Titus
Je sais tous les tourments où ce dessein me livre ;
Je sens bien que sans vous je ne saurais plus vivre,
Que mon coeur de moi-même est prêt à s'éloigner ;
Mais il ne s'agit plus de vivre, il faut régner.
Je m'agite, je cours, languissante, abattue ;
La force m'abandonne, et le repos me tue.
TITUS
[...]
Car enfin, ma Princesse, il faut nous séparer.
BÉRÉNICE
Ah ! cruel ! Est-il temps de me le déclarer ?
Qu'avez-vous fait ? Hélas ! je me suis crue aimée.
Au plaisir de vous voir mon âme accoutumée
Ne vit plus que pour vous. Ignoriez-vous vos lois,
Quand je vous l'avouai pour la première fois ?
A quel excès d'amour m'avez-vous amenée !
Que ne me disiez-vous : "Princesse infortunée,
Où vas-tu t'engager, et quel est ton espoir ?
Ne donne point un cœur qu'on ne peut recevoir."
Ne l'avez-vous reçu, cruel, que pour le rendre,
Quand de vos seules mains ce cœur voudrait dépendre ?
Je sens bien que sans vous je ne saurais plus vivre,
Que mon coeur de moi-même est prêt à s'éloigner ;
Mais il ne s'agit plus de vivre, il faut régner.
Depuis quand croyez-vous que ma grandeur me touche ?
Un soupir, un regard, un mot de votre bouche,
Voilà l'ambition d'un coeur comme le mien.
Voyez-moi plus souvent et ne me donnez rien
Un soupir, un regard, un mot de votre bouche,
Voilà l'ambition d'un coeur comme le mien.
Titus :
N'en doutez point, Madame ; et j'atteste les dieux
Que toujours Bérénice est présente à mes yeux.
L'absence ni le temps, je vous le jure encore,
Ne peuvent ravir ce cœur qui vous adore.
Que le jour recommence, et que le jour finisse, Sans que jamais Titus puisse voir Bérénice.
Dans un mois, dans un an, comment souffrirons-nous,
Seigneur, que tant de mers me séparent de vous?
Que le jour recommence, et que le jour finisse,
Sans que jamais Titus puisse voir Bérénice,
Sans que de tout le jour je puisse voir Titus.
Bientôt, de mon malheur interprète sévère,
Votre bouche à la mienne ordonna de se taire.
Je disputai longtemps, je fis parler les yeux ;
Mes pleurs et mes soupirs vous suivaient en tous lieux.
Enfin votre rigueur emporta la balance.
Vous sûtes m’imposer l’exil ou le silence.
Il fallut le promettre, et même le jurer.
Mais puisqu’en ce moment j’ose me déclarer,
Lorsque vous m’arrachiez cette injuste promesse,
Mon coeur faisait serment de vous aimer sans cesse. (Antiochus, acte I, scène 3)