Il fut un temps, à la fin des années 1970, où l'école la plus cotée du concours de l'Agro, celle pour laquelle il fallait obtenir le meilleur rang de classement pour s'assurer d'y entrer, avant même l'Institut national agronomique Paris-Grignon, était la petite école des Barres de Nogent-sur-Vernisson, l'ENITEF, qui formait les ingénieurs des travaux forestiers. Bien sûr, le statut d'élève-fonctionnaire suscitait un certain attrait mais il existait pour cela des écoles d'agriculture plus faciles d'accès. C'était surtout la conviction de l'importance de la forêt, l'envie d'être utile à cet effet et la promesse d'une proximité avec le terrain qui motivait les aspirants. Brutalement, le gouvernement ferma cette école centenaire en 1990, adossant le cursus à celui de l'ENGREF, puis supprima carrément la formation d'ingénieur forestier en 2010. C'est dire la régression dans laquelle la France se fourvoyait, laissant les professionnels de l'art forestier se débattre entre les injonctions productivistes des élites et les représentations mythifiantes d'une population urbaine de plus en plus déconnectée du réel.
Nous sommes tous les fils et les filles de la forêt ! Pour des tas de raisons, l'humanité n'existerait pas et n'existera plus sans elle. de mille façons, la forêt protège... autant qu'elle subit, de manière aujourd'hui exacerbée à cause du réchauffement climatique. Pourtant, nous occultons l'essentialité de la forêt. Ainsi pour exemple, dans les plus de 500 pages du Schéma régional d'aménagement de la Réunion, la forêt n'est jamais citée en tant que telle, alors qu'elle couvre, selon la manière dont on la définit, 30 à 50 % du territoire. Un comble ! Et si en Europe, la forêt a doublé de surface au cours du dernier siècle et demi grâce à l'essor du charbon et du pétrôle, a-t-on conscience que la plupart de nos chocolats de Noël ont contribué à son recul inexorable en Afrique ou en Amérique ?
Les premiers chapitres permettent aux auteurs d'exposer les rôles naturels et les fonctions sociales de la forêt, sa fragilité également, et de présenter ces différents traits dans leur contexte scientifique, historique et juridique. À la complexité du fonctionnement écologique s'adjoint alors la complexité de la gestion qui doit souvent composer avec des forces contraires. Mais la complexité signifie aussi richesse et diversité, outils inestimables d'adaptabilité aux défis qui s'annoncent. Progressivement, l'analyse laisse place dans les derniers chapitres du livre à un véritable manifeste pour replacer la forêt au coeur de toute pensée politique et pour développer les moyens d'un nouveau paradigme, car il est impérieux que l'économie s'adapte à la réalité des ressources au lieu de continuer à asservir la nature à des projets démiurgiques.
C'est un discours d'une urgence absolue que tiennent
Daniel Perron et
Gilles van Peteghem, un discours cependant audible en l'état de sa formulation par ceux qui possèdent déjà certaines clés de compréhension : universitaires, décideurs politiques, gestionnaires forestiers, juristes, etc. Ce serait déjà considérable que cet ouvrage puisse réveiller leurs consciences. Sans doute faudra-t-il ensuite élargir l'auditoire à un public plus large, comme cela est d'ailleurs proposé au chapitre 6, par le déploiement d'approches plus didactiques.