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C'est un livre que je voulais lire parce que je n'en ai entendu que du bien. Pourtant, la lecture était ardue, entre les jeux de langues: mélange d'argot, de créole, d'anglais, d'espagnol... Et l'univers dont on a pas les clefs, c'est compliqué d'avancer. J'ai renoncé au bout d'une cinquantaine de pages, parce que c'était compliqué de s'y retrouver. C'est dommage, car l'univers avait l'air intéressant et j'avais hâte d'être plongé dans une fiction caribéenne.
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Se nourrissant tout autant du concept de dialogisme de Mikhail Bakhtine que de celui du Tout-monde d'Edouard Glissant, Michael Roch signe avec « Tè Mawon » un roman SF d'une originalité ébouriffante, à défriser les locks d'un rastafari. Imaginant une mégalopole caribéenne futuriste rivalisant avec les nuages et baignée d'un niyaj nimérik où la réalité augmentée (vwè+) est omniprésente, l'auteur nous immerge dans un récit polyphonique, véritable maëlstrom linguistique et philosophique. Entre l'anba et l'anwo de cette nouvelle Babilòn, une poignée de personnages se démènent pour accomplir leur mission ou carrément leur destin, comme regagner la terre marron de leurs ancêtres.

Joe, métis exilé qui a traversé l'Atlantique pour retrouver sa copine disparue, le jeune Patson qui se plie en quatre pour l'aider à échapper aux condés, Pat le paternel amateur de sentzeb (mélange de ganja et de zèb à pic) et dont le passé de syndicaliste a laissé place aux magouilles mafieuses, et puis les soeurs ennemies Ézie et Lonia, qui se sont arrachées à leurs racines de l'anba pour devenir traductrices dans l'anwo. Leur rôle en tant que tradiktè, c'est « observer la friction du monde avec lui-même. » Chacun de ces personnages a un langage qui lui est propre : Joe a de l'argot occitan et du verlan en bouche, Pat parle un kréyol épicé, les soeurs Sézè maîtrisent un français soutenu. Ce roman, c'est konsidiré un plat exotique aux aromates de partout et d'ailleurs, un melting-pot de saveurs qui ravissent tout autant le bouden (le ventre) que le tétral (la tête).

