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« Ma langue est un chariot allant de mon coeur à ton esprit.
Elle me déplace entier pour t'apprendre ce que je suis,
comment je vois le monde, comment je le réfléchis.
Libre à toi d'entrer en résistance ou en communion.
Notre langue sera le reflet humble et honnête de notre relation ».

Quel tour de force a réussi Michael Roch avec ce livre ! Quelle audace ! Avec « Tè mawon », ce jeune auteur non seulement explique mais surtout prouve que nous pouvons dépasser l'obstacle du langage et réussir à se comprendre les uns les autres. En effet, ce roman choral est une véritable expérience de littérature car parole est donnée à différents personnages qui ont tous leur langage propre, singulier, voire leur propre dialecte. Un certain nombre d'entre eux parlent créole mais, nous le comprenons peu à peu, ils n'utilisent pas tous les mêmes mots, certains en inventent même. Pas la peine de vous dire que ce livre est exigeant, je me suis vue murmurer, revenir en arrière, lire plusieurs fois certains passages, comprendre certaines expressions à force de les rencontrer…
Le personnage central, Pat (Patrick…clin d'oeil à Chamoiseau ?), est celui qui parle le plus créole tout en prononçant des mots de son cru, comme bouden pour ventre, tetral pour tête, fondok pour signifier le fond du fond du fond... Son fils Patson y ajoute des expressions anglaises et espagnoles glanées ici et là, sa façon de parler est plus moderne que celle de son père. Joe L exilé venant de Marseille lui mélange verlan, argot et expressions marseillaise (oh con !). J'avais l'impression par moment de retrouver le langage codé que j'utilisais au collège avec ma meilleure amie, rajoutant les sons l et g à la fin de certains mots afin que personne ne puisse comprendre ("allez on boulègue" pour allez on bouge dit souvent Joe...). Lonia et Ezié sont deux traductrices qui elles naviguent entre les différents niveaux de langage. Mais, fait surprenant, la lumière se fait peu à peu, on comprend, on devine, on anticipe, on spécule, et oui, ça devient magique, pas peu fière de m'être adaptée à tous ces personnages et d'avoir compris, globalement au début puis plus finement peu à peu, chaque protagoniste et leur rôle, leurs liens, dans cette histoire incroyable.

« J'arrache un gros bout de sentzeb à ma réserve. Je la roule entre les doigts. Ca les rend collants. J'aime la sensation konsidiré un rituel, une prière qui se parle pas, lespwa qui se touche du bout des doigts, qui se lie à la sueur, à la saleté, au sel de la peau. Je racle ma gorge. J'aimerais bien chanter un peu, mais j'ai oublié les comptines de mon enfance. Je cale la boule de sentzeb sous la molaire, contre la gencive. Je salive en compressant la langue et le goût de la weed inonde mon palais. Man la. Kalm posé. Adan Kub mwen. T'as lespri qui penche à gauche, le tétral qui prend sommeil, ton bonda qui s'alourdit, tes bras, tes jambes alourdis, tu te relèveras pas de ton lit avant trois heures. Twa zè ».

Le langage est donc bel et bien un coeur du roman, Michael Roch, par les voix des traductrices, nous délivre sa vision des choses en la matière, mais non content de nous les expliquer, nous avons avec ce roman une mise en pratique, un développement concret de sa pensée. Il veut faire sentir à son lecteur ses assertions en le mettant lui-même au défi du langage, en cela ce livre est précieusement audacieux et stimulant ! Konsidiré nou pale kreyol reyel !

« Faut te demander à quel moment, dans ta tête, ta langue écrase l'autre. A quel moment tu oublies que tu appartiens au monde entier, et à quel moment tu acceptes de t'enfermer dans une seule partie de l'humanité », tel est le message que désire nous transmettre ce livre polyphonique et polyculturel.

