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EAN : 9782915685442
233 pages
Editions Normant (01/02/2010)
5/5   1 notes
Résumé :
Ce livre est une nouvelle écriture et traduction du roman de même titre paru en 2010, de Claudia Patuzzi (traduction Marilène Raiola)

Paris, octobre 1267, Béatrice Clermont et sa fille, au prénom étrange de Regard, vivent misérablement dans la saleté du Grand Cul de Sac, une ruelle malfamée sur la rive droite de la Seine. Béatrice, lavandière et prostituée, est nourrice chez les riches bourgeois. Gudule, la marraine centenaire de l'enfant, la berce d... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
« La vie est à moi ! »
Suivez-moi pour découvrir un nouveau livre magnifique offrant une lecture à plusieurs niveaux et qui m'a sorti de ma zone de confort. Un livre très poignant, capable de maintenir le lecteur dans un état de suspense continu. Il s'agit de la retraduction (toujours par Marilène Raiola) du premier roman de l'essayiste et poète italienne Claudia Patuzzi sorti en Italie en 2001. Cette nouvelle édition m'a très agréablement surprise d'un point de vue éditorial. La nouvelle couverture est très belle, la police de caractère bien qu'assez petite reste assez lisible, une quatrième de couverture très bien faite aussi. le roman est divisé en trois parties bien délimitées (Le Grand-cul-de-sac, L'intruse, La vie est à moi !) et quarante et un épisodes avec vingt-neuf sous-titres comme autant de balises à la progression du récit.
Se déroulant dans le Paris de la seconde moitié du XIIIe siècle, ce roman à la structure globalement linéaire nous raconte la triste histoire de Regard, une enfant à l'âme pure. Une tragédie en deux actes suivant son héroïne pendant sept ans dans son quartier pauvre et crasseux du Grand-cul-de-sac de jusqu'à son acmé sur la rive interdite, avant qu'elle ne se termine par un long épilogue nous transportant du Brabant à la Flandre.
Regard, fille d'une prostituée lavandière et nourrice (Béatrice Clermont), grandit dans une sombre impasse malfamée. C'est une enfant dont le regard se porte au-delà des choses, et que semble avoir étonnamment effleurée l'aile de la philosophie. Protégée par sa blonde et lumineuse chevelure nouée par sa mère en une longue tresse, inconsciente des périls qui la guettent, elle parcourt joyeusement ce monde miséreux, bercée par les légendes intemporelles de sa marraine Gudula et par les chansons du ménestrel Maturinus ouvrant un ample espace à son imagination.
Victime d'un viol brutal à l'âge de treize ans, qui un temps anéantira ses désirs d'élévation spirituelle, elle n'aura d'autre issue que la prostitution. Pourtant, prenant sa première vraie décision, elle ose désobéir. Bravant la fatalité, elle tentera de pénétrer un autre monde mais comprenant alors qu'elle ne pouvait « rivaliser avec une réalité aussi élevée et sublime »que la philosophie, chassée comme une intruse et réduite à son seul corps de prostituée, elle retournera dans son quartier et se donnera la mort à seulement quatorze ans, s'éteignant après avoir coupé sa lumineuse tresse.
L'écriture est très poétique et musicale rythmée par les nombreuses questions de son héroïne (et les réponses non moins savoureuses de sa mère) et empli de tendresse et de malice. Un roman d'ombre et de lumière traité avec bonheur sur ce mode fabuleux qui transcende les frontières du temps et de l'espace. Et même s'il n'y a pas de fin heureuse pour la jeune Regard tentant d'échapper à la domination des hommes et du savoir, ni pour ces philosophes européens tentant de faire échapper leur discipline à la domination de l'Église (les philosophes sont morts !), incite à ne jamais renoncer s'interroger ni à transgresser au besoin les règles.
Merci beaucoup Aunryz pour ce superbe cadeau !


