Voilà bientôt une quinzaine de jours que j'ai achevé la lecture de ce livre. Depuis, les yeux de cette couverture me hantent. Ces yeux, ce sont ceux de Krestina, Angelina et Maria Khatchatourian.
Elles ont 17, 18 et 19 ans. Elles sont soeurs et sont assises à côté du cadavre de l'homme qu'elles viennent de tuer. Cet homme, c'est leur père. Elles iront en prison mais elles sont sorties de l'enfer.
Cet homme les battait, les insultait et les violait. Presque au vu et au su de tout le monde. Les voisins, les professeurs, les médecins, la police, l'Eglise, tous savaient. Certains ont tenté de les protéger, ont voulu dénoncer cet homme violent et arrogant, en vain.
Ce récit, plus qu'un roman, mêle l'histoire des soeurs Khatchatourian et l'histoire personnelle de l'autrice autour du thème principal de la violence faite aux femmes. Ne dit-on pas « Biot - znatchit lioubit » - s'il te bat, c'est qu'il t'aime ».
Mais, et c'est une grande réussite de ce récit, tout est présenté de façon objective, journalistique, presque clinique. A nous d'appréhender, de saisir comment les russes en sont arrivés là : des années de promiscuité à vivre les uns sur les autres dans ces appartements soviétiques, où tous se surveillaient, sont passées par là.
Ce livre interroge sur le phénomène de l'emprise, sur l'absence de réaction des autorités mais aussi de l'Eglise qui au-delà d'un passéisme notoire en devient même complice. La vague #metoo s'est arrêtée a la frontière russe. Enfin pas tout à fait ! Car cette histoire ébranle ce qui se passe dans l'intimité des foyers russes et que certains voudraient maintenir enfoui (il ne faudrait pas que le monde croie que les russes ont les mêmes deviances que les occidentaux !). D'ailleurs en 2017, les députés russes, sous la pression de l'Eglise orthodoxe et du gouvernement, ont dépénalisé les violences domestiques pour ne pas « détruire la structure familiale ».
Laura Poggioli, qui à défaut d'être russophile est profondément amoureuse de la culture et de langue russe, tisse des liens entre l'histoire de ces
trois soeurs et la sienne (de l'importance de la langue comme phénomène de distanciation). C'est tout à la fois insoutenable, révoltant et passionnant.
Vous souhaitez en savoir plus, mettre un visage derrière ces yeux, allez voir la page Instagram consacrée aux soeurs Khatchatourian @hachaturyan_sister