Voilà donc la première singularité de ce livre… ajoutez à cela que nous avons entre les mains un roman cyberpunk afro-caribéen dans lequel, dans un futur pas si lointain, fin du 21ème siècle, une mégalopole, Lanvil, est au centre du monde, ville tentaculaire, gigantesque couvrant les Caraïbes, depuis Cuba jusqu'au Venezuela, ville bétonnée aux rayons de soleil et aux paysages artificiels. Ville verticale qui attire plein de réfugiés, le reste du monde étant en proie à l'extrême droite (l'Europe), et aux dérèglements climatiques, sécheresse perpétuelle en Asie du sud, inexorable progression du niveau des océans partout. La société y est organisée classiquement en classes sociales, ceux d'en bas, démunis, vivotant dans les crasseux bas-fonds, et les nantis, ceux d'en-haut, ultraconnectés dans une sorte de paradis artificiel, déversant leurs miasmes en bas. Enfin certains vivent dans les marges, à l'extérieur de Lanvil, voulant rester libres. Les personnages cités précédemment, présents pour les uns dans le Lanvil du haut, pour les autres dans le Lanvil du bas, fomentent un plan pour se soulever et découvrir la terre de leurs ancêtres qui se cache sous la surface de la ville. Creuser, creuser, retrouver les racines, celle de la Tè mawon (Terre marron).

A noter aussi la relation homme-machine mis en valeur par Michael Roch qui, si elle est très présente, ne constitue pas de la hard SF et ne perd pas le lecteur. Les conséquences sont davantage mises en valeur que la technique en elle-même. La plupart des personnages sont hybridées, et possèdent des interfacts de traduction et d'évaluation. Par exemple, beaucoup possèdent une IA au niveau oculaire – la vwè+ - qui leur permet d'analyser tout leur environnement, l'état d'esprit d'une personne avec laquelle on échange, son taux de stress par exemple ou son taux de mensonge. de nombreuses réflexions sur l'aliénation aux technologies m'ont fait écho et sont terriblement d'actualité.

« Une société d'écrans comme la nôtre est une société d'éblouissements et de représentations constantes : elle nous éloigne du réel. L'écran, donc, nous dépossède de la réalité. Il me paraitrait naturel que certains individus tentent de s'extraire de cette société pour reconquérir le réel. / Cette reconquête me semble douloureuse et miséreuse, voire inutile dans un système où l'écran incorpore et est incorporé par la réalité… ».

Enfin, les personnages, qui semblent tous indépendants de prime abord mais dont les liens vont se révéler petit à petit, sont attachants, touchants. le fait de les approcher à travers leur langue nous permet d'atteindre leur intimité, leurs pensées, leur vision des choses, leurs douleurs. Sans travestissements, sans makiyaje, sans filtre.

Un roman engagé – engajé -, militant, révolutionnaire, où la créolisation du langage et des esprits ainsi que la notion de Tout-monde, pensée à la croisée de la politique, de la philosophie et de la poésie, inventée par Edouard Glissant en 1995, comme j'ai pu l'apprendre en lisant l'excellente et érudite critique de @Charybde2 (à noter son excellent article dans le Monde des Livres daté du 8 avril 2022 où de multiples liens sont faits entre ce livre et d'autres auteurs, liens que je ne connaissais pas et que je vais aller creuser), sont réinterprétées par Michael Roch de façon passionnante. Pour tenter d'oublier les horreurs de l'esclavage, de la colonisation et de la post-colonisation…
L'exigence de cette lecture le dispute à la curiosité, voire l'excitation, que nous avons d'avancer dans le roman, de résoudre l'énigme de la Tè mawon, du Tout-monde, progression et résolution possible pour nous uniquement en faisant l'effort de comprendre le langage de chaque personnage. Cette façon d'embarquer le lecteur et de le rendre actif est bien vu et réjouissante ! J'aime ces livres qui se laissent désirer, ces livres exigeants qui, une fois la clé trouvée, recèle des trésors d'humanité ! Ce genre de livres qui permettent d'ouvrir notre esprit et notre coeur !
Un livre porteur d'espoir pour apporter paix et guérison au peuple caribéen !

« Il dit kon sa, que la quête que je mène depuis les ravines de Lanvil n'existe que dans mon cerveau. Retrouver la terre des ancêtres et puis après ? Que cessent les discriminations, les oppressions ? C'était le combat de nos aïeux, ce n'est plus le nôtre. La grève contre les classes sociales d'en haut et les corpolitiques est éternelle. Elle n'a même plus de revendications claires. C'est un fourre-tout émotif, de rage et de colère qui n'appartiennent qu'à ceux qui se battaient vraiment pour leur émancipation. C'est bon, c'est fini ! le Tout-monde n'existe pas. La terre de nos ancêtres n'a jamais existé. La vraie terre, nous l'avons détruite, nous l'avons rasée ».

