Les œuvres classiques étaient écrites pour l'orgue ou le clavecin, les sonates de Beethoven avaient une allure orchestrale, Chopin compose pour le piano dont le mécanisme, très supérieur à celui du clavecin, venait alors de recevoir d'importants perfectionnements, et à cet égard nous venons de le dire, c'est un maître écrivain. Il ne s'agit pas ici de pure virtuosité. D'autres y ont brillé au moins autant, sinon plus que lui. Liszt a plus de puissance, il est plus exubérant, plus fougueux, plus fantaisiste. Thalberg, sur le piano, se livre à des exercices qui deviennent de la haute école. Chopin, beaucoup plus simplement, obtient de l'instrument des sonorités nouvelles, merveilleuses, en donnant aux accords l'extension la plus grande possible, — poussée jusqu'à l'extrême limite, — soit en frappant les notes plusieurs fois redoublées de l'accord, soit, ce qui est le moyen préféré, en les arpégeant successivement. Ce sont, en général de longs arpèges, embrassant deux, trois octaves, ou davantage, la position serrée dans l'harmonie étant exceptionnelle et ne persistant pas.
Il n'est personne qui ne connaisse son nom, qui n'ait entendu quelqu'une de ses oeuvres. Sa musique figure sur tous les pianos ; n'y eût-il ni Mozart, ni Beethoven, ni Schumann, on trouverait certainement un de ses nocturnes ou une de ses valses.
Cette extraordinaire popularité, que pourrait justifier, sans l'expliquer complètement, la valeur de l'artiste que fut Chopin et de son oeuvre, provient de ce que Chopin, comme pianiste, réalisa un type jusqu'ici unique et que, compositeur, il créa une forme typique très reconnaissable et très frappante.
Spontanéité, homogénéité, originalité, tous ces caractères qu'on trouve dans leurs œuvres, se rencontrent au plus haut degré dans celles de Chopin, et s'y révèlent dès le début.
Chopin, en effet, est surtout un musicien instinctif, il appartient à cette classe d'artistes merveilleusement doués qui n'ont presque rien à apprendre, ayant l'innéité des choses d'art, qui écrivent d'une façon tout impulsive.