A peine entré dans l'âge adulte,
Blaise a été envoyé sur le front chinois, dans le cadre des guerres lointaines décidées par le Président (à vie) de la République française. Gardien d'un camp de prisonniers, il appelle régulièrement ses parents qui ont divorcé quelques années auparavant. Sa mère a rencontré un homme et de leur union est née une petite fille, qu'ils ont choisi d'élever à la campagne. Son père traverse une dépression et se persuade, au fond de son lit ou de son canapé, que tous l'ont abandonné. Pour la construction narrative de son troisième et dernier tome de
Blaise,
Dimitri Planchon traite indépendamment ses trois personnages en trois parties qui dialoguent entre elles. La constance de ton - volontiers désespérant - finit de faire de cette série un petit concentré de causticité acide. A bien y réfléchir, le décalage entre la réalité et la fiction n'est pas si grand, et ce contexte dystopique d'une France totalitaire et impérialiste ne change pas grand chose aux comportements minables et aux auto-arrangements. Les personnages ne sont ni plus grands, ni plus petits que nous. Ils sont notre reflet fidèle et dérangeant, et dans leur drôlerie, il y a notre gêne.
Blaise est sur le front asiatique. Pour se donner bonne figure, il dit à ses parents que l'horreur de la guerre le touche chaque jour. Mais cela est une posture, et malgré une certaine dose d'auto-persuasion (n'a-t-il pas vu un homme se faire tuer ?),
Blaise accepte le rôle qu'on lui a attribué, et ne remet jamais en question sa présence si loin de chez lui. S'il semble participer avec une certaine gaieté aux répressions contre les prisonniers, il suffit qu'un prisonnier chinois lui montre qu'il parle français pour que
Blaise sente sur lui le poids sinon de la honte, du moins d'une certaine morale. Tous ses arrangements avec la vérité apparaissent au grand jour lors des appels qu'il passe à son père, lequel maintient un lien quasi fictif avec son fils, fait de souvenirs insignifiants (le fait que
Blaise aime les gaufres) et des réminiscences des mensonges que
Blaise lui a raconté (l'écharde dans le pied transformée en blessure de guerre). Au sujet du père, justement,
Dimitri Planchon a accentué cette dimension tragi-comique qui en fait un personnage que l'on plaint en même temps qu'on le méprise. Il est l'image même du nombrilisme, tâchant de manipuler, afin de peut-être créer une forme de culpabilité chez eux, son fils et son ex-femme qui ne vivent plus avec lui. Imaginant la douleur de l'une et de l'autre s'il venait à disparaître soudainement, il provoque, par imprudence, un accident qui manque de lui coûter la vie. Il parvient à cacher son égoïsme odieux derrière une fausse empathie qui trompe certes sa mère, mais point le lecteur, qui rit à la fin de l'album quand il se réjouit de voir sa famille unie. Cependant, ces faux-semblants ne sont pas son apanage, car son ex-épouse, mère de
Blaise, tente aussi de se convaincre que sa nouvelle vie - maison en banlieue, nouveau conjoint, une fille de laquelle elle remarque chaque défaut physique - est de bien meilleure qualité que son ancienne. A la différence du père, la mère de
Blaise semble faire preuve d'un minimum d'honnêteté, notamment lorsqu'elle se rend compte que sa vie de femme libre n'aura duré que le temps de retrouver un amant. Ainsi vont les vies de
Blaise, de ses parents, et toutes les nôtres, entre plaisirs mesquins et médiocrités peu ou prou assumées.