Journal d'une descente aux Enfers,
le Prince de ce monde dresse le portrait d'une société en plein dérèglement autant que celui d'une narratrice qui perd pied dans un monde qui s'effondre.
Elle est une ethnologue quadragénaire, mise au placard dans un musée poussiéreux où elle s'occupe de la section, encore plus désertique, des arts africains. Mariée depuis vingt ans à Paul, un avocat qui vivote dans un cabinet spécialisé dans les faillites d'entreprise, elle a une vie de couple banale mais heureuse, avec quelques extras conjugaux, compromis entre l'idéal de l'amour et sa réalité, mère d'une adolescente, Violette, à l'âme artistique, elle est l'image typique de la femme ordinaire qui vit une vie ordinaire. Une vie quotidienne qui continue malgré un climat social qui est une véritable poudrière : car dans toute cette normalité, le quotidien est marqué par de nombreuses émeutes, attentats, les trottoirs se remplissent de SDF, des quartiers entiers sont mobilisés pour accueillir une vague d'immigration sans précédent venue d'Afrique, fuyant guerres, maladies et autres misères. Une paupérisation galopante, une violence en hausse, et une montée brutale et prévisible des extrêmes, politique ou religieux, face à un Gouvernement incapable de prendre des décisions au bon moment, toujours en retard d'un épisode, empêtré dans des scandales politiques et financiers.
C'est dans cette atmosphère anxiogène de fin du monde qu'elle fera une rencontre fatidique. C'est Lui, qui la charme et la fascine par sa clairvoyance de la situation actuelle, par son intelligence fine et son regard cynique. Il deviendra son amant. Au début, elle est grisée par cette relation, puis elle constate peu à peu l'étrange puissance qui émane de cet homme qui se révèle cruel, sadique, bestial et qui la tient sous sa coupe. Elle sent une puissance en elle qu'elle ignorait : celle du mal, de la haine. Peu à peu, elle en est convaincue : Il est le diable, l'Adversaire de l'humanité. Les catastrophes s'enchaînent, aussi bien dans la situation politique, économique et sociale, que dans sa vie personnelle. C'est Lui, c'est son influence, son travail. Il contemple et laisse faire, profitant de l'indifférence et du désengagement généraux pour étendre son pouvoir. L'armée est dans la rue, des couvre-feux sont décrétés, l'extrême droite arrive au pouvoir, son musée est pillé, sa fille s'éloigne, se tatoue même un dieu païen sur l'épaule, son mari, qui connaît soudain une accélération dans sa carrière suite à une remarque adressée à son amant sur l'argent qui vient à manquer, est de plus en plus absent, jusqu'à cette absurde prophétie de la mort prochaine de Paul. Tous ces éléments sont l'oeuvre du Mal.
La narratrice glisse peu à peu dans la paranoïa, elle sent « l'autre » partout, sent son regard en permanence, le voit dans chaque aspect de sa vie qui tourne mal, dans chaque difficulté qu'elle rencontre. Son monde vacille : l'athée qu'elle était recommence à penser le monde sous l'angle oublié, presque méprisé dans une logique rationnelle et scientifique, du bien et du mal. Un éveil et une lucidité nouvelle qui lui réapprend l'existence du Mal, le mal qui vit en lui-même et pour lui-même, générateur de son propre plaisir.
Entre le récit d'une femme tombée sous la coupe d'un pervers narcissique et une fable contemporaine qui apporte un éclairage original sur les crises que traverse notre époque,
le Prince de ce monde dresse l'inquiétant portrait d'une femme perdue dans un monde chaotique en pleine déréliction, d'une société aveugle et aveuglée, en perte de sens, indifférente aux autres. À découvrir.
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