Monstrueuse féerieLaurent Pépin
Flatland 2020
Avec
Monstrueuse féérie,
Laurent Pépin tente d'exorciser les démons de son enfance. La figure du père, extrapolée dans une dimension horrifique par son imagination de petit garçon, est saisissante. Celle de la mère, monstrueuse, n'est pas en reste. Comment s'étonner alors que l'auteur de cet ouvrage soit devenu psychologue ?
Un autre récit s'entremêle avec ces visions cauchemardesques : celui de l'adulte qui exerce son métier dans un Centre ou les Monuments (les résidents) rivalisent de décompensations psycho-poétiques. Il s'est d'ailleurs donné pour mission de réaliser une étude comparative entre leurs propos délirants et des oeuvres de poésie classique ou contemporaine.
Et puis il rencontre son auto-déclarée Elfe. Dans la salle d'attente du Centre. Elle veut y résider parmi les Monuments qui sont, selon elle, les seuls humains poètes. Mais le Centre la refuse car sa personnalité histrionique ne présente aucun danger, ni pour elle-même, ni pour les autres. Tout naturellement, elle est recueillie par le narrateur, accessoirement psychologue du Centre, dont elle devient la douce amie.
« Elle est jolie, sa cruauté est si douce… Mon Elfe avait pris toute la place. Elle m'avait rejoint sur mon rocher. Elle croyait que je serais capable d'en partir avec elle. Moi aussi, je l'ai cru. »
« Mais il ne faut pas emprisonner les elfes… »
Laurent Pépin a fort bien réussi à intégrer son récit dans un univers métaphorique peuplé de petits monstres, d'ogres, avec au centre une incarnation féérique : l'Elfe. Sa plume sait se nimber de poésie :
« Je lui parlais des Monuments. de la dernière trouvaille de Blanche, qui avait appris à passer le temps avec un tamis tissé comme un petit rideau de vent agglutiné, doté de trous qui se dilatent imperceptiblement, comme les pores de la peau, quand on a froid ou qu'une caresse vient vous émouvoir. »
ou bien d'horrifique :
« Elle se levait constamment de table pour aller leur faire des risettes ou leur lancer des morceaux de viande. Les bébés Monstres se jetaient dessus avec de grands bruits. Il y avait du sang qui giclait partout, mais personne ne relevait. On attendait juste que la mère revienne s'asseoir. On aurait dit que j'étais le seul à les voir. »
Ce récit court se lit d'un trait. Entre analyse d'un chagrin d'amour et conte onirique, dans une écriture étudiée qui reste fluide et légère,
Laurent Pépin nous embarque dans un flamboyant délire.
J'ai beaucoup aimé !
Angélus des Ogres (une suite qui peut se lire de façon indépendante) devrait sortir au début de cet automne, toujours chez Flatland. CB
Chronique parue dans Gandahar 29 en septembre 2021