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Citations et extraits (11) Voir plus Ajouter une citation
– Qu'est-ce que la Philosophie, maman ?
– Je n'ai jamais entendu ce mot. Une herbe médicinale ?
– Un jeune homme me l'a dit qui sait lire et écrire. Il dit l'aimer plus que lui-même.
– Alors c'est une femme, une étrangère, une Turque ou pire, une juive. Une infâme !
– Il dit qu'il l'aime plus que la richesse.
– Alors, elle est très belle et très licencieuse…
– Il dit qu'elle vivra en lui éternellement…
– Elle est donc très experte, pour mieux le séduire… Et toi, comment le connais-tu ce jeune homme ?
– Je l'ai vu par hasard une seule fois…
– Bien ! Ce n'est pas l'un des nôtres…
– Et moi, pourquoi je n'écris pas ?
– Parce que les pauvres n'ont pas besoin d'écrire…
– Et pourquoi je ne lis pas ?
– Pareil. Tu n'es qu'une femme ! Ce n'est pas la peine…
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Regard fut attirée par la foule qui obstruait la rue près d’une fontaine : sur une estrade en bois, bien visible, se dressait un immense tableau vivant.

Soudain, elle gémit, une douleur aiguë et lancinante la transperça jusqu’au fond de l’âme, tandis que des taches violettes et bleuâtres flottaient devant ses yeux comme des nénuphars. Elle ferma ses paupières et les rouvrit aussitôt pour s’assurer que ce qu’elle voyait était bien réel : sur la scène, inondée par les rayons du soleil au zénith qui se réfractaient en de multiples directions, tel un arc-en-ciel traversé par la pluie, se dressait un immense vitrail rectangulaire qui, en triptyque, représentait trois scènes d’un bleu intense.

Au centre du triptyque trônait une figure vêtue de blanc et recouverte d’un manteau rouge, la tête ornée d’une immense mitre, si parfaitement dessinée qu’elle semblait vivante, et tenant trois boules dorées dans une main et un bâton dans l’autre. À droite de la scène centrale se trouvait un gros tonneau de bois rempli de saumure ; sur la gauche, trois fillettes en chair et en os, avec des bonnets blancs sur la tête et de longs cheveux dénoués, se tenaient immobiles, le visage empreint d’une expression d’étonnement et de stupeur.

Soudain, la figure centrale bougea, révélant sa nature humaine...
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Regard était seule comme toujours, elle avait désormais dix ans. Perdue dans ses rêveries enchantées, elle errait ici et là sans but. Elle n’était escortée que par un faible rayon printanier, car elle était triste. Certes, son ange gardien était présent mais, comme d’habitude, sauf cas exceptionnels, il était invisible.

Sa mère avait fermé la porte tout en la poussant brusquement dans la ruelle, tandis qu’un cordonnier corpulent s’introduisait furtivement derrière elle.

Sans comprendre, d’un geste furieux, Regard avait tiré sa longue tresse de sous de la porte, en froissant le ruban que Béatrice avait si soigneusement noué ; enfin, elle avait essuyé ses joues du revers de la main, n’ayant pu retenir deux lourdes larmes…

Ce jour-là, pour la première fois, Regard avait le sentiment que quelque chose d’injuste venait de se produire.

Cependant, elle quitta nonchalamment l’impasse, que l’ombre humide des murs moussus rendait à cette heure encore plus sombre, et se dirigea vers les Halles.

