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EAN : 9782911412875
144 pages
Vents d'ailleurs (03/03/2011)
3.5/5   4 notes
Résumé :
La jeune Régina, une belle mulâtresse, est kidnappée un matin à cause de son teint clair, voilà tout le malheur de Marie-Soleil. Sur cette terre sans mercis où les mythes tiennent lieu d'explications, la lutte pour la survie exige des talents hors du commun ! Le raconteur consigne ici le malheur humain pour pénétrer davantage le mystère de la survie !
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
« Et dans tout Paulette une question se chuchotait. Que cherchait l'étranger ? Ainsi m'avait-on nommé. » L'étranger, c'est moi. Ce pauvre type venu s'immiscer dans les rêves d'une autre vie, sur une autre rive. Ô Régina, jeune et belle Régina, ô belle mulâtresse aux jambes ensoleillées…
Régina fût kidnappée un matin de soleil rosé, à cause de son teint trop clair, voilà tout le malheur de Marie-Soleil, sa mère.

« J'ai avalé deux ou trois verres de rhum. », l'appel de Cuba, l'appel d'Haïti, l'appel de Sainte-Lucie, de la Jamaïque, de Guadeloupe. Ce n'est pas de ma volonté , ni même celle de Don Papa, mais c'est pour comprendre le mythe de ces îles, moi l'étranger sur cette terre, m'immerger dans ce paysage où le vent soulève la poussière de ma misère. Entre rhum et poussière, vivent des poètes, et des filles si jolies que… que le malheur engloutit ces îles. Ô Régina, ô Cuba, ô Haïti... Au-delà des flots et des cimetières, je croise le raconteur. le raconteur est un conteur d'histoires, un gars qui autour d'un verre de rhum dévoile la vie de Régina, d'une île, de la misère. Celle d'être trop belle dans cette île trop pauvre. Et au milieu de ce malheur, Baron Samedi fait son apparition, tient on est lundi… Peu importe, y'a pas de jour pour le rhum, y'a pas de nuit pour le vaudou.

Sur cette terre sans mercis, il y a ce mystère, une disparition. Ô Régina, soleil de mes nuits, rhum de ma vie, amours qui coulent dans mes veines. Des îles, flots de mes jours, sourires de mes désirs. Une eau ambrée coule dans mon sang, une eau turquoise saoule mes rêves. Accoudé, le verre épanché, le raconteur soliloque au milieu de la nuit, ces étoiles qui brillent sur une plage désertée de sa vie. Il est poète, il est griot, il est Nobel ou Dieu au milieu de la tempête, un cyclone d'émotions qui fouette la poussière de cette terre.

Sous un soleil impitoyable, méprisant de couleur et de vie, le rhum coule dans les yeux, comme la misère dans les caniveaux. Des morceaux de nuages dans le ciel, la Caraïbe se lève. de son paréo aux milles couleurs, elle se déshabille pour mieux envelopper mon âme. Sur la ville, le silence. Dans la terre, les mangroves. Au ciel, le vent. Et au milieu de cette misère, la poésie des îles. Et au milieu du rhum, le soleil pleurait. Et au milieu de cette histoire, n'aurais-tu pas oublier ô Régina ? Marie-Soleil pleure de toute son âme pour la retrouver. Et au milieu de ces bars de débauche où le rhum lèche le rivage de ta vie, ne l'aurais-tu pas vu, toi, ô l'étranger, ô l'adorateur de jeunes femmes et de rhums plus vieux ?
