait, ni les tracts, ni les appels ou les lettres de ses proches, ni les campagnes de recherches menées pour le débusquer. Même les journaux ou les émissions de radio sont perçus comme des ruses pour le tromper. Pour lui, le Japon est invincible, ses soldats prêts à combattre jusqu'à la mort. Vingt-neuf ans de folie, d'aveuglement, d'auto-persuasion et de survie.
Ce texte, écrit peu après son retour au Japon, raconte avec lucidité et recul ces années perdues au nom du dévouement, de l'obéissance, du patriotisme. Un récit à la fois fascinant et glaçant.

Un grand merci à Babelio et à La Manufacture de Livres pour cette découverte.
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Citations et extraits (11) Voir plus Ajouter une citation
Qu'allait-il se passer ? Le major Taniguchi avait dit que je pouvais rentrer tout de suite au Japon, mais l'idée d'y retourner et de vivre au milieu de gens normaux m'effrayait. Je ne parvenais même pas à l'imaginer.
Lorsque je m'étais envolé de nuit de l'aéroport d'Utsunomiya, tant d'années auparavant, j'avais abandonné tout espoir personnel concernant l'avenir. A l'époque, je m'étais dit que je devais laisser tout cela derrière moi. Ensuite, à chaque fois que je commençais à penser à mon foyer et à ma famille, je me forçais à chasser ces souvenirs de mon esprit. Cela était devenu une habitude, et finalement ces pensées cessèrent. Depuis plus de vingt ans maintenant, l'idée d'un foyer m'avait à peine effleurée, et pas une seule fois je n'avais rêvé de ma famille. Ma mission était devenue toute ma vie.
Maintenant, cette vie prenait fin, et j'étais brutalement privé de ma raison d'être. Alors que je regardais l'épais bouquet d'arbres de l'autre côté du fleuve, le visage de mon frère Tadao se mit à flotter devant mes yeux.
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Lorsque je suis arrivé dans les Philippines en 1944, la guerre se passait mal pour le Japon, et au pays la phrase ichiosu gyokusai* était sur toutes les lèvres. Cela voulait dire que le peuple japonais préférait mourir que se rendre. Je prenais cela à la lettre, tout comme, j'en suis sûr, bon nombre de jeunes Japonais de mon âge.
Je croyais sincèrement que le Japon ne se rendrait jamais tant qu'un seul Japonais serait encore en vie. Et réciproquement, si un seul Japonais était encore en vie, le Japon ne pouvait s'être rendu.
Après tout, c'était là le serment mutuel que nous, les Japonais, avions fait. Nous avions juré que nous résisterions aux démons américains et anglais jusqu'à la mort du dernier d'entre nous. S'il le fallait, les femmes et les enfants se battraient avec des bâtons en bambou, tuant un maximum de soldats avant de mourir. En temps de guerre, les journaux martelaient cette résolution avec les mots les plus forts possible : "Combattez jusqu'au dernier souffle !", "Il faut protéger l'Empire à tout prix !", "Cent millions de morts pour le Japon !". Ce sont les mots d'ordre avec lesquels j'ai grandi.

(*) Littéralement : "Un million d'âmes meurent vaillamment comme un diamant brisé."
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Puis, en me regardant droit dans les yeux, il ajouta : "Il vous est formellement interdit de mourir de vos propres mains. Cela peut prendre trois ans, cinq ans, mais quoi qu'il arrive nous reviendrons vous chercher. En attendant, tant qu'il vous restera un soldat, vous devrez continuer à le commander. Vous devrez peut-être vous nourrir de noix de coco. Si cela devait être le cas, faites-le ! Mais en aucun cas, vous ne pouvez vous donner volontairement la mort."
Le commandant, un petit homme au visage agréable, m'avait donné cet ordre d'une voix douce. On aurait dit un père s'adressant à son enfant. Lorsqu'il eut terminé, je répondis d'un ton aussi énergique que possible : "Oui, chef !"
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Quand nous trouvions des tracts, nous étions heureux. Nous considérions ces "faux" messages comme des encouragements. Ils contenaient de nombreuses informations sur ce qui se passait au Japon et sur la santé de nos familles, car parfois il y avait des photographies. Par exemple, un tract qui tomba en 1957 contenait une photo avec la légende : "La famille d'Onoda-san". On y voyait mes parents, ma soeur aînée Chie et ses enfants, ma jeune soeur Keiko et plusieurs autres membres de la famille. Tout paraissait authentique, sauf qu'un voisin qui ne faisait pas partie de la famille se trouvait lui aussi sur la photo. C'était comme la fois où un parent éloigné de Shimada figurait sur ce qui était censé être une photo de sa famille proche.
Un autre détail n'allait pas : il n'y avait aucune raison d'ajouter le suffixe -san après mon nom. "La famille d'Onoda" aurait été plus approprié selon les règles de l'étiquette japonaise.
Il y avait également une photo de "La famille de Kozuka-san". Celui-ci déclara : "Comment voulez-vous que j'y croie ? Pourquoi est-ce que ma famille se prendrait en photo devant une maison neuve qui ne nous appartient pas ?"
Nous ignorions que les villes japonaises avaient été massivement bombardées et que Tôkyô avait quasiment été réduite en cendres.
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L'unité de recherche laissa des journaux et des magazines. La plupart étaient récents et beaucoup d'articles étaient consacrés au mariage du prince héritier. Les journaux, qui couvraient une période d'environ quatre mois, faisaient une pile de près de soixante centimètres. Nous pensions qu'il s'agissait de réimpressions de véritables journaux japonais trafiqués par les services secrets américains de façon à effacer toutes les informations qu'ils voulaient nous cacher. Nous ne pouvions rien envisager d'autre, car nous croyions que la guerre du Pacifique se poursuivait.
Et d'une certaine façon, ces journaux confirmaient que c'était bien le cas, parce qu'ils parlaient beaucoup de la vie au Japon. Si nous avions réellement perdu la guerre, il n'aurait pu y avoir la moindre vie au Japon. Tout le monde serait mort.
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