Côté bouden, il faut admettre que les quarante premières pages sont un peu dures à digérer. Les cinq personnages principaux déboulent en un tour de main et il faut s'accrocher à la phonétique pour ne pas perdre le sens des mots, mais il faut se laisser porter par le slam, se laisser imprégner par cette oralité colorée. Côté tétral, il faut saluer la manière dont l'auteur brode sur le concept de diversalité, que l'on doit aux écrivains de la Caraïbe, et qui définit cette dynamique de l'Unité qui se fait en Divers, cette remise en dialogues des langues et des cultures. Un roman intelligent et polyglotte !
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C'est parmi vos suggestions dans ma liste Pour les aventuriers de la littérature que j'ai pioché ce titre : attention donc, il faut s'accrocher un peu à la lecture au départ car, comme l'indique le titre, on trouvera du créole dans le texte. Et même de l'anticipa… de la science fiction ;-) Mais une fois lancé, on ne s'arrête plus ! L'édition nous aide qui est très jolie et agréable à lire. Chrys, un grand merci pour cette découverte : sans toi je serais passée à côté de quelque chose !
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J'ai choisi ce roman car il fait écho à une info qui m'avait énormément dépitée, et que je vous avais déjà répercutée dans ma critique du Gang de la clé à molette : Notre planète est désormais constituée de plus de construit que de naturel… C'est donc sans mal que nous imaginons notre monde poussé à l'extrême avec Michael Roch, qui nous emmène à Lanville, mégalopole tentaculaire caribéenne à la fin du siècle. de Cuba jusqu'au Vénézuela, cette ville-monstre, toute en hauteur, où les pauvres vivent Anba Lanvil et les plus privilégiés Anwo Lanvil, abrite une population bigarrée et prône la diversité culturelle. Anwo, l'air est plus pur et le soleil plus vrai ; Anba, les écrans et images de synthèse permettent de reproduire un semblant de cycle naturel. Quel heure est-il ? Horizon 2 ou horizon 4 ? Gavée de technologie et d'écrans, Lanvil attire donc autant les migrants (Anba) de tous horizons que les vacanciers ultra connectés (Anwo).
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Diversalité : « C'est ça, la magie. le recueil de toutes nos différences sans oppositions, sans assimilations. C'est un vivant entier. C'est une harmonie. »
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Et le premier vecteur de cette diversalité, qui nous différencie mais paradoxalement qui nous lie aussi, celui qui exprime qui nous sommes, c'est la langue que nous parlons, le langage que nous utilisons. Ce qui permet aussi en l'occurrence une certaine porosité entre les personnages d'Anwo et d'Anba : « A quel moment j'existe, si ce que je parle disparaît ? »
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« Si tu veux sauver le monde, fais en sorte qu'aucune langue n'en domine une autre. Parce que quand une langue domine l'autre, l'autre finit par lui appartenir et disparaître. du coup, on existe que si on parle, tu vois ? Alors il faut l'équilibre. Faut te demander à quel moment, dans ta tête, ta langue écrase l'autre, à quel moment tu oublies que tu appartiens à l'univers tout entier et à quel moment tu acceptes de t'enfermer dans une seule partie de l'humanité. »
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Aussi, pour conserver cet équilibre, deux des personnages essentiels de ce roman seront des « traductrices ». Hyper connectées, elles traduisent en temps réel le langage de chacun lors des interactions : langage parlé bien sûr, mais aussi langage corporel. Avec leurs lunettes spéciales, les vwè+, elles voient plus précisément les émotions, si à 80% vous mentez ou à 48% êtes stressés.
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« Traduire est bien plus que comprendre l'autre. C'est aussi saisir sa nuance, s'emparer de son esprit, se l'approprier, le faire sien. Cela demande de faire fi de la peur de l'autre et de ce que l'on projette sur lui. le réel n'est jamais devant nos yeux ni à travers nos écrans. le réel est un secret que seul l'autre peut nous dévoiler. »
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La communication sous toutes ses formes, lorsqu'elle est vraie, sans écran ni makiyaj, est la clé de ce livre car elle nous permet d'exister auprès des autres.
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« Ce qui nous aliène, c'est de rester prisonniers d'un langage. Lanvil joue sur ce paradoxe. Lanvil enferme comme elle libère, parce qu'elle est diverse dans ses corps et ses esprits, dans ses langues surtout. Chaque langue est un véhicule. Il est impossible de nous comprendre sans nous parler, sans nous traduire et sans laisser à la langue de l'autre l'espace qui lui est nécessaire pour exister. Ce qui nous aliène, c'est la dépossession d'une langue au profit d'une autre. Car elle déforme le corps, elle le contraint dans un système qui ne correspond pas à sa pensée. C'est ce qui rend la traduction importante : nous équilibrons les langues, nous équilibrons les points de vue sur L Histoire et ses évènements, nous accédons aux pensées des uns et des autres, nous nouons les empathies, nous archivons les relations.
Ce qui me libère réside dans cet archivage, cette accumulation des rapports entre toutes et tous. Mon rôle de tradiktè : observer la friction du monde avec lui-même. Noter chacune de ces frictions, chacune de ces érosions dues aux contacts d'un individu avec un autre. »
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Lanvil serait donc une incitation à ne pas avoir peur de la diversité culturelle : on peut arriver à s'accepter, non par l'uniformisation, non en imposant une langue plus qu'une autre, ni par la traduction bêtement littérale de mots utilitaires, mais en s'intéressant à l'autre pour le comprendre, au sens large comme restreint au langage : pour comprendre ses subtilités, il faut le connaître ; pour le connaître, il faut parler avec lui ; pour comprendre les subtilités de sa langue, il faut la vivre.
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C'est ce que l'auteur prouve ici par la pratique : Pour cela, il nous immerge dès les premières lignes dans le parler et le système de pensée de chaque personnage que nous allons suivre tour à tour. Joe vient de la Nouvelle-Marseille, il ne parle pas encore kréyol tout le temps mais il le comprend, nous le traduit dans son français émaillé de mots marseillais, verlan, djeuns et créole. Fraichement arrivé à Lanvil, il est recherché par les drones qui sillonnent les rues. Heureusement, il rencontre Patson qui lui montre comment les déjouer avec un peu de maquiyaj pour ne jamais montrer son vrai visage ! Patson est habitué à fomenter des mauvais coup sous les radars de la répression. Avec lui, le creyol sera beaucoup plus exploité car il baigne dedans depuis toujours, même s'il l'agrémente de langage moderne.