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Citations et extraits (10) Voir plus Ajouter une citation
Le vent essoufflé poussait sans y croire des morceaux de nuages. La mer remuait ses mauvais souvenirs. La terre hélait en vain miséricorde. Les femmes et les hommes ruminaient leur silence. Tout semblait à part, vampirisé par une désolation que même les rires d'enfants n'arrivaient pas à conjurer. Et dans tout Paulette une question se chuchotait. Que cherchait l'étranger ? Ainsi m'avait-on nommé. Il est vrai que je m'étais déposé là comme se déposent sur les rivages les os blanchis de la mer. Nul ne savait d'où ils venaient. On trouvait un matin un tronc d'arbre sans mémoire, les débris d'une barque, des crânes d'animaux et tout un lot de mystères échappés de derrière l'horizon. Et même des squelettes humains ! « La mer s'est tournée à l'envers », disait-on en se signant. J'étais pour les habitants une pièce à l'envers même si j'avais débarqué de la terre ferme. Ils m’observaient en personnes habituées à ne rien attendre de bon des Marie-Soleil errantes. Je sentais l'odeur de leur méfiance et les mots qu’ils risquaient en ma présence se dispersaient comme des mouches dérangées. J'avais beau gratter sous l'écale de leurs yeux, sonder les intonations, examiner les visages, je n'arrivais pas à comprendre l'en-dedans de leurs dires. Un secret gisait là. Une ancre recouverte d'algues et de caillots de rouille, épaissie par la fantaisie des mollusques en une architecture que seuls les fonds marins savent créer. J'avais beau tirer sur la chaîne, l'ancre ensouchée dans son cocon de sable refusait de bouger. Je ne ramenais que des bribes de vent, des parures d'écume, des éclats de coquilles vides. Je pressentais pourtant qu’un vaisseau m'attendait. Je veux dire une vérité. Il me fallait donc utiliser la méthode des pécheurs. Je fis l'expérience d'une caye isolée que la mer respectait. Les vagues dansaient inutilement et je guettais les passages des oiseaux. Je devenais une longue patience, mâchonnant l'air sans m'en rendre compte, dérivant dans un temps insaisissable. Je devenais aussi un bloc de vigilance. La moindre lueur, le moindre reflet me faisaient tressaillir. Tout n'était que présences, flammes de vie. Je découvris la vrille de la concentration. Une aisance m'ouvrait à des complicités nouvelles. Au bout de ma ligne le jeu du monde se jouait. Chaque vague reliait les iles aux continents et les continents à des planètes lointaines. Et soudain la Caraïbe vint à moi comme une pêche miraculeuse.
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Nous les chiens, lorsque nous avons appris cette abomination, nous nous sommes regroupés pour débattre et trouver une solution. Si les hommes s'avéraient incapables de régler leurs problèmes, il nous appartenait de le faire à leur place. Nous nous sommes réunis un soir de pleine lune dans un carrefour sacré des hauteurs de Pétion-Ville. Il y avait là le général Granzo, les officiers parmi lesquels on pouvait distinguer l'illustre Queue Coupée. Son prestige était grand depuis qu'il avait, par la science divinatoire des aboiements, annoncé la mort de François Duvalier. Un mois durant, il avait parcouru le pays, du nord au sud, d'est en ouest, en hurlant chaque nuit la sinistre nouvelle. Évidemment, personne n'avait voulu le croire puisqu'il était dit que Son Excellence était éternelle, composée d'une matière imputrescible, depuis que de grands prêtres, parmi les plus redoutés, l'avaient initié aux secrets de Baron Samedi. Baron Samedi faisait mourir mais il ne mourait pas. Queue Coupée appartenait a l’espèce des chiens sans poils que les Martiniquais appelaient chien-fer à cause de sa couleur métallique, et sa voix pouvait non seulement prendre des intonations humaines mais encore chanter des airs d'opéra. Pour François Duvalier, il n'eut pas recours à son répertoire habituel. II chercha plutôt du côté de l'Afrique. Et l'on entendit aux quatre coins d’Haïti des lamentos de kora. des solos de flûtes taillées dans les os des ancêtres, des musiques réservées à la cérémonie des morts, des prouesses sonores tirées du rituel vodou. Grand était Queue Coupée dans l'exercice de son annonciation, d'autant que, partout où il passait, il semait le prodige d'une mort spectaculaire. Duvalier, en effet, ne voulait pas partir seul et il précédait son départ d'une cueillette d'âmes dignes de l'escorter dans le royaume des morts. Les élus s'enflammaient soudainement, se transformaient en torches vivantes que l'on voyait flotter dans le ciel parmi les étoiles. D'autres perdaient leur chair sans crier gare et promenaient les os de leur squelette à l'entrée des cimetières. D'autres encore allaient tout seuls d'un pas décidé s'installer dans un cercueil où on les retrouvait raidis comme des blocs de glace. Sans compter ceux qui avalaient leur langue. Il y eut même le cas d'un nouveau-né qui se dévora lui-même au grand désespoir des infirmières. La police donna en vain le signalement du Très Craint et Très Puissant Queue Coupée mais par un procédé non expliqué à ce jour, il apparaissait ou disparaissait sans laisser d'autres traces que ces mortalités qualifiées d'infernales.
