Aventure aux Kerguelen

Beaucoup connaissent le nom de l'explorateur Jean-Baptiste Charcot (1867-1936) pour ses deux expéditions vers les Terres australes (en 1903-1905 à bord du Français, puis en 1908-1910 sur le Pourquoi-Pas) peu connaissent celui de Raymond Rallier du Baty. Pourtant ce marin breton, ami et disciple de Jean-Baptiste Charcot, bercé entre autre par la grande épopée des Cap-Horniers, va à son tour réussir un incroyable exploit: un périple de 15 000 miles de Boulogne à Melbourne de septembre 1907 à la fin juillet 1909!

Agé de 25 ans mais expérimenté, Raymond Rallier du Baty (1881-1978) qui a déjà participé comme matelot à l' Expédition Antarctique de Charcot, doublé le Cap Horn durant son apprentissage d'élève officier, obtenu le diplôme de capitaine au long cours, décide de réaliser son rêve: monter sa propre expédition scientifique et contribuer à de nouvelles découvertes.

Mais avant de larguer les amarres vers les Kerguelen il faut un bateau et un équipage, avec une ténacité obsessionnelle, il arrive à acquérir un vieux rafiot, un petit ketch de 20 mètres et réunir un jeune équipage de six hommes (seul le bosco à plus de la quarantaine) dont son frère Henri sera le commandant. Même s'il ignore tout du métier de phoquier, il compte sur la chasse aux phoques et l'exploitation de leur graisse pour rémunérer ses hommes et payer l'expédition en vendant les barils d'huile en Australie.

Un voyage étourdissant parsemé d'épreuves dont il fait le récit dans Aventures aux Kerguelen: « Mon histoire est une histoire de mer. L'histoire d'un petit bateau de pêche et de six hommes – dont j'étais –, d'un long voyage et de nombreuses aventures étranges en des lieux reculés, à l'écart des grandes voies de circulation du monde. J'écris en modeste marin, sans prétention littéraire autre que de rapporter simplement les choses que j'ai vues et les événements que j'ai vécus.»

Après quelques escales techniques permettant de mettre à l'épreuve la résistance du ketch (baptisé le J.B. Charcot) et l'esprit solidaire de ses coéquipiers puis une étape à Rio de Janeiro, le cap est mis sur Tristan da Cunha pour une longue escale qui permet à Raymond Rallier du Baty de procéder à des échanges (troc d'articles contre victuailles) et découvrir ses habitants, une population métissée composée d'anciens naufragés ou soldats, côtoyant une quarantaine de cochons en liberté. Rallier du Baty voit là la concrétisation d'une utopie de communauté fraternelle. Pour les autres membres de l'équipage c'est l'occasion de se distraire en dénichant des oeufs d'albatros pour les battre en omelettes!

Un épisode humain qui s'achève après quelques semaines car nos hommes reprennent le large fort de quelques cochons, moutons, malheureusement engloutis par un terrible cyclone, avant d'atteindre le 4 mars 1908 les côtes de l'archipel Kerguelen où ils passeront 15 mois dont une année sans rencontrer âme qui vive. L'occupation des îles de la Désolation, nommées ainsi par James Cook, est le moment tant attendu pour se dépasser, tester leur endurance et surtout leur capacité d'adaptation sur ces terres inhospitalières, volcaniques, accidentées, soumises à des vents démoniaques et de violentes tempêtes.

Autant dire que leur vie quotidienne représente un défi permanent: alternant la chasse aux éléphants de mer avec excursions de reconnaissance ou d'exploration (recherche de charbon pour faire fondre la graisse, d'abri pour remonter les tonneaux de bois), relevés topographiques, observations et répertoire de la flore ( le chou des Kerguelen, "Pringlea antiscorbutica" par exemple leur apportera réconfort) et de la faune (le plongeon au miaulement de chat, le pétrel géant etc … ).

Des déconvenues, des surprises, des découvertes (comme celles des vestiges d'une présence humaine, des chaudrons en fonte de phoquier), des émotions, la peur, les frayeurs sur terre comme sur mer, l'horreur des boucheries perpétrées sur les mammifères marins mais aussi l'émerveillement devant les aurores australes, la beauté minérale des paysages basaltiques permettent au lecteur une immersion totale.

Porté par la fougue, l'enthousiasme de Raymond Rallier du Baty et les innombrables anecdotes, le récit demeure toujours attractif, et l'humour, la bienveillance envers l' équipage nous le rende familier. Passionné de littérature, il aime évoquer ces récits de voyage qui l'ont fait tant rêver: ceux de Daniel Defoe, Rudyard Kipling ...

Publié en anglais en 1910 sous le titre original « 15 000 miles in a ketch » mais seulement traduit en français en 1991 par Renaud Delcourt, Aventures aux Kerguelen est une incroyable odyssée australe. Un récit de voyage passionnant.

Etre un Robinson ou rien d'autres tel aurait pu être le credo de ce courageux équipage au mental d'acier lors de ce voyage aux îles de la Désolation, aux îles Kerguelen.

A leur retour le prince Roland Bonaparte, Président de la société de Géographie les qualifiera « d'aventuriers du 16ème siècle égarés dans le vingtième ».

Un immense plaisir de lecture, ébouriffant et vivifiant.
Raymond Rallier du Baty un sacré marin à ne pas oublier !