Le jour s'effondre
La nuit enveloppe tout
inerte
fissuré
le temps ne s'acharne plus à compter
chaque corps est un puits où s'engouffrent
tous les cris du monde
seule dans le noir absolu de la nuit
une ville agonise
Comment dire ? Comment trouver les mots pour dire son amour pour les livres ? Ces objets, disait-elle, qui prennent peu de place dans la maison, mais beaucoup à l'intérieur de soi, dans son coeur, qui font jaillir la lumière dans le coin le plus reculé, le plus sombre de soi-même.
Je me rends compte de ma capacité à écouter au-delà du silence des autres et à voir au-delà de leur regard.
La petite. Elle est morte après douze jours sous les décombres, après avoir prié tous les saints. Cette nuit-là, la terre voguait, voltigeait. Dansait. S'abîmait pour s'exhumer d'elle même, se déchirait. Gisait au sol tel un mourant. Marchait sur ses propres décombres.
La plus grande religion qui soit c'est de pouvoir aller et venir à sa guise, sans comptes à rendre à personne. La liberté.
La petite. Elle n'est pas morte. Elle n'a pas le droit de mourir. Je sens encore son odeur dans tout ce qui bouge. C'est l'odeur de catastrophe, l'odeur des cadavres qui monte de la rue, de tout ce qui bouge. Tous les monstres en béton sont tombés. Tous les bordels. La Grand-Rue n'est plus ce qu'elle était. Mais nous, on ne mourra jamais. Nous, les putains de la Grand-Rue. Nous sommes les immortelles.
Tu ne peux pas savoir, petite, tout aussi avantageux que cela puisse paraître, combien il est dangereux pour une pute d'être appréciée, aimée par ses clients, pour un esclave d'être chéri par son maître. Le seul point de ralliement possible entre l'oppresseur et l'oppressé est dans l'acte même d'oppresser. L'oppressé souffre. L'oppresseur jouit. (p. 67)
La Grand-Rue n'est plus ce qu'elle était. Mais nous, on ne mourra jamais. Nous, les putains de la Grand-Rue. Nous sommes les immortelles. (p.43)
«On a pas besoin d’une mère pour aller au bout de ses
rêves. On a juste besoin de soi-même, intégralement soimême.
Je pense que je vivrais mieux si ma mère était
déjà morte, enterrée.»
Sa mère. Elle voulait comme elle qu'elle devienne une chrétienne. Je déteste les chrétiennes. Elles croient qu'au dernier jour elles vont habiter au ciel avec Dieu dans le palais de cristal réservé à ceux qui ont observé à la lettre les dix commandements. Et l'image qu'elles ont de ce Dieu, c'est qu'il est tellement Dieu qu'il peut à la fois résoudre tous les problèmes du monde et causer son échec. C'est qu'il se conjugue à tous les temps. Au passé, au présent et au futur. Quand on est pute on est pute. Être une chrétienne ça veut rien dire. Il y a trop d'impostures dans le monde. Tout ce dont elle rêvait, la petite - elle n'en faisait pas d'ailleurs une longue litanie, n'interpellant la bienveillance d'aucune espèce de divinité -, c'était de retrouver son trésor, un jour, le prendre dans ses bras.