Merci à @Charybde2 et à @PostTenebrasLire de m'avoir donné envie de lire ce roman si singulier !
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C'est parmi vos suggestions dans ma liste Pour les aventuriers de la littérature que j'ai pioché ce titre : attention donc, il faut s'accrocher un peu à la lecture au départ car, comme l'indique le titre, on trouvera du créole dans le texte. Et même de l'anticipa… de la science fiction ;-) Mais une fois lancé, on ne s'arrête plus ! L'édition nous aide qui est très jolie et agréable à lire. Chrys, un grand merci pour cette découverte : sans toi je serais passée à côté de quelque chose !
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J'ai choisi ce roman car il fait écho à une info qui m'avait énormément dépitée, et que je vous avais déjà répercutée dans ma critique du Gang de la clé à molette : Notre planète est désormais constituée de plus de construit que de naturel… C'est donc sans mal que nous imaginons notre monde poussé à l'extrême avec Michael Roch, qui nous emmène à Lanville, mégalopole tentaculaire caribéenne à la fin du siècle. de Cuba jusqu'au Vénézuela, cette ville-monstre, toute en hauteur, où les pauvres vivent Anba Lanvil et les plus privilégiés Anwo Lanvil, abrite une population bigarrée et prône la diversité culturelle. Anwo, l'air est plus pur et le soleil plus vrai ; Anba, les écrans et images de synthèse permettent de reproduire un semblant de cycle naturel. Quel heure est-il ? Horizon 2 ou horizon 4 ? Gavée de technologie et d'écrans, Lanvil attire donc autant les migrants (Anba) de tous horizons que les vacanciers ultra connectés (Anwo).
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Diversalité : « C'est ça, la magie. le recueil de toutes nos différences sans oppositions, sans assimilations. C'est un vivant entier. C'est une harmonie. »
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Et le premier vecteur de cette diversalité, qui nous différencie mais paradoxalement qui nous lie aussi, celui qui exprime qui nous sommes, c'est la langue que nous parlons, le langage que nous utilisons. Ce qui permet aussi en l'occurrence une certaine porosité entre les personnages d'Anwo et d'Anba : « A quel moment j'existe, si ce que je parle disparaît ? »
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« Si tu veux sauver le monde, fais en sorte qu'aucune langue n'en domine une autre. Parce que quand une langue domine l'autre, l'autre finit par lui appartenir et disparaître. du coup, on existe que si on parle, tu vois ? Alors il faut l'équilibre. Faut te demander à quel moment, dans ta tête, ta langue écrase l'autre, à quel moment tu oublies que tu appartiens à l'univers tout entier et à quel moment tu acceptes de t'enfermer dans une seule partie de l'humanité. »
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Aussi, pour conserver cet équilibre, deux des personnages essentiels de ce roman seront des « traductrices ». Hyper connectées, elles traduisent en temps réel le langage de chacun lors des interactions : langage parlé bien sûr, mais aussi langage corporel. Avec leurs lunettes spéciales, les vwè+, elles voient plus précisément les émotions, si à 80% vous mentez ou à 48% êtes stressés.
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« Traduire est bien plus que comprendre l'autre. C'est aussi saisir sa nuance, s'emparer de son esprit, se l'approprier, le faire sien. Cela demande de faire fi de la peur de l'autre et de ce que l'on projette sur lui. le réel n'est jamais devant nos yeux ni à travers nos écrans. le réel est un secret que seul l'autre peut nous dévoiler. »
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La communication sous toutes ses formes, lorsqu'elle est vraie, sans écran ni makiyaj, est la clé de ce livre car elle nous permet d'exister auprès des autres.
