« La vie est à moi ! »
Suivez-moi pour découvrir un nouveau livre magnifique offrant une lecture à plusieurs niveaux et qui m'a sorti de ma zone de confort. Un livre très poignant, capable de maintenir le lecteur dans un état de suspense continu. Il s'agit de la retraduction (toujours par
Marilène Raiola) du premier roman de l'essayiste et poète italienne
Claudia Patuzzi sorti en Italie en 2001. Cette nouvelle édition m'a très agréablement surprise d'un point de vue éditorial. La nouvelle couverture est très belle, la police de caractère bien qu'assez petite reste assez lisible, une quatrième de couverture très bien faite aussi. le roman est divisé en trois parties bien délimitées (Le Grand-cul-de-sac, L'intruse, La vie est à moi !) et quarante et un épisodes avec vingt-neuf sous-titres comme autant de balises à la progression du récit.
Se déroulant dans le Paris de la seconde moitié du XIIIe siècle, ce roman à la structure globalement linéaire nous raconte la triste histoire de Regard, une enfant à l'âme pure. Une tragédie en deux actes suivant son héroïne pendant sept ans dans son quartier pauvre et crasseux du Grand-cul-de-sac de jusqu'à son acmé sur
la rive interdite, avant qu'elle ne se termine par un long épilogue nous transportant du Brabant à la Flandre.
Regard, fille d'une prostituée lavandière et nourrice (Béatrice Clermont), grandit dans une sombre impasse malfamée. C'est une enfant dont le regard se porte au-delà des choses, et que semble avoir étonnamment effleurée l'aile de la philosophie. Protégée par sa blonde et lumineuse chevelure nouée par sa mère en une longue tresse, inconsciente des périls qui la guettent, elle parcourt joyeusement ce monde miséreux, bercée par les légendes intemporelles de sa marraine Gudula et par les chansons du ménestrel Maturinus ouvrant un ample espace à son imagination.
Victime d'un viol brutal à l'âge de treize ans, qui un temps anéantira ses désirs d'élévation spirituelle, elle n'aura d'autre issue que la prostitution. Pourtant, prenant sa première vraie décision, elle ose désobéir. Bravant la fatalité, elle tentera de pénétrer un autre monde mais comprenant alors qu'elle ne pouvait « rivaliser avec une réalité aussi élevée et sublime »que la philosophie, chassée comme une intruse et réduite à son seul corps de prostituée, elle retournera dans son quartier et se donnera la mort à seulement quatorze ans, s'éteignant après avoir coupé sa lumineuse tresse.
L'écriture est très poétique et musicale rythmée par les nombreuses questions de son héroïne (et les réponses non moins savoureuses de sa mère) et empli de tendresse et de malice. Un roman d'ombre et de lumière traité avec bonheur sur ce mode fabuleux qui transcende les frontières du temps et de l'espace. Et même s'il n'y a pas de fin heureuse pour la jeune Regard tentant d'échapper à la domination des hommes et du savoir, ni pour ces philosophes européens tentant de faire échapper leur discipline à la domination de l'Église (les philosophes sont morts !), incite à ne jamais renoncer s'interroger ni à transgresser au besoin les règles.
Merci beaucoup Aunryz pour ce superbe cadeau !