L'Anthologie des oeuvres d'Étienne Dolet proposée par
Marcel Picquier, publiée chez
Jacques André éditeur, permet d'accéder à un héritage par chance arraché au feu de l'Inquisition de Toulouse au début du XVIème siècle. Ce qui reste de ce précieux héritage a fait l'objet d'études universitaires approfondies, de thèses de doctorat, d'actes de colloques, et
Marcel Picquier décide aujourd'hui de lui donner nouvellement ou autrement vie. Cette anthologie se veut en effet « utile », puisque ce qui reste des textes d'Étienne Dolet est aujourd'hui difficile d'accès. le lecteur curieux devait jusqu'à présent se plonger dans le catalogue compliqué de la BNF ou explorer les ressources disponibles sur Gallica, comme précise l'auteur. Mais, ce même lecteur peut aujourd'hui accéder aux Deux discours contre Toulouse, aux Carmina, aux Commentaires sur la langue latine, au Second Enfer par des extraits courts mais fondamentaux pour comprendre la pensée ou mieux la « libre » pensée d'Étienne Dolet en consultant cette anthologie.
Introduit aux textes par une biographie de l'auteur, le lecteur découvre d'abord les étapes saillantes d'une vie tumultueuse vécue entre l'Université de Padoue qui a imbibé Dolet d'humanisme, l'imprimerie, qui lui a permis de le transmettre, et la prison, qui lui empêché de continuer à le faire librement.
Dolet a en effet été emprisonné, puisqu'au XVIème siècle entre la Réforme et l'Eglise, il choisit les Anciens. C'est en effet dans leurs textes qu'il trouve refuge à une époque où pour penser il faut se ranger du côté de l'une ou de l'autre. Dolet ne prend pas de parti. Ni catholique, ni luthérien, Dolet se range simplement « du côté de la libre pensée », comme l'affirme Marcel Piquier. Que signifie choisir la libre pensée ? Signifie retourner aux sources, retourner aux Anciens comme guides pour l'avenir. Toute la devise des humanistes est là. La redécouverte du savoir de l'antiquité, lui permet de mieux comprendre son époque et de la pousser au « sapere aude » (« ose savoir ! ») bien avant les Lumières, bien avant
Kant. C'est pourquoi Dolet est pressé de traduire les Anciens, de les publier, les diffuser et le faire ainsi revivre.
Dolet, initié au matérialisme et au panthéisme classiques par les maîtres de l'Université de Padoue, se fait auteur, traducteur et aussi orateur à l'image de son modèle
Cicéron, et fait également sienne la pensée de Lucrèce. Il affirme, comme l'épicurien, la néantisation de l'âme avec la mort du corps.
Dolet « parle la langue franchement païenne qu'on parlait à Rome impunément sous Léon X et qu'on reparlera en France au temps de
Voltaire » affirme Buisson, précieusement cité par Picquier. Ce sera précisément cette langue, tout comme ses thèses, qui lui coûteront la vie.
Le lecteur est par la suite guidé, selon un ordre chronologique, à travers les extraits des textes accompagnés par une présentation de
Marcel Picquier. Des premiers discours au dernier cantique rédigé en prison, cette anthologie amène à la découverte de l'imprimeur lyonnais et nous renseigne sur les sentences prononcés sur son sort par les tribunaux et par l'histoire.
Au lecteur on lègue ainsi aujourd'hui un héritage qu'on qualifie de précieux non seulement parce que les textes survécus à la barbarie de l'Inquisition sont rares, mais aussi parce que c'est dans l'esprit du lecteur que la devise de Dolet trouvera sa réalisation : celui qui osera savoir sera le passeur des valeurs humanistes. Cette anthologie permet ainsi de répondre à un besoin plus que jamais actuel de réfléchir à ce qu'est la liberté de pensée, à la liberté d'expression, à la laïcité et à la dette que nous avons envers les Anciens.