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« Ce qui nous aliène, c'est de rester prisonniers d'un langage. Lanvil joue sur ce paradoxe. Lanvil enferme comme elle libère, parce qu'elle est diverse dans ses corps et ses esprits, dans ses langues surtout. Chaque langue est un véhicule. Il est impossible de nous comprendre sans nous parler, sans nous traduire et sans laisser à la langue de l'autre l'espace qui lui est nécessaire pour exister. Ce qui nous aliène, c'est la dépossession d'une langue au profit d'une autre. Car elle déforme le corps, elle le contraint dans un système qui ne correspond pas à sa pensée. C'est ce qui rend la traduction importante : nous équilibrons les langues, nous équilibrons les points de vue sur L Histoire et ses évènements, nous accédons aux pensées des uns et des autres, nous nouons les empathies, nous archivons les relations.
Ce qui me libère réside dans cet archivage, cette accumulation des rapports entre toutes et tous. Mon rôle de tradiktè : observer la friction du monde avec lui-même. Noter chacune de ces frictions, chacune de ces érosions dues aux contacts d'un individu avec un autre. »
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Lanvil serait donc une incitation à ne pas avoir peur de la diversité culturelle : on peut arriver à s'accepter, non par l'uniformisation, non en imposant une langue plus qu'une autre, ni par la traduction bêtement littérale de mots utilitaires, mais en s'intéressant à l'autre pour le comprendre, au sens large comme restreint au langage : pour comprendre ses subtilités, il faut le connaître ; pour le connaître, il faut parler avec lui ; pour comprendre les subtilités de sa langue, il faut la vivre.
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C'est ce que l'auteur prouve ici par la pratique : Pour cela, il nous immerge dès les premières lignes dans le parler et le système de pensée de chaque personnage que nous allons suivre tour à tour. Joe vient de la Nouvelle-Marseille, il ne parle pas encore kréyol tout le temps mais il le comprend, nous le traduit dans son français émaillé de mots marseillais, verlan, djeuns et créole. Fraichement arrivé à Lanvil, il est recherché par les drones qui sillonnent les rues. Heureusement, il rencontre Patson qui lui montre comment les déjouer avec un peu de maquiyaj pour ne jamais montrer son vrai visage ! Patson est habitué à fomenter des mauvais coup sous les radars de la répression. Avec lui, le creyol sera beaucoup plus exploité car il baigne dedans depuis toujours, même s'il l'agrémente de langage moderne.
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Mais l'identité est un tout, nous sommes aussi notre mode de vie. L'auteur en profite alors pour insérer des réflexions sur la vie derrière nos écrans.
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« La projection sur écran peut devenir une distraction si grande qu'un individu en oubliera sa propre vie. Si cette vie est déjà indigente, l'écran devient le but à atteindre. C'est pour cela que Lanvil attire toujours plus de migrants, réguliers ou irréguliers : elle est une utopie de projections dont l'image, toujours positive, toujours paradisiaque, se diffuse tout autour du monde. Sauf que, bien souvent, ces populations entrantes ont oublié qu'elles pouvaient modifier leur propre réalité. »
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Malgré son image de paradis, Lanvil contient aussi ses bas-fonds, ses quartiers où une révolte se prépare… C'est avec Pat, le père de Patson, que nous rentrons dans le dur du langage : Lui parle la langue de ses ancêtres car c'est le seul lien qu'il possède encore avec eux, maintenant que Lanvil les a plus ou moins dépossédés de leur Tè. C'est pourquoi il n'a jamais voulu faire partie de la « haute » société de Lanvil et qu'il se terre Anba Lanvil. Il y trame le démantèlement de cette société qu'il ne cautionne pas, prônant un retour aux sources, à la vraie vie, à « avant ». Mais les retours en arrière sont-ils jamais possibles ? Comment s'y prendre en étant ultra surveillé par le réseau gigantesque de la ville qui traque chacun à tout instant ? La chance de Pat, c'est qu'il a toujours refusé de s'implanter ces nouvelles technologies qui vous font repérer en un rien de temps.
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Car : « Qui rêve de ça ? Un monde qui repose sur une illusion, une dématérialisation… Nous vivons dans nos idées et nos pensées, à des années-lumière du corps et du réel. »