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J'ai pris un de ces transports en commun qui luttent contre le mauvais état des routes, contre les rivières à traverser, contre les passes boueuses et les nids-de-poule. Il allait son chemin en brinquebalant sous la charge posée sur son toit. On y trouvait des cabris, de la volaille, des énormes paniers, des bicyclettes, des mallettes, des sacs de charbon, de riz, d'ignames. Il geignait dans les montées, dérapait dans les virages, s'agrippait au vent, mais il avançait. Le paysage changeait souvent. A des fêtes de verdure succédaient des échancrures torturées. A des flancs cassés par l'érosion suivaient les nappes des plaines. Des rivières s'égaraient. On y voyait parfois des lavandières, torse nu, courbées au-dessus des pierres. Des plantations surgissaient. Terre et mer se contrariaient. Combats d'odeurs. Des villages rappelaient l'Afrique. Cris des couleurs. Un pays, montagne debout, déchirait le ciel et convoquait les divinités au grand banquet de la miséricorde, et des crevasses embrumées montaient les fantômes d'une grande épopée. Je les devinais au bord des routes, saluant ceux qu'ils avaient libérés, estimant que, désormais, ils étaient riches d'un défi à relever et d'un pays à rêver. Le camion avançait. A bord. les passagers riaient, s'invectivaient, mangeaient, pleuraient, se courtisaient, racontaient des histoires de veau à deux têtes, d'ignames géantes, de trésor caché, de reine-chanterelle et de baka. Le chauffeur, tout en conduisant d'une seule main, répondait aux uns et aux autres, s'esclaffait, donnait de grands coups de volant. Maître à bord, il décrétait que c'était l'arrêt-pipi. Tout le monde descendait dans une belle pagaille.
Dégourdir les jambes.
Pisser debout.
Manger une banane ou une cassave.
Respirer.
Délier encore les langues.
On reprenait la route dans une ambiance déchaînée.
Je suis arrivé l'après-midi à Port-au-Prince. Pour moi, c'était rentrer dans la chaudière d'un volcan. Port-au-Prince m'a pris à la gorge, m'a secoué, m'a largué dans un chaudron bouillant d'odeurs et de sons.
Quelle ville !
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Cuba me hélait d'un grand cri rouge. La Jamaïque descendait des montagnes bleues. Puerto Rico picorait des étoiles. Santo Domingo buvait du sang aux frontières. Saint-Vincent émigrait au Honduras. La Martinique broutait ses laminaires. La Guadeloupe refusait son double sous prétexte de mauvaises manières. Sainte-Lucie récoltait des prix Nobel. Trinidad cousait inlassablement des costumes de carnaval. Et toutes ces îles, comme des graines dans la calebasse de la mer, répandaient des rythmes, des bibliques créoles, des odyssées, des chants de griots, des nostalgies, des emmêlements de langues et de dieux, des aboiements de volcan, des coumbites de poètes, des envols de mangroves. Et toutes ces îles, pays d'hivernage tendre, de sécheresse rouge, de cyclone partagé, soudés au piment du soleil, fêtaient le monde en un seul lieu. Un archipel de saveurs et de douleurs. Un archipel des métissages.
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Quand le malheur ouvre sa gueule de caïman, ses dents sont sans pitié !
Pardon pour Marie-Soleil ! Miséricorde Seigneur ! Qui veut comprendre doit tenter de reconstruire une histoire qu'elle porte en elle comme un boulet de silence. Il faudra piéter des mangroves de choses non dites, récolter des bribes. Sonder l'impénétrable d'Haïti et plonger dans l'obscur. Je ne suis là que pour emboîter des paroles rapporter. C'est mon travail. J'effile ma langue sur des mensonges et je bobine le tout pour obtenir un racontage plausible. Nous savons tous que la vérité est une mendiante. Belle parole n'a pas de maître mais la mauvaise a toujours un visage. Loués soient les raconteurs !
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Vidéo de Ernest Pépin
Ernest Pépin, "Dis-leur" Le poème d'Ernest Pépin, "Dis-leur" a été publié pour la première fois dans Babil du songer (Kourou: Ibis Rouge, 1997, pages 142-143).
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