Ce livre n'est pas un roman, moins encore comme j'ai pu le lire, « Un éloge à la culture russe ».
Non ! Ce livre raconte, d'une écriture très fluide, un fait divers terrible qui s'est passé en 2018 en Russie.
Une sordide affaire de violence domestique et de meurtre, qui fera ressurgir violemment du coeur de l'auteure, des souvenirs qu'elle avait enfoui au plus profond d'elle.
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Laura Poggioli avec une grande sensibilité et une grande finesse, m'a fait pénétrer dans deux intimités, la sienne et celle de la famille Khatchatourian et son malheur.
L'auteure lève un pan de voile pudique sur sa vie d'étudiante et nous fait découvrir des facettes de la société russe, celle où elle a vécu lorsqu'elle est arrivée dans ce grand pays.
Une Russie si différente de la France, marquée par des décennies de communisme et de totalitarisme. Profondément blessée dans l'âme, par le souvenir transgénérationnel des répressions, des grandes terreurs, des dénonciations, des purges et des goulags staliniens dont des millions de patriotes furent les victimes.
Une Russie qui pensait avoir perdu sa dignité dans les errances des années Eltsine.
Une Russie qui rejetait en bloc toutes références, tous exemples qui venaient des pays occidentaux.
Une Russie qui gardait sa culture patriarcale toute puissante, en défendant ses valeurs traditionnelles et une vision très rigoriste de la famille.
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Nous sommes en 2002,
Laura Poggioli à 17 ans, elle est belle, elle est heureuse, lorsqu'elle débarque chez sa correspondante Alina, pour s'installer comme étudiante à Moscou.
Laura Poggioli a étudié la langue russe, elle aime ce pays et sa culture bien particulière.
Avec le temps, elle se fera des amis et rencontrera Mitia, un étudiant venu de Sibérie dont elle tombera amoureuse.
Mais le prince russe, doux et blond, comme le nommera
Laura Poggioli dans son livre, montrera bientôt son vrai visage. Celui d'un jeune homme frustré, envieux, jaloux et colérique. Un méchant manipulateur qui lui fera subir des violences, des humiliations, des offenses, des vexations.
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C'est en 2019 lorsque l'auteure retourne en Russie, qu'elle découvre la triste affaire des
trois soeurs Khatchatourian qui ont tué leur père l'année précédente.
Laura Poggioli va alors très vite s'intéresser à ce meurtre et essayer de comprendre qu'elles étaient les raisons pour que ces
trois soeurs soient passées à l'acte.
Et c'est par cette enquête, que l'auteure verra son passé refaire surface, ravivant brutalement cette liaison houleuse, nocive et violente qu'elle avait eu avec Mitia, sept ans plus tôt.
Laura Poggioli découvrira avec stupeur et effroi, l'enfer que Mikhail Khatchatourian, un père alcoolique, inactif et colérique, a fait subir à sa femme mais aussi à ses filles.
Ce monstre qui avait même séjourné dans un hôpital psychiatrique, se montrait en public comme une personne pieuse, un père respectueux et un mari aimant.
Mais derrière cette façade mesquine se cachait un bourreau impitoyable qui a fait vivre à ses trois filles, des années d'inceste, d'humiliations, de tortures physiques et morales.
Tout le monde savait mais se taisait. C'était dans la culture russe que les familles règlent leurs problèmes entre membres et évitent de laver leur linge sale sur la place publique.
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Le procès de Krestina, Angelina et
Maria Khatchatourian suscita beaucoup de polémiques.
Le meurtre des
trois soeurs était devenu pour certaines rares associations, le symbole de la lutte contre la violence faite aux femmes. Il faisait débat.
Pour beaucoup de russes, c'était les soeurs les seules coupables, à une époque où les violences domestiques avaient été dépénalisées en 2017, pour disait-on en Russie, la stabilité des familles et de la société.
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Le livre en double récits de
Laura Poggioli m'a bouleversé par sa propre histoire et m'a touché sur la complexité sociétale de la Russie contemporaine.
L'auteure a démontré entre autres, la place très restreinte qui était donnée aux femmes dans la société russe. L'auteure a également pointé le rapport de l'intimité où beaucoup de familles entières vivent dans une seule pièce, en asphyxie, dans des appartements communautaires.
Chacune et chacun cherchant sa place, un peu de son privé et de son espace.
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Un énorme merci
Laura Poggioli que j'ai rencontré au festival Clameur(s) à Dijon et à l'occasion de cette rencontre littéraire, très intéressante.
Et merci pour sa grande gentillesse, pour notre échange et pour sa dédicace.