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Mais l'identité est un tout, nous sommes aussi notre mode de vie. L'auteur en profite alors pour insérer des réflexions sur la vie derrière nos écrans.
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« La projection sur écran peut devenir une distraction si grande qu'un individu en oubliera sa propre vie. Si cette vie est déjà indigente, l'écran devient le but à atteindre. C'est pour cela que Lanvil attire toujours plus de migrants, réguliers ou irréguliers : elle est une utopie de projections dont l'image, toujours positive, toujours paradisiaque, se diffuse tout autour du monde. Sauf que, bien souvent, ces populations entrantes ont oublié qu'elles pouvaient modifier leur propre réalité. »
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Malgré son image de paradis, Lanvil contient aussi ses bas-fonds, ses quartiers où une révolte se prépare… C'est avec Pat, le père de Patson, que nous rentrons dans le dur du langage : Lui parle la langue de ses ancêtres car c'est le seul lien qu'il possède encore avec eux, maintenant que Lanvil les a plus ou moins dépossédés de leur Tè. C'est pourquoi il n'a jamais voulu faire partie de la « haute » société de Lanvil et qu'il se terre Anba Lanvil. Il y trame le démantèlement de cette société qu'il ne cautionne pas, prônant un retour aux sources, à la vraie vie, à « avant ». Mais les retours en arrière sont-ils jamais possibles ? Comment s'y prendre en étant ultra surveillé par le réseau gigantesque de la ville qui traque chacun à tout instant ? La chance de Pat, c'est qu'il a toujours refusé de s'implanter ces nouvelles technologies qui vous font repérer en un rien de temps.
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Car : « Qui rêve de ça ? Un monde qui repose sur une illusion, une dématérialisation… Nous vivons dans nos idées et nos pensées, à des années-lumière du corps et du réel. »
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« La particularité de ce colonialisme, c'est qu'il n'est pas violent. de manière abstraite, l'écran se sert de notre blessure narcissique pour nous fasciner, nous séduire, nous éblouir. Nous projetons sur lui nos propres désirs. Nous participons activement à notre propre colonisation. Nous ne voyons plus rien, pas même ce que nous devenons. »
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« Une société d'écrans comme la nôtre est une société d'éblouissements et de représentations constantes : elle nous éloigne du réel. L'écran, donc, nous dépossède de la réalité. Il me paraitrait naturel que certains individus tentent de s'extraire de cette société pour reconquérir leur réel. »
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C'est là que l'arme secrète de Pat intervient : un membre particulier de sa faction a infiltré le rézo de la ville pour trouver où creuser pour retrouver la Tè Marron, la terre des ancêtres, des origines, des racines. Aussi, non-content de proposer une vraie réflexion sur la communication et les écrans à l'heure de la mondialisation, ce texte est également empreint de valeurs familiales : l'homme qui se transforme en machine espère secrètement un retour aux sources, au plus important : la famille, les liens réels. Initialement, je lui avais mis 4 étoiles mais plus je le réexplore pour vous en parler, plus je le trouve riche pour ses seulement 200 pages et lui rajoute la demie bien méritée.
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« Sé an wa, my flingue. C'est un roi enterré. Un roi à la couronne d'élektrolocks. Cent broches ki ka rantré par le tétral é ki ka inondé son cerveau de données nimérik et de rêves virtuels. C'est un roi pirate, my flingue, qui navigue sur les rézo du monde. »
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Nous croisons également tout un panel de personnages secondaires, de dialectes qu'il faudra décrypter pour parvenir à comprendre nos personnages, leurs actes, leur vie, leur personnalité. Chacun adapte son langage à lui-même comme nous le faisons tous un peu, ce qui complique la tâche du lecteur qui doit s'adapter dès les premiers mots. Mais l'auteur ne manque pas, au fil du récit et après nous avoir laissé nous dépatouiller par l'expérience, de glisser quelques aides à la lecture tels : lire à haute voix, ou faire expliquer des mots par ses personnages, ou faire reprendre un bout de la conversation en français par un autre personnage, nous faisant apercevoir la signification d'un mot. Nous sommes donc récompensés de nos efforts et même doublement : L'auteur nous met en succès et nous rend fiers de comprendre les langages, mais aussi ce monde de science-fiction nouveau pour nous dans lequel il nous faut nous adapter en y vadrouillant, nous l'approprier en suivant les personnages. Même une novice comme moi y parvient sans mal !
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« Ek koté i yé ? J'le vois pas ton tout-monde. Kidonk sé té an mansonj lot swè-a, adan kanbiz'w ? T'as rien, Pat. Ayen ! An vyé rev selman. »
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Une belle démonstration par la pratique de la langue, non comme fossé entre nous mais comme vecteur de liens infinis, de relations, de mains tendues, de rhizomes ; comme incitation à se comprendre, se connaître, se connecter les uns aux autres pour se penser, se panser les uns les autres et panser le monde, le tout-monde. Sans écran de fumée entre nous ; juste une reconnexion à nos racines profondes pour nous rendre compte qu'au plus profond elles sont communes, une reconnexion à la tè mawon, la terre marron, la vraie, sans artifice : notre mère à tous, celle qui nous a vu naître et nous verra mourir. Fos é respé pouwot oeuv, Michaël Roch !
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Partagé...
J'ai eu un peu de mal à entrer dans ce bouquin.
Puis je me suis laissé porter, car la langue ne manque pas de poésie, ça chante à l'oreille, mais parfois ça bloque, je bute sur une expression, un mot, et la prose se fait plus heurtée et moins limpide, et mon plaisir est un peu gâché.
Pour autant, c'est un bon cyberpunk caribéen, mâtiné de créole (pour lequel j'aurais aimé quelques notes en fin d'ouvrage auxquelles j'aurais pu me reporter), de provençal (marseillais), de verlan,etc...qui prône la diversité des cultures respectueuses les unes des autres, tout en dénonçant les injustices sociales (entre anwo et anba).
Il me reste à lire maintenant Edouard Glissant (son roman Tout-Monde et son traité du Tout-Monde) entre autre...