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« La particularité de ce colonialisme, c'est qu'il n'est pas violent. de manière abstraite, l'écran se sert de notre blessure narcissique pour nous fasciner, nous séduire, nous éblouir. Nous projetons sur lui nos propres désirs. Nous participons activement à notre propre colonisation. Nous ne voyons plus rien, pas même ce que nous devenons. »
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« Une société d'écrans comme la nôtre est une société d'éblouissements et de représentations constantes : elle nous éloigne du réel. L'écran, donc, nous dépossède de la réalité. Il me paraitrait naturel que certains individus tentent de s'extraire de cette société pour reconquérir leur réel. »
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C'est là que l'arme secrète de Pat intervient : un membre particulier de sa faction a infiltré le rézo de la ville pour trouver où creuser pour retrouver la Tè Marron, la terre des ancêtres, des origines, des racines. Aussi, non-content de proposer une vraie réflexion sur la communication et les écrans à l'heure de la mondialisation, ce texte est également empreint de valeurs familiales : l'homme qui se transforme en machine espère secrètement un retour aux sources, au plus important : la famille, les liens réels. Initialement, je lui avais mis 4 étoiles mais plus je le réexplore pour vous en parler, plus je le trouve riche pour ses seulement 200 pages et lui rajoute la demie bien méritée.
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« Sé an wa, my flingue. C'est un roi enterré. Un roi à la couronne d'élektrolocks. Cent broches ki ka rantré par le tétral é ki ka inondé son cerveau de données nimérik et de rêves virtuels. C'est un roi pirate, my flingue, qui navigue sur les rézo du monde. »
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Nous croisons également tout un panel de personnages secondaires, de dialectes qu'il faudra décrypter pour parvenir à comprendre nos personnages, leurs actes, leur vie, leur personnalité. Chacun adapte son langage à lui-même comme nous le faisons tous un peu, ce qui complique la tâche du lecteur qui doit s'adapter dès les premiers mots. Mais l'auteur ne manque pas, au fil du récit et après nous avoir laissé nous dépatouiller par l'expérience, de glisser quelques aides à la lecture tels : lire à haute voix, ou faire expliquer des mots par ses personnages, ou faire reprendre un bout de la conversation en français par un autre personnage, nous faisant apercevoir la signification d'un mot. Nous sommes donc récompensés de nos efforts et même doublement : L'auteur nous met en succès et nous rend fiers de comprendre les langages, mais aussi ce monde de science-fiction nouveau pour nous dans lequel il nous faut nous adapter en y vadrouillant, nous l'approprier en suivant les personnages. Même une novice comme moi y parvient sans mal !
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« Ek koté i yé ? J'le vois pas ton tout-monde. Kidonk sé té an mansonj lot swè-a, adan kanbiz'w ? T'as rien, Pat. Ayen ! An vyé rev selman. »
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Une belle démonstration par la pratique de la langue, non comme fossé entre nous mais comme vecteur de liens infinis, de relations, de mains tendues, de rhizomes ; comme incitation à se comprendre, se connaître, se connecter les uns aux autres pour se penser, se panser les uns les autres et panser le monde, le tout-monde. Sans écran de fumée entre nous ; juste une reconnexion à nos racines profondes pour nous rendre compte qu'au plus profond elles sont communes, une reconnexion à la tè mawon, la terre marron, la vraie, sans artifice : notre mère à tous, celle qui nous a vu naître et nous verra mourir. Fos é respé pouwot oeuv, Michaël Roch !
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Un nouveau roman de Michael Roch ! Quelle bonne nouvelle !
Chaque roman de cet auteur est un voyage vers un nouveau territoire.
Et j'ai trouvé la clef de ce voyage-ci dans le roman lui-même :

