Quelque chose me dit que je ne vais pas attirer les foules avec cette critique d'un essai qui ne s'attaque pas précisément à l'histoire des expositions universelles ou à l'histoire de l'Art Nouveau, ou encore à l'architecture à la fin du 19ème siècle, mais à tout ça à la fois en croisant les thèmes et selon le postulat suivant (je sens que j'ai déjà lâché pas mal de lecteurs) : bien que la majorité des historiens et historiens de l'art aient retenu la prédominance de l'Art Nouveau et du fonctionnalisme en architecture dans les expositions universelles de 1851 à 1900, force est de constater que la modernité architecturale n'y a eu que peu de place.
Au vu de ma présentation, vous serez peut-être étonnés d'apprendre que lorsque j'ai repéré le titre de cet essai dans la dernière masse critique Non fiction de Babelio, je me sois dit : "C'est pour moi, je le veux absolument !" le fait est que, amateure d'Art Nouveau, je pensais que, naturellement, les expositions universelles avaient tout à voir avec l'Art Nouveau (car j'avais toujours été honteusement trompée par les fameux historiens et historiens de l'art cités plus haut). À lire cet essai de
Yaron Pesztat, je me suis rendu compte que je ne m'y connaissais guère en expositions universelles, mes principales références étant le Crystal Palace bâti en 1851 à Londres (puis démonté - puisque c'était un leitmotiv des expositions universelles de construire des machins monstrueux qu'on détruisait ensuite- , puis remonté, puis détruit par un incendie), la Tour Eiffel en 1889 (ben oui, forcément) et l'Atomium de Bruxelles en 1958. Pour faire bonne mesure, j'avais (quand même) entendu parler de l'Exposition universelle de 1900 à Paris, et notamment du rôle qu'y avait joué
Alfons Mucha en concevant le stand de la bijouterie Fouquet et le pavillon de Bosnie-Herzégovine (je fais ma maligne maintenant, parce que ça va être plus compliqué par la suite). J'avais donc une vision assez fantasmée des expositions universelles.
Yaron Pesztat part d'un contentieux entre Paul Hankar et (un instant, je vérifie le nom exact que je vais devoir citer) L'Oeuvre Nationale pour l'Art Appliqué à la Rue et aux Objets d'Utilité Publique qui eut lieu alors que Bruxelles se préparait à accueillir la je ne sais combientième exposition universelle (c'était très à la mode, il y en avait quasiment tous les ans) en 1897. Pas de panique si vous ne connaissez pas Paul Hankar. Même s'il est une référence chez les experts de l'Art Nouveau, il a toujours été éclipsé par d'autres architectes, en particulier par
Victor Horta, considéré comme l'architecte belge Art Nouveau par excellence. Vous avez tous vu au moins une fois dans votre vie une photographie de l'hôtel Tassel de Horta, il est moins certain que vous ayez en tête les réalisations de Paul Hankar ; pour ma part, seul son nom m'évoquait quelque chose. Quant à L'Oeuvre Nationale pour l'Art Appliqué à la Rue et aux Objets d'Utilité Publique, institution vouée à la fin du 19ème siècle à l'amélioration de l'urbanisme (comme son nom l'indique)... C'est bien simple, je n'en avais jamais entendu parler.
Pesztat explique bien quels étaient alors les enjeux de l'exposition universelle de 1897 pour Hankar, chantre de la modernité avec l'Art Nouveau, d'une part, et pour l'Oeuvre d'autre part. Hankar s'appuyait sur un mouvement neuf, profondément utopique (au sens noble, et au non au sens dévoyé et méprisant le plus souvent usité de nos jours), qui se voulait à la fois un art total et accessible au plus grand nombre (ce qui n'est pas sans rappeler les visées de William Morris avec les Arts and
Crafts). Quant à l'Oeuvre, l'institution souhaitait rénover l'espace public, mais en intégrant à son vocabulaire architectural les influences du passé. Les deux avaient pour l'exposition universelle un projet de "quartier XXème siècle" - ce qui provoqua moult disputes et débats - et qui furent tous les deux refusés.
Tout ce qui concerne Paul Hankar, la place de l'Art Nouveau en architecture (car l'Art Nouveau fut un mouvement dont le socle était l'architecture), L'Oeuvre Nationale pour l'Art Appliqué à la Rue et aux Objets d'Utilité Publique et la volonté de rompre avec les (déjà) vieilles habitudes des expositions universelles est tout à fait intéressant. Mais l'essai devient encore plus captivant quand est abordée la question de l'éclectisme en architecture - ce style (ou non-style, comme on voudra) qu'on assimile volontiers au Second Empire en France - et que
Yaron Pesztat remet en cause le mépris qu'on lui voue depuis plus d'un siècle, ainsi que la façon dont on sous-estime encore aujourd'hui son importance (c'est un peu un équivalent de l'académisme en peinture et en sculpture).
S'ensuit une partie sur l'histoire des expositions universelles au 19ème en quelques dates qui marquèrent leur histoire, et qui démontre comment on est alors passé d'une sorte de grande foire consumériste à l'utilisation des beaux-arts comme valeur uniquement marchande, pour aboutir enfin à un espace de divertissement gigantesque à la fin du siècle (la volonté d'éduquer les foules, toute relative qu'elle ait pu être, ayant alors disparu). Tout cela en utilisant l'architecture à des fins uniquement spectaculaires, pour ne pas dire complètement idiotes, les faux quartiers "indigènes" et autres reconstitutions factices ayant pullulé pendant pas mal de temps dans les expos universelles, laissant de côté toute réflexion sur ce que pourrait être l'architecture "moderne". Je ne sais si je m'explique bien...
Je ne suis pas suffisamment (c'est-à-dire pas du tout) calée sur le sujet pour venir confirmer ou infirmer la thèse de Pesztat, mais c'est un fait qu'elle amène à reconsidérer l'histoire de l'architecture Art Nouveau et de l'architecture éclectique sous un angle rarement abordé, ainsi que sur l'évolution des expositions universelles au 19ème siècle. Souvent objets de fantasmes (Ah le Crystal Palace ! Ah l'inauguration de la Tour Eiffel ! Ah, ah, ah !!!), elles sont ici scrutées de façon particulièrement intéressante, et, disons-le, elles perdent un peu de leur superbe. Cet essai peut donc être considéré comme un morceau d'un puzzle dans la bibliothèque de qui s'intéresse plus spécifiquement à l'Art Nouveau et, évidemment, aux expositions universelles (et à l'architecture, à la question de la modernité, à la naissance du capitalisme, et à tout plein d'autres choses). Est-ce à dire qu'il s'agit là d'un essai pour un public de niche ? Difficile à dire, car si le sujet n'attirera pas d'emblée les foules, le livre m'a semblé abordable pour les curieux non experts en la matière (ce qui est mon cas, vous l'aviez compris).
Ajoutons que les éditions cfc proposent moult titres sur Bruxelles et son histoire, entre autres. J'allais dire que j'avais découvert une nouvelle maison d'édition pour l'occasion, sauf que non : en parcourant le catalogue de cfc, je me suis aperçu que je possédais un de leurs titres sur l'Art Brut. Que je n'ai pas encore lu, comme une grande partie de ce qui se trouve dans ma bibliothèque personnelle. Je me dois donc de vous faire une de ces promesses que je ne tiens pas ou que je tiens des années après l'avoir faite : celle de lire cet autre essai sur l'Art Brut et de vous en parler un de ces jours...