Je recommande ce livre malgré certaines difficultés de lecture qu'on peut ressentir à certains moments.
Pour ceux qui sont intéressés par les langues, les mélanges et le cyberpunk abordable.

(PS : L'auteur joue-t-il avec les dates également ? la tragédie de Matouba mentionnée en 1902 alors qu'elle se déroule en 1802, et Je n'ai rien trouvé sur le Carbet en 1948, en revanche j'ai trouvé des infos sur la révolte du Carbet en 1822 https://la1ere.francetvinfo.fr/martinique/histoire-meconnue-revolte-esclaves-du-carbet-1822-788255.html )
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Un auteur qui a visiblement plein d'idées mais qui à mes yeux se regarde beaucoup trop écrire. Contrairement à beaucoup, en général, pas spécialement concernant ce roman précis, je n'ai pas senti de fièvre, d'urgence ou d'envolées, ou que sais-je sur le plan du style.
Je n'ai donc pas vibré, y compris pour les personnages ou pour l'intrigue, alambiquée pour rien.
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Avenir caraïbe

Lanvil, tentaculaire mégalopole futuriste, a absorbé les Antilles, les Caraïbes et une partie de l'Amérique centrale. Tandis que l'Europe, l'Amérique du Nord et l'Asie se débattent entre pandémies, bouleversement climatique et extrémismes politiques, Lanvil affiche sa réussite, son modèle démocratique et économique basé sur le virtuel et les technologies. Mais si les richesses irriguent l'anwo de la ville, anba les masses triment, creusent le sol de cette ville d'illusions. Et parmi eux, certains veulent retrouver le Tout-monde, la source, faire tomber l'anwo et ses privilèges.