Tout de suite après, telle une boussole affolée, elle changea de direction, suivant le battement saccadé de son cœur meurtri ou le carillonnement joyeux des cloches de Saint-Nicolas, suivi par celui plus riche et noble de Saint-Eustache et par le tintement lointain et argentin de l’abbaye de Saint-Denis.
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- Allons, fais ta natte.
- Pourquoi ?
- Parce que c’est le matin.
- Le matin ?
- Oui, le soleil se lève.
- Mais d’où vient le soleil ?
- De l’autre côté.
- Quel autre côté ?
- Celui qui n’est pas dans le noir.
- Et où est-ce qu’il va dormir ?
- Dans l’océan.
- Il ne prend pas froid ?
- Il se change en lune.
- Et la lune elle va où ?
- De l’autre côté de la terre, celui qui est dans le noir.
- Mais pourquoi elle est ronde comme une hostie ?
- Pour qu’un coquin l’avale.
- Et le soleil, comme fait-il pour bouger ?
- Le soleil tourne autour de la terre et elle reste immobile comme une nèfle.
- Mais alors, sur quoi s’appuie-t-elle, la Terre ?
- Je ne sais pas. Sur les épaules d’un géant, je crois …
- Et le géant, sur quoi s’appuie-t-il ?
- Ça, Dieu seul le sait … lève-toi : je vais te faire ta natte.
- Les géants, il y en a encore ?
- Ça dépend.
- Comme saint Georges ? Saint Marcel ? Comme Charlemagne ?
- Oui.
- Le diable aussi était un géant, n’est-ce pas ?
- Le diable était un ange gigantesque, il était très beau et jaloux de Dieu.
- Qui sait ?
- Je sauverai la ville des Huns comme Geneviève ?
- Peut-être …
- J’aurai une statue rien que pour moi dans la basilique avec elle ?
- Les statues sont dans les maisons des princes et dans les églises pour être adorées par les fidèles, mais si tu sauves la ville …
- Elles ont une âme, les statues ?
- Qu’est-ce que tu dis ?
- J’ai toujours l’impression que la statue de Geneviève me regarde, qu’elle respire…
- Seules les statues des saints ont une âme.
- Et moi, maman, j’ai une âme ?
- Bien sûr…Il est tard. Lève-toi, je dois travailler.
- Elle est transparente, n’est-ce pas ?
- Quoi donc ?
- Mais mon âme, maman !
- Elle est blanche comme un drap tout propre.
- Et Madelaine, elle était belle ?
- C’est ce que racontent les Evangiles, ma petite.
- Et son âme, elle était comment ?
- Elle était sale.
- Mais Jésus l’a nettoyée, n’est-ce pas ?
- Eh bien … disons qu’il a lavé son âme …
- Tu te trompes, maman, c’est Madeleine qui a lavé les pieds de Jésus, lui, il lui a seulement pardonné, tu ne te souviens pas ?
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– Comment est l’Île ?
– C’est une île.
– Elle est loin d’ici ?
– Non, elle est au milieu du fleuve, ma petite.
– Et comment est-elle ?
– Pleine d’églises, d’immeubles et de rues. Il y a aussi une cathédrale et une chapelle d’or.
– Comment est la cathédrale ?
– Toute de pierres et de sculptures, haute comme le Paradis avec, à l’intérieur, la tête momifiée de saint Marcel.
– Et la chapelle d’or ?
– Elle est entièrement dorée et peinte. Elle contient l’énorme patte d’un dragon.
– Est-ce que je peux y aller, maman ?
– L’Île est interdite, ma fille.
– Pourquoi ?
– Parce que certains se perdent sur l’Île et sur la rive gauche et ne reviennent plus.
– Qu’est-ce que c’est, la rive gauche ?
– Le pays des savants qui parlent le latin.
– C’est quoi le latin ?
– La langue de l’Église et des apôtres, la langue des savants et des moines.
– Est-ce que je peux l’apprendre ?
– Non ! C’est interdit aux femmes et aux pauvres comme nous !
– Pourquoi ?
– Parce que c’est dangereux. Le latin appartient à l’évêque et au roi, aux clercs et aux prêtres, mais attire comme un aimant les jongleurs et les saltimbanques ainsi que les jeunes débauchés qui boivent dans les tavernes jusqu’au petit jour et qui importunent les petites filles ! Sans compter les seigneurs au manteau bordé de fourrure qui méprisent les pauvres comme nous : eux aussi s’accrochent au latin, tout comme ces voyageurs issus de pays lointains avec leurs langues incompréhensibles, se donnant rendez-vous auprès des boutiques peuplées de toutes les tentations du démon, surtout sur les ponts… L’Île est le démon et la rive gauche est son lit. – Et si j’étais capable de revenir ?
– Tu reviendrais changée. L’Île change tous ceux qui s’y rendent.
– Je ne peux pas changer, maman ?
– Non, la fleur reste fleur, bouton, bourgeon ou graine, mais dans un vase elle meurt et ne fleurit plus.
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