> Ce qui nous aliène, c'est de rester prisonniers d'un langage

Et Michel Roch, artisan écrivain, nous projette dans un monde cyberpunk caribéen aux multiples Kreyols.
Oui, caribéen. Au bout de quelques pages seulement, il devient évident qu'il faut un nouveau cyberpunk.
Les grandes villes, les futures mégalopoles ne sont plus l'apanage de l'Asie et de l'Occident. Pensez à Lagos.
À propos de Lagos, je vous conseille la lecture de "Manuwa Street"

Mais revenons au roman.
Le récit se passe dans la mégalopole de Lanvil.
La mégalopole a physiquement et même bien plus fondamentalement effacé, écrasé ou plutôt enseveli le passé.
C'est une ville verticale.
En ville verticale sans racines. Alors certains montent le projet fou de creuser, creuser pour retrouver la terre, la terre des origines.
Mais creuser est-il la solution ?
Creuser pour trouver quoi ?

Il m'a semblé que le véritable personnage du roman est le langage, les langages, les kreyols.
J'y reconnais l'empreinte de l'auteur qui sculpte les mots, la langue, les phrases.
Parlons-nous ? Mélangeons-nous ? Mélangeons nos langues.

Attention, il y a bien plus de thèmes dans ce roman que ceux si maigrement développés dans mon avis.
Il y a toujours de l'épaisseur dans les écrits de Michael Roch. Même dans les moments d'action.
Et de l'action, vous en trouverez aussi.

Un roman très complet donc.
Une expérience de lecture que je recommande.
Lien : https://post-tenebras-lire.n..
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Se nourrissant tout autant du concept de dialogisme de Mikhail Bakhtine que de celui du Tout-monde d'Edouard Glissant, Michael Roch signe avec « Tè Mawon » un roman SF d'une originalité ébouriffante, à défriser les locks d'un rastafari. Imaginant une mégalopole caribéenne futuriste rivalisant avec les nuages et baignée d'un niyaj nimérik où la réalité augmentée (vwè+) est omniprésente, l'auteur nous immerge dans un récit polyphonique, véritable maëlstrom linguistique et philosophique. Entre l'anba et l'anwo de cette nouvelle Babilòn, une poignée de personnages se démènent pour accomplir leur mission ou carrément leur destin, comme regagner la terre marron de leurs ancêtres.

Joe, métis exilé qui a traversé l'Atlantique pour retrouver sa copine disparue, le jeune Patson qui se plie en quatre pour l'aider à échapper aux condés, Pat le paternel amateur de sentzeb (mélange de ganja et de zèb à pic) et dont le passé de syndicaliste a laissé place aux magouilles mafieuses, et puis les soeurs ennemies Ézie et Lonia, qui se sont arrachées à leurs racines de l'anba pour devenir traductrices dans l'anwo. Leur rôle en tant que tradiktè, c'est « observer la friction du monde avec lui-même. » Chacun de ces personnages a un langage qui lui est propre : Joe a de l'argot occitan et du verlan en bouche, Pat parle un kréyol épicé, les soeurs Sézè maîtrisent un français soutenu. Ce roman, c'est konsidiré un plat exotique aux aromates de partout et d'ailleurs, un melting-pot de saveurs qui ravissent tout autant le bouden (le ventre) que le tétral (la tête).

Côté bouden, il faut admettre que les quarante premières pages sont un peu dures à digérer. Les cinq personnages principaux déboulent en un tour de main et il faut s'accrocher à la phonétique pour ne pas perdre le sens des mots, mais il faut se laisser porter par le slam, se laisser imprégner par cette oralité colorée. Côté tétral, il faut saluer la manière dont l'auteur brode sur le concept de diversalité, que l'on doit aux écrivains de la Caraïbe, et qui définit cette dynamique de l'Unité qui se fait en Divers, cette remise en dialogues des langues et des cultures. Un roman intelligent et polyglotte !
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Un passionnant roman afro-cyberpunk largement révolutionnaire, jouant avec des futurs caraïbes transcendés par la présence du Tout-Monde cher à Glissant et Chamoiseau. Une créolisation en action des esprits et du langage. Une grande réussite audacieuse.

Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2022/04/08/note-de-lecture-te-mawon-michael-roch/

Pas de note de lecture proprement dite pour ce « Tè mawon » de Michael Roch, publié à La Volte en mars 2022, l'un des livres les plus fortifiants – et bien au-delà – que j'ai pu lire relativement récemment, car il fait l'objet d'un petit article de ma part dans le Monde des Livres de ce jeudi 7 avril (daté du vendredi 8 avril), à lire en version résumée de moitié ici.

Je ne reprendrai donc évidemment pas ici le contenu de l'article, mais y ajouterai quatre remarques après coup, en forme de notes de bas de page aux 3 500 signes initiaux du quotidien du soir, en quelque sorte.

🖥 L'hommage à William Gibson que propose entre autres choses précieuses « Tè mawon » est l'un des plus intelligents et subtils que j'aie jamais lus : très loin des imitations ressassées par tant d'imitateurs de l'inventeur de « Neuromancien », Michael Roch a saisi d'emblée, comme le montraient « Identification des schémas » en 2003 puis « Code source » en 2007, que les antagonismes sont à la fois éternels et évolutifs, que la relation homme-machine n'est qu'une composante parmi d'autres de la lutte pour l'émancipation, et sans doute pas la plus importante. Et les figures de loas du cyberespace avec lesquelles le créateur canadien s'était tant amusé poétiquement prennent une résonance autrement percutante, sous une forme bien différente, chez le Martiniquais.

