Allez savoir pourquoi, ces derniers temps je suis très sensible aux histoires d'erreurs judiciaires, d'accusations mensongères et de condamnations d'innocents. Il se trouve par ailleurs que j'ai un penchant pour la littérature de la fin du XIXe siècle (dernière lecture sur le sujet : l'excellent recueil "Contes du Chat Noir" paru chez Gallimard) et que l'Affaire Dreyfus, événement marquant de cette période, y est souvent présente en filigrane. Et pourtant, je ne m'y étais jamais intéressé de près et n'en connaissais que les grandes lignes : la dégradation du capitaine, l'île du Diable, le "J'accuse" publié dans le journal l'Aurore, les polémiques sur fond d'antisémitisme... C'était à peu près tout. Afin de combler mes lacunes, je me suis orienté vers ce livre d'
Alain Pagès, auteur dont un simple coup d'oeil à la bibliographie indique à qui l'on a affaire : un spécialiste d'Émile
Zola.
Dans la collection "Vérités et légendes" des éditions Perrin, j'avais lu l'an dernier l'ouvrage consacré à la Préhistoire, qui avait parfaitement répondu à mes attentes : bien structuré, synthétique, idéal en somme pour aborder un sujet historique que l'on connaît mal, avant éventuellement de se tourner vers des ouvrages plus fouillés. Celui-ci est dans la même veine. Il ne s'agit pas de raconter l'Affaire de manière chronologique, de l'arrestation du capitaine Dreyfus en 1894 à sa réintégration dans l'armée en 1906, mais de manière thématique, chacun des 25 courts chapitres répondant à une question spécifique : les preuves ou l'absence de preuves, le rôle de la presse, les conditions de détention en Guyane, l'antisémitisme, la postérité dans la littérature ou le cinéma... Autant de points qui permettent au bout du compte de dresser un tableau d'ensemble de l'Affaire, dans son déroulement judiciaire et ses répercussions sur la société française.
Avant de lire ce livre, je me demandais comment des effets si violents avaient pu être provoqués par une histoire somme toute assez banale, la "simple" condamnation d'un innocent (car malheureusement, il y en a eu et il y en aura quantité d'autres). Mais le vrai scandale de l'Affaire Dreyfus, ce n'est pas tant l'erreur judiciaire initiale que l'entêtement malhonnête des antidreyfusards, qui n'ont jamais voulu reconnaître leurs torts quand des éléments factuels venaient innocenter Dreyfus et, au contraire, s'enfonçaient de plus en plus dans leurs mensonges et leurs manipulations, allant jusqu'à forger de fausses preuves ! Tout ceci afin d'aller dans le sens d'opinions antisémites pour les uns, pour défendre "l'honneur" de l'Armée, et par extension de la France, pour les autres... Sur ce dernier point, un protagoniste de l'Affaire a plus particulièrement retenu mon attention : le colonel Picquart. Celui-ci a fait preuve d'au moins autant de courage que des artistes comme
Zola et Mirbeau ou des hommes politiques comme Clemenceau et Jaurès (tous deux persuadés de la culpabilité du capitaine avant de s'engager dans le camp dreyfusard), puisqu'il a défié l'Armée dans laquelle il servait depuis plus de vingt ans, privilégiant la défense de la vérité à ses intérêts de carrière. J'en ai d'ailleurs profité, dans la foulée, pour découvrir l'interprétation qu'en a fait
Jean Dujardin dans le récent "J'accuse" de
Polanski (que vous avez peut-être boycotté sur le seul nom de son réalisateur, ce qui est bien dommage car vous avez manqué un très bon film historique).
Après cette lecture, il me reste non seulement l'impression de comprendre enfin ce que fut vraiment l'Affaire Dreyfus, mais aussi l'envie de continuer à lire des livres sur le sujet... Peut-être une biographie de Picquart, la correspondance de Dreyfus, un recueil d'articles de
Zola ? On verra bien. Et parce qu'Internet est un outil formidable quand on l'utilise pour autre chose que poster des photos de son petit-déjeuner sur Instagram, concluons avec un enregistrement audio du capitaine Dreyfus datant de 1906 : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k127931s.media