Pour incarner la fracture sociale entre Paris intramuros et Bondy, l'auteur choisit comme décor un établissement scolaire. Un lycée public, de l'académie des 21 points, là où personne ne veut aller et d'où il est difficile de partir, où de jeunes enseignant(e)s sans expérience sont parachuté(e)s dans un climat de violence sourde et d'abandon généralisé. Son protagoniste est, classiquement, un intrus dans ce milieu par les yeux duquel nous pouvons découvrir la réalité de la vie du lycée sur une journée. Au-delà de l'intrigue particulière qui vient créer une tension croissante, les meilleures pages du livre sont sans doute celles qui se contentent humblement mais avec finesse et une forme de jubilation littéraire évidente, de restituer au plus près la réalité d'une heure de cours. La leçon sur
La Princesse de Clèves, avec le descriptif détaillé de son exercice de lecture à voix haute, est particulièrement épatante de vérité en même temps que de plaisir de lecture. On croit les entendre, les voix de ces différent(e)s élèves, celle qui s'applique, celui qui se renfrogne, leurs incompréhensions, leurs fragilités, leurs points de vue sur un texte que l'enseignante tente de faire résonner avec leur propre réalité.
Candice est une sorte de prof idéale, de celles qu'on aurait aimé avoir en cours pour transmettre sa passion de la littérature, perçue comme un miroir de la vie, une façon de creuser le réel par les mots, pour en extirper le sens qui parfois fait défaut en surface. Une prof qui ne souhaite rien tant qu'accompagner ses élèves vers l'esprit critique, l'indépendance, la liberté. Et qu'y aurait-il comme plus beau cadeau que la liberté pour ses jeunes que le déterminisme social semble enfermer dans un choix contraint entre la précarité, la délinquance ou la fuite ?
Politiquement, le texte est travaillé par des oppositions entre différents courants de gauche, plusieurs visions de ce que serait un service public tel que l'éducation dans un tel milieu, qui s'expriment à travers la voix des professeurs, mais aussi par ce personnage de flic violent incarnant une radicalisation largement nourrie par la politique de chiffres de l'institution. Une analyse qui ne devrait pas plaire à tout le monde, mais dont les rouages et la diversité des points de vue offrent sans doute plus de justesse que la plupart des oeuvres récentes dites « de banlieue ».
Au milieu du marasme, des efforts individuels pour lutter contre l'échauffement collectif des esprits, l'auteur n'a rien perdu de son goût pour les grands sentiments. La poésie infuse partout, dans la nuance d'un rouge à lèvres ou le vol des pigeons, dans la sincérité d'un adolescent qui cherche son identité dans ou hors du groupe, dans la tendresse, la curiosité, l'ouverture à l'autre, la sensation soudain d'un possible qui peuvent surgir à l'improviste et dans les circonstances les plus improbables, venant contredire et contrarier l'impression prégnante de fatalité.
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