"Nobliaux et sorcières" est à la fois une pierre angulaire du courant anti-
Tolkien et un cas difficile à traiter. Présenter les elfes, un peuple, une race entière, comme de parfaits antagonistes afin de mettre à
mort leur image bienveillante tant véhiculée, ne fait que créer un nouveau dualisme dont l'idée de base était justement de le foutre à la porte. Et l'incitation à se débarrasser d'eux tous autant qu'ils sont pourrait être considéré comme une incohérence dans l'oeuvre de
Pratchett, car viendra a posteriori "Coup de tabac", un de ses pamphlets les plus violents (et son plus réussi) portant sur le génocide.
Mais cela dit, est-ce que notre bonhomme a bâclé le boulot ? Non, certainement pas ! Pour créer ses elfes, il s'est inspiré de légendes sur les fées (avec les cercles, les brins d'achillée permettant de voler), les loups-garous (ne supportant pas l'argent ; ici, c'est le fer), ou encore les légendes datant d'avant l'archétype tolkienien, du temps où ils étaient facilement confondus avec les mauvaises fées ou les changelins (les fêtes sur les collines, les contes pour bonnes femmes...). Une telle richesse ne pourrait pas être négligée, surtout si comme moi vous en avez eu votre claque des textes à deux balles se voulant profonds par une simple inversion des valeurs sur le plus pernicieux des réseaux sociaux pour auteurs (Atramenta...). On se rend compte en outre de la cohérence du monde de
Pratchett (du moins dans ses lignes principales, car il y a toujours des détails sur lesquels je chicane) : il parvient à réutiliser son magicbuilding déjà bien établi pour explorer des concepts nouveaux dans des aventures indépendantes de celles où il a été établi sans changer le tout en une bouillie incompréhensible.
Voilà donc les sorcières du royaume de Lancre contraintes à repousser une invasion de ces salauds, alors qu'elles doivent déjà s'occuper d'une bande d'impostrices voulant leur apprendre leur métier... Et comme si ça ne suffisait pas, Casanabo et les mages s'invitent dans le tas ! L'acte I composé principalement de scénettes préliminaires est un des plus réussis que j'aie vus de la série, l'acte III qui lui résout tous les arcs narratifs passée la conclusion de l'intrigue principale l'est aussi, et entre les deux c'est action non-stop. Et vous savez pas le plus beau ? À aucun moment,
Pratchett n'oublie d'être drôle.
Bref, s'il fallait résumer "Nobliaux et sorcières" en un seul mot, le plus adapté serait je crois quelque chose comme : Oook.