Je n'ai pas fait exprès d'acheter ce livre alors que des manifestants remettaient au goût du jour la révolte de Bonnets Rouges. Ce n'est d'ailleurs que le sujet du dernier tiers de ce roman historique, et pas le plus important à mon avis, mais j'y reviendrai.
Le titre parle de lui-même, ce livre traite de ce qui a fait de la Bretagne une des provinces les plus riches de France au soir du XVIIème siècle. le textile et le commerce. En effet, le lin et le chanvre étaient des cultures importantes qui nourrissaient toute une industrie paysanne de traitement et de tissage des fibres, tandis que le commerce européen de ces toiles comme d'autres produits tels que le beurre salé (eh oui, déjà) faisait naître toute une classe de commerçants et de grands armateurs. Mais le propos va au-delà, et décrit le contexte politique qui accompagne cet essor. D'abord ce que certains appellent la première mondialisation, avec les échanges intra-européens qui s'intensifient et le commerce transocéanique qui s'organise. Une anecdote rapportée par
Joël Raguénès mais que je ne saurais vérifier illustre bien cette mondialisation : les voiles qui ont porté les caravelles de
Christophe Colomb jusqu'aux Amériques étaient bretonnes ! Ensuite, un contexte français, alors l'avènement de l'absolutisme, et la façon dont
Louis XIV et son ministre Colbert prennent le contrôle du territoire, même des Provinces d'Etat, régions récemment rattachées à la couronne et qui avaient gardé, par traités une large autonomie. le traité de 1532 entre la Bretagne et la France sont ainsi foulés au pied de fait par Colbert qui impose des impôts que seuls les Etats de Bretagne pouvaient officiellement décider. Si ce traité n'est officiellement aboli qu'à la Révolution française, l'absolutisme en a été le véritable fossoyeur.
J'ai donc appris beaucoup au cours de cette lecture, et j'ai vraiment apprécié cette lecture facile et instructive. Cependant, je dois bien avouer que je n'ai pas été conquise par le style et l'histoire en tant que telle. de fait, l'histoire est plutôt inexistante, et les péripéties (si tant est que ce mot soit employé ici à juste titre) sont trop clairement au service d'un exposé historique pour que l'on puisse parler d'intrigue. de même, les dialogues sont nombreux mais, au lieu de rendre vivant le texte, ce sont en fait des exposés historiques déguisés sous la forme de dialogues, avec des analyses des décisions de Colbert par les personnages ou bien des exposés sur le fonctionnement du commerce des crées, noyales et autres bretagne (nom des différentes toiles, selon leurs qualités et leur provenance).
Et, si les premières parties ont lieu en 1671 et 1672, la dernière partie se situe en 1675, au moment de la révolte de Bonnet Rouges. Elle apparaît déconnectée du reste, et aussi beaucoup moins travaillée puisque l'on a un mélange de livre d'histoire (avec par exemple un extrait des lettres de Madame de
Sévigné qui vient couper la narration alors que les protagonistes n'ont aucune raison de la connaître) et de roman, le tout s'agençant assez mal. Alors certes, ce n'est pas inintéressant, et ici encore j'ai appris pas mal de choses que j'ignorais. Notamment, le fait que c'est peut-être bien plus la taxe sur le tabac que celle sur le papier timbré qui a mis le feu aux poudres, moins glorieux mais plus crédible, même si l'auteur fait dire à l'un de ses protagonistes bourgeois : « L'année précédente, [Colbert] avait instauré également [une taxe] d'un sol sur chaque pièce d'étain et une autre sur les papiers de toutes sortes, dont le papier timbré. Un sol la fleur de lys apposée sur les papiers officiels, c'était se moquer du monde ! » (p. 298, Chapitre 36, Partie 3, “1675, l'année terrible”)... Les peurs étaient telles alors que les révoltés avaient décidé que serait punie toute personne qui hébergerait (sic) la Gabelle ou ses enfants ! Alors les cris étaient très policés, « Vive le roi sans taxe et sans gabelle ! » (p. 347, Chapitre 41, Partie 3, “1675, l'année terrible”), mais la révolte fut violente et sanglante, et marqua le début du déclin de la grande province de Bretagne.
En définitive, en livre intéressant pour ceux qui connaissent peu cette période de l'histoire régionale et qui veulent mieux la comprendre, mais il faut savoir passer au-dessus des défauts narratifs trop criants. Pourtant, je le répète, malgré tous ces travers qui m'ont agacée, j'ai passé un agréable moment de lecture et il m'a été difficile de poser le livre une fois commencé.