Après deux romans S.-F. passés relativement inaperçus, Michael Roch s'est imposé en force dans le paysage de l'imaginaire hexagonal (même si, vivant en Martinique, il en est géographiquement excentré) avec la parution coup sur de Moi, Peter Pan, relecture de la légende de l'enfant qui ne voulait pas grandir, et le Livre jaune, passionnante réinterprétation de l'oeuvre de Chambers sous influences lovecraftiennes. Avec Tè mawon, il frappe à nouveau très fort en réinventant le cyberpunk à la mode créole. Écrit dans une langue d'une richesse et d'une inventivité de tous les instants, qui marie créole (ou plutôt kréyol), anglicismes, jargon technologique et français, Tè mawon donne en permanence l'impression d'être ailleurs, très loin de ce qu'on a déjà pu lire dans le genre. Enseignant l'afrofuturisme en prison en parallèle de son écriture, Michael Roch ne se contente pas ici d'en reprendre les schémas, et substitue à ce qui est, globalement, un mouvement afro-américain, de vraies racines issues du passé colonial de la France. Revanche sur l'histoire, sa mégapole de Lanvil nargue les puissances occidentales, mêle la technologie de pointe des résidents de l'anwo et la débrouille des hackers d'anba, le mysticisme d'une Man Pitak et la rigueur de deux soeurs traductrices et rivales, toutes ces visions s'enchassant dans une construction polychrome au fil de trois jours qui pourraient changer le destin de Lanvil. Roman mutant, pratiquement sans équivalent, Tè mawon est peut-être le plus digne successeur du Neuromancien de William Gibson, qui "inventa" le cyberpunk. Souhaitons-lui la même destinée.
Lien : https://www.k-libre.fr/klibr..
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J'ai reçu ce roman envoyé par les éditions La Volte et je dois les remercier avant tout...La quatrième de couverture m'a emballé mais le contenu pas vraiment. J'ai très vite décroché et je dois reconnaitre que je n'ai pas terminé le livre. Je dois même concéder une forme d'indigestion avec la langue utilisée qui ne sert pas l'histoire bien au contraire.
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Prenez un peu d'Aimé Césaire, ajoutez une pincée d'Alain Damasio, versez une bonne rasade de William Gibson, assaisonnez le tout avec quelques épices secrètes, un soupçon de génie et beaucoup de talent et... hop ! vous obtenez Tè mawon, un excellent roman de SF cyberpunk caribéen (oui, oui). Bien évidemment, Tè mawon ne se résume pas à un bête mélange de ces trois influences. Si l'on retrouve bien ces inspirations (parmi d'autres), Michael Roch a su tracer sa propre voie et dépasser ses prédécesseurs pour créer son style et accoucher d'un roman original, frais, novateur. Et fichtrement agréable à lire.

L'argument, en un mot : dans un futur proche, Lanvil est une mégalopole unissant toutes les îles des Caraïbes. Les nouveaux états caribéens se sont affranchis de la tutelle des anciennes puissances coloniales mais les inégalités sociales perdurent au coeur de la ville tentaculaire, avec un anwo luxueux pour les privilégiés et les classes moyennes et un anba crasseux pour le rebus de la société. À la révolte qui se prépare se mêle la quête de la terre ancestrale, le sol caribéen enfoui sous le béton de Lanvil.

L'histoire en elle-même est assez classique et l'agencement vertical d'une mégalopole ou d'un monde selon la hiérarchie sociale se retrouve dans bien d'autres oeuvres littéraires et cinématographiques. Mais les thèmes qui supplantent cette trame principale apportent de la profondeur au récit. Je pense notamment à la notion du Tout-Monde (emprunté à Édouard Glissant), à la réflexion sur le langage, les rapports de domination et l'héritage du passé. Et puis Michael Roch parvient à rendre son récit vivant et prenant. La narration est très efficace et l'immersion a été immédiate pour moi.

Tè mawon est un roman de science-fiction assurément cyberpunk, avec ses corpolitiques toutes puissantes, cette ville ultra high-tech, ces êtres humains augmentés et l'omniprésence du numérique et du hack. Mais l'auteur plante le décor dans notre monde, sur la planète Terre, et plus précisément dans les îles caribéennes. Rien que ce choix, ce décentrement, fait de Tè mawon un roman singulier dans le paysage de la science-fiction littéraire française. de par les thématiques abordées (le colonialisme et les rapports de domination au sens large) et en plaçant au centre de son récit des personnes noires, l'auteur s'inscrit dans le courant de l'afrofuturisme qui se donne pour objectif de définir un futur enviable dans lequel les hommes et les femmes noires seraient libérées de toute forme de domination.

