Féroce, grinçant, cynique et sans doute un peu vrai : tels sont les adjectifs qui viennent immédiatement à l'esprit après avoir refermé le premier tome de
Blaise, dessiné, ou plutôt mis en scène, par
Dimitri Planchon.
Blaise, c'est ce petit garçon en couverture, fils unique de parents névrosés, à moins qu'ils ne soient absolument normaux au regard de notre époque.
Blaise, donc, c'est ce garçonnet qui ne dit pas grand chose, se révolte à peine - il n'a que huit ans -, a les intérêts et les activités de son âge, dans un monde qui est sans doute, comme l'est le nôtre pour nos enfants, trop faux et violent pour être totalement compréhensible pour lui. Au contraire de nous, lecteurs, qui prenons un certain plaisir à découvrir cette France dessinée, à la fois très différente et très semblable à la nôtre, croquée avec une acuité sévère et drôle par
Dimitri Planchon.
On est d'abord étrangement envoûtés par ces choix graphiques, qui font immanquablement penser aux publicités des revues et magazines des années soixante-dix. Il y a aussi des Têtes à claques dans ce
Blaise, avec ces visages qui ont quelque chose de grotesque, de figé et pourtant de très réaliste. Strip après strip, les couleurs vives attirent l'oeil autant que les fonds photographiques qui évoquent tant les cuisines et les chambres vieillottes, les rues parisiennes ou d'antiques salles de classe d'école. Par la suite, on découvre, page après page, cette France parallèle dans laquelle vivent
Blaise et ses parents, et l'on rit beaucoup de ces strips tantôt absurdes (les différents styles d'alarme attentat), tantôt remarquablement cyniques, qui dessinent en creux notre propre portrait. On s'amuse de ces scènes dans lesquelles on se reconnait aisément : le choix du vin au restaurant, les choix discutables d'éducation, ce culte parfois insensé de la parole ou des gestes de nos aïeux ...
Dimitri Planchon balaie tout cela, les événements les plus banals, nos aveuglements aussi (ainsi l'annonce du Président d'une sorte de coup d'État démocratique ne provoque aucune réaction chez les parents de
Blaise, qui s'indignent plutôt de la nationalité de l'agresseur d'une vieille dame), les compromissions du quotidien (la vedette Dabi Doubane, star du foot et évergète tant vanté promène ainsi sa trogne dans tous les espaces publicitaires possibles). Évidemment, on pourra se rassurer, se dire que
Blaise se déroule dans un autre monde, que nous ne sommes pas si stupides ni compromis, que la caricature de
Blaise nous en met à distance (de fait, nos enfants n'ont pas encore de cours relatifs à quelque incident guerrier ou terroriste que ce soit), que nous sommes clairvoyants face à toutes les stratégies commerciales ou politiques dont nous sommes abreuvés du matin au soir ... Tout de même, une piqûre de rappel, surtout si elle passe par le rire, n'est jamais superflue.