Citations sur Les mouches bleues (48)
Au centre du wagon, il y avait la forme immobile sans vie, une silhouette recouverte d'un pardessus semblable à un linceul d'où émergeaient des cheveux gris. Une mouche bleue bien grasse arrivée de je ne sais où avait longtemps tourné au-dessus du corps, cherchant à savoir si c'était de la charogne bonne a pondre dedans avant de rejoindre la lucarne pour y déposer sa chiure.
Quand il me laissait en paix, je surveillais une colonie de blattes, libres d'aller et venir grâce à un passage étroit creusé à hauteur de mes yeux dans la cloison en bois du wagon. Nous étions devenus si intimes que j'avais percé le manège de ces bestioles terreuses fuyant ce monde grâce à une sortie de secours qui avait échappé à la vigilance des geôliers, une espèce autoproclamée race supérieure. Les blattes, je connaissais par cœur, à Varsovie, c'en était rempli. Celles d'ici appartenaient au genre Blattella germanica, une ethnie spécialement envahissante dotée d'une carapace foncée rappelant la couleur des tenues nazies. À bien y réfléchir, si un cancrelat réussissait à narguer la harde en uniforme ayant juré d'éradiquer ce qui troublait son monde parfaitement intraitable, il ne fallait pas désespérer.
Juifs, slaves, communistes, tout ce qui n’était pas aryen et national-socialiste deviendrait soit l’esclave, soit le cadavre du Reich. Mais à la frontière orientale occupée par les soldats de Moscou, ça ne se passait pas mieux : ce qui n’était pas ouvrier était suspect. La police politique communiste raflait selon la classe sociale, et cet avant-goût de la dictature du prolétariat ne valait pas mieux pour moi que l’autre.
L'inscription Arbeit macht frei claironne que la liberté de trouve derrière la porte, pas à l'extérieur, mais à l'intérieur de la prison. Et moi, je pense à l'histoire du fou passant le nez à travers les barreaux en fer de l'asile afin de demander au passant si ce n'est pas trop dur d'être enfermé à l'air libre.
Que voudrais-je pour moi, si Hitler n'existait pas, si les portes s'ouvraient ? m'a demandé Nowak. Être vivant, bien qu'il me semble avoir perdu de vue ce que cela signifiait. Mais si vivre, c'est imaginer autre chose que ce que je suis, je m'en sens incapable. Si, pour vivre, il faut inventer demain, je ne répondrai pas tant que je serai prisonnier. (...) Dans le châlit, je tends l'oreille. J'entends la plainte des ombres faméliques. Celles de nos vies qui s'épuisent.
Je ne l'avouerai pas afin de ne pas écorner la magie des nuits où la cruauté de nos conditions se dissipe, mais je ne peux me détacher du réel. Je vis avec, je vis dedans. Refuser le futur, c'est la malchance. Ne tourbillonnent que les chansons des déportés que je cherche à tout prix à retenir.
Je participais à l'ivresse ressentie par le peuple depuis l'avènement de Hitler, un sentiment de puissance, de supériorité qui tranchait avec la fadeur du monde étriqué d'avant.
Tu vois, Alex, on est même pire que des bêtes d'abattoir qui savent pas où elles vont. Nous, on est comme des insectes dans une toile d'araignée et, crois-moi, quand t'y es t'en réchappe pas.
la poésie va à nos âmes meurtries. C'est art est une arme. Avec elle, je me sens capable de résister ; même de croire à l'impossible.
Je voulais chanter encore ! Je voulais un moment de bonheur comme au temps du cabaret. Je voulais qu'on existe.