Bondy, un frais matin de janvier, des centaines de lycéens, des profs, des non-profs, tous se hâtent de gagner le lycée, en passant par ce monstrueux carrefour où s'entrecroisent autoroute, nationale, lignes de métro et de bus, piste cyclable et pont où passe le tramway. Il y a là Mo, en seconde, qui part très tôt à pied de chez lui, parce que dans son quartier ça tire à la kalach, et sa mère s'inquiète, au moins à 7h il se passe encore rien... Il y a Paul, l'écrivain-poète qui a accepté d'intervenir dans quelques classes parce qu'il a besoin d'argent, qui vient du XIIIème en métro puis en tram dans cet établissement inconnu dont il a d'ailleurs oublié le nom. Et puis Candice, la prof de Lettres aux lèvres rouges qui n'a jamais voulu être prof mais qui l'est quand même et essaye d'y croire encore, elle vient de Pantin à vélo par tous les temps. Et puis il y a Lucky, qui vit sous le pont de Bondy, et qui va sans le savoir être le déclencheur d'une mécanique implacable.
A côté de ces premiers personnages, toute une kyrielle d'autres vont évoluer, le microcosme d'un lycée de banlieue délaissé par les autorités, Mahdi de Nordibon (Bondy-Nord) qui est en classe avec Mo, Adama son grand frère, Chantal la "coordo" de français, Nathalie la CPE et son équipe de surveillants, pardon on dit "assistants d'éducation", ou AED à la limite. La proviseure, qui fait ce qu'elle peut avec les moyens qu'elle n'a pas, les profs qui craquent parfois, les élèves absents ou démotivés, quasiment tous issus de classes sociales défavorisés, pas de la bonne origine ou de la bonne couleur pour trouver du boulot plus tard.
Plus j'avançais dans la journée de ce lycée et de ses acteurs, plus je voyais comme en surimpression certains établissemnts où j'ai moi-même été affectée, notamment un collège où je travaille depuis la rentrée. Les situations, les personnes, je peux leur substituer des faits et des collègues de mon quotidien. Il est vite évident que l'auteur connaît bien le sujet...
Mais pas de misérabilisme ou de dénigrement dans ce roman, juste le déroulement d'une journée dans un lycée de banlieue défavorisée, journée qui aurait pu ressembler à des centaines d'autres, sauf que, ce matin-là, un fait presqu'anodin a déclenché une réaction en chaîne qui va aboutir à...
Pourquoi "
Le grand secours" ? Je ne veux rien spoiler, mais ce titre a deux significations, l'une factuelle, l'autre plus symbolique, je pense.
Le roman est divisé en chapitres qui suivent la chronologie d'une journée de classe, en alternant les points de vue de différents protagonistes, ce qui le rend très vivant et permet au lecteur de s'immerger dans le quotidien d'un prof, d'un élève, d'un intervenant extérieur...qui ne voient pas forcément la globalité d'une situation, alors que nous, nous savons, en temps réel, ce qui se passe. J'ai trouvé ce procédé d'écriture particulièrement judicieux ici, il fait monter la pression alors même que certains protagonistes ne voient rien venir. J'ai apprécié également le réalisme des situations décrites, cela parlera à toute personne ayant passé quelque temps dans un établissement de ce genre récemment. Quant à ceux qui ne connaissent pas du tout, ils découvrirons, avec surprise sans doute, cet univers avec ses codes, son jargon, ses routines.
Thomas B. Reverdy a su, contre toute attente, me passionner au point de me faire lire presque d'une traite ce récit d'une journée particulière dans un univers familier, et j'ai tourné la dernière page avec un peu d'angoisse, parce qui sait, un jour je pourrais bien me retrouver confrontée à une situation comparable...