La tournure du récit est pleine d'ironie, le ton adopté est souvent caustique. le maître de la littérature russe et prince de la poésie romantique en sa nation n'est-il donc qu'un conteur espiègle ?
La réponse est bien évidemment négative, et c'est un contraste qui fait la grandeur du roman : une tragédie absolue narrée avec légèreté. Car malgré la malice de l'auteur, rien, des émois virginaux de Tatiana à
l'emportement jaloux et fatal du poète adolescent Lenski, n'est minimisé ou traité avec dérision.
Malgré les dehors byroniens de son héros Onéguine (qui "joue Harold en plein Moscou"), le fond du roman ne laisse place ni au cynisme ni à aucune leçon de morale.
Pouchkine laisse les passions, les penchants les plus extrêmes s'y déployer et aller jusqu'à leur terme fatal. La folie, la mesure, à chacun son heure de gloire.
Dans un poème beau, léger et épuré,
Eugène Onéguine offre un condensé des émotions et pensées qui animent toute vie sentimentale.
"Qu'il rêve heureux, brûle et croie
Vivre la perfection du monde, -
Jeune folie d'un jeune sang,
Excusons cet adolescent."
(lu dans la traduction d'
André Markowicz, qui n'est pas forcément la meilleure)
Pour qui veut comprendre la culture russe, je le note au passage, c'est une lecture capitale. Tous les russes ont lu Evguéni Onéguine (voire quasiment toute l'oeuvre de
Pouchkine), et on en trouve même qui sont capables de le réciter par coeur. Sans grande surprise, le Russki reportior (une revue bimensuelle) l'avait placé en tout premier dans son classement des cent livres qui ont façonné l'âme russe.