Une des grandes richesses de ce roman (et c'est là notamment qu'on retrouve un peu l'influence de Damasio) est le travail réalisé sur le langage. Celui-ci tient une place très importante dans le roman. Les personnages s'expriment différemment, selon leur origine et leur place dans la société. Par exemple, Joe, un migrant venant de France métropolitaine, incorpore dans son langage des termes issus du l'argot tandis que son acolyte, Patson, qui est originaire de la partie de la ville correspondant à Cuba, utilise des mots espagnols et anglais. Les personnages de l'anwo vont s'exprimer quasi exclusivement en Français. Quant à Pat et aux autres membres des familles mafia de l'anba, ils parlent essentiellement en créole. Ainsi, Michael Roch a fourni un gros travail sur le vocabulaire utilisé par ses protagonistes et sur leur façon de parler. Il y a une réelle diversité dans les langages, un métissage très réussi qui ne choque pas tant il paraît naturel. La lecture s'en trouve à la fois exigeante et agréable, avec une musicalité que l'on retrouve rarement dans ce genre de roman. Je dois avouer que je n'ai pas compris tous les mots en créole mais il faut parfois accepter de lâcher prise et se laisser porter. D'autant plus que l'on finit par comprendre la quasi totalité de ce qui est dit grâce au contexte ou en lisant à voix haute.

Les personnages sont dans l'ensemble bien écrits. La personnalité et l'histoire de certains d'entre eux ne sont pas très développés (comme Joe qui semble surtout servir de véhicule pour le lecteur) mais d'autres possèdent une vraie profondeur. Pat est sans doute le personnage le plus intéressant, suivi de près par Ézie. Même Patson qui paraît un peu banal au début du roman gagne en profondeur au fil de l'histoire.

Bref, Tè mawon est un roman de très grande qualité que je recommande vivement. Il est court, dense et intense. le genre de livre qu'il faut relire une seconde fois pour en saisir toutes les subtilités. La preuve, s'il en fallait encore, que les auteurs et autrices francophones ont beaucoup à apporter à la science-fiction et qu'il serait dommage de les snober au profit des auteurs anglo-saxons. Lisez Tè mawon, lisez Michael Roch. Vous ne le regretterez pas.
Lien : https://bibliobatuco.wordpre..
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Un roman exceptionnel par son concept, par le brassage des idées et par son incroyable optimisme pour qui cherche à bâtir un avenir sans oublier son passé. La créolisation n'est pas qu'un message politique, elle est aussi littéraire. Michael Roch est un grand auteur (et pas que par la taille) !
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L'histoire prend place dans la ville caribéenne afro-futuriste de Lanvil, incarnation de la technopole idéale, multiculturelle, inspiration pour les autres pays, dans un monde en reconstruction après une catastrophe climatique.

Cependant, tout n'est pas rose, la société ayant cours à Lanvil est très stratifiée, confrontant ville basse et ville haute.
Ce principe est d'ailleurs renforcé par l'utilisation de la langue, très soutenue pour l'élite, en opposition avec le créole et l'argot parlé par les moins favorisés.
On va y suivre plusieurs protagonistes des différentes classes sociales, liés plus qu'on ne l'imagine au premier abord.

À être hyper connectée, Lanvil, technopole futuriste et cyberpunk, est pourtant déconnectée de ses racines.
À vouloir être reliés aux autres à tout prix, ses habitants perdent lien avec eux même, avec leurs origines, terreau pourtant fertile sur lequel la société s'est construite.
Là où la technologie semble permettre à tout à chacun d'être l'égal des autres, c'est tout l'inverse qui se passe.

C'est bien ici le coeur de ce livre; interroger notre relation à la technologie, ce qu'elle nous apporte d'un côté et ce qu'elle nous fait perdre de l'autre.

C'est une histoire avec un concept ultra intéressant, notamment concernant la notion du langage, pour ma part j'avais beaucoup aimé les romans de P. Djéli Clark, que j'avais trouvé très immersif dans leur utilisation du créole et j'ai retrouvé cet effet dans ce livre.

En bref: J'ai beaucoup aimé cette lecture de par les sujets et les questions qu'elle pose, même si j'ai parfois eu du mal à suivre l'intrigue qui se perd un peu, mais il y a tellement à dire de positif.
C'est aussi une lecture dense et assez exigeante pour un si court roman, mais reste en tête.
J'aurais aimé quelques chapitres de plus, pour me senter plus "connectée" avec ses personnages.
Quoi qu'il en soit, je vous recommande ce livre, qui donne une autre perspective sur notre manière d'envisager le futur.
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