J’écris tout ça dans la précipitation. J’espère avoir terminé dans quelques jours. Je veux réussir à préserver l’essentiel tout en te disant des choses qui n’auront pour toi, peut-être, que le goût de la trahison.
L’état espagnol et l’état français n’auront plus à craindre les fusillades, les explosions, les attentats. Ils voulaient sauver leur langue par la bouche des canons, leur culture par la dynamite. Que peut-il rester de tout ça ? Les traumatismes dans les mémoires ? Le nombre de cadavres depuis 1953 ? Une certitude demeure : la peine des proches, des familles, des amis. Depuis vingt-trois ans que je vis à Montréal se pose pour moi et pour la première fois la question du retour.
Au même moment, alors qu’ETA vient de réaliser l’attentat le plus spectaculaire de son histoire, une femme donne naissance à une petite fille. Nous sommes le 20 décembre 1973. Oyana vient de voir la lumière au bout du tunnel.
Le détonateur est connecté. Les trois hommes ont préparé leur fuite dans les moindres détails. Ils changeront de véhicule à mi-chemin pour semer d’éventuels poursuivants.
es trois hommes procèdent avec la plus grande prudence. L’opération dure depuis des mois mais on touche au but. On connaît l’emploi du temps du Premier ministre par cœur. Il emprunte cette rue chaque matin après une visite à l’église Saint-François-di-Borgia. Il commence toujours sa journée de travail par une prière.
Les trois hommes se relaient toutes les heures dans l’étroit conduit pour creuser. Au fond du trou, Iban pense à la femme qu’il a quittée pour venir ici se battre pour la cause. La femme est enceinte. Elle accouchera avant la fin de l’année. Lui doit creuser. Il faut que le tunnel atteigne le milieu de la rue Claudio Coello pour ensuite y entasser un maximum de dynamite, deux mètres sous la chaussée.
Dire la vérité ou m’enfuir sans un mot parce que les remords se sont accumulés ? M’asseoir devant toi pour tout révéler ou prendre mes jambes à mon cou ? Parce que je ne sais que faire, parce que je n’ai pas de réponse, j’ai décidé d’écrire. Je tourne autour depuis hier, pour ne pas dire depuis toujours. C’était déjà là quand nos chemins se sont croisés au Mexique, quand nous avons eu notre coup de foudre. C’était comme tu disais au début : tomber en amour.
Je te dois un tas d’explications. Ça risque d’être long. J’essaie depuis plusieurs jours de trouver comment le faire. Quoi qu’il en soit, j’ai décidé de ne pas te demander pardon. Ce que je te demande, c’est d’essayer d’au moins comprendre en dépit des raccourcis inévitables.
Je pourrais te demander de me faire confiance, mais tu le fais déjà depuis plus de vingt ans. Et comment te demander cela alors que je me prépare à t’expliquer que tant de choses étaient fausses ?
Pour que tu comprennes dans quel état d’esprit je me trouve, je n’ai pas jeté mes premiers brouillons. Je veux que tu saches mes tâtonnements, que tu saisisses par ces débuts avortés ce que cela me coûte.
ETA est née du peuple et, à présent, elle se dissout en lui.
GORA EUSKAL HERRIA ASKATUTA !
GORA EUSKAL HERRIA SOZIALISTA !
JO TA KE INDEPENDENTZIA ETA !
SOZIALISMOA LORTU ARTE !
Pays basque, 3 mai 2018
Euskadi Ta Askatasuna - ETA
Je suis en train de saisir que la violence du passé a été chassée par une autre violence, celle lisse et insidieuse d'un présent sans histoire.