🌅 En installant au centre de son roman un véritable débat sémantique caché, sur le sens littéral ou métaphorique de la notion de « Tout-monde » créée en 1995 par Édouard Glissant , il crée de facto une installation au sens artistique du terme, pour conduire activement et pragmatiquement une exploration toujours intensément actuelle de ce que signifie la créolisation, comme Patrick Chamoiseau le pratique de son côté de création en création, à l'ombre théorique de son « Écrire en pays dominé » de 1997.

🎼 « Tè Mawon » n'est pas uniquement polysémique et polyphonique : il tire parti avec un extrême brio des possibilités concrètes de créolisation en direct (de la résonance cognitive intime qu'elle peut provoquer en nous) offertes par la pratique sans accessoires ni effets spéciaux du créole martiniquais, mais aussi du parler marseillais. Les télescopages induits entre ce qui se comprend, ce qui se devine et ce qui se spécule constituent un chemin en soi, à la fois savoureux et stimulant.

🏭 Contrairement à beaucoup de textes de science-fiction se réclamant d'une high tech pointue souvent fort fallacieuse, « Té Mawon », même lorsqu'il nous fait partager les rêves numérisés des méga-startups à visées économiques et politiques, à travers artefacts de traduction et d'évaluation des données, des discours et des postures en temps réel, n'oublie jamais de nous ramener à cette vie matérielle, celle qui constitue le soubassement de tout développement historique, même contre toutes apparences, comme avait su le rappeler avec sa force rare le grand Fernand Braudel de « Civilisation matérielle, économie et capitalisme » dès 1979.
Lien : https://charybde2.wordpress...
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Partagé...
J'ai eu un peu de mal à entrer dans ce bouquin.
Puis je me suis laissé porter, car la langue ne manque pas de poésie, ça chante à l'oreille, mais parfois ça bloque, je bute sur une expression, un mot, et la prose se fait plus heurtée et moins limpide, et mon plaisir est un peu gâché.
Pour autant, c'est un bon cyberpunk caribéen, mâtiné de créole (pour lequel j'aurais aimé quelques notes en fin d'ouvrage auxquelles j'aurais pu me reporter), de provençal (marseillais), de verlan,etc...qui prône la diversité des cultures respectueuses les unes des autres, tout en dénonçant les injustices sociales (entre anwo et anba).
Il me reste à lire maintenant Edouard Glissant (son roman Tout-Monde et son traité du Tout-Monde) entre autre...

Je recommande ce livre malgré certaines difficultés de lecture qu'on peut ressentir à certains moments.
Pour ceux qui sont intéressés par les langues, les mélanges et le cyberpunk abordable.

(PS : L'auteur joue-t-il avec les dates également ? la tragédie de Matouba mentionnée en 1902 alors qu'elle se déroule en 1802, et Je n'ai rien trouvé sur le Carbet en 1948, en revanche j'ai trouvé des infos sur la révolte du Carbet en 1822 https://la1ere.francetvinfo.fr/martinique/histoire-meconnue-revolte-esclaves-du-carbet-1822-788255.html )
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Michael Roch propose un roman afrofuturiste caribéen ambitieux et audacieux ! J'avais beaucoup aimé l'un des romans précédents de l'auteur, le livre jaune. Un livre exigeant car très travaillé. Qu'ai-je pensé de Tè Mawon, une incursion de l'auteur dans le cyberpunk ?

Ce qui différencie Michael Roch de d'autres auteurs de l'imaginaire, c'est entre autres une grande exigence au niveau de l'écriture. C'est notamment visible à travers les jeux de registres et les jonglages entre différentes langues, notamment entre le Kréyol et le français. L'auteur joue également entre les différents registres : verlan, langage vulgaire ou français très soutenu. L'objectif est de bien marquer les différentes entre les différentes strates qui composent Lanvil. A la fois si proches et si éloignées. L'hybridation du langage peut se montrer aussi bien d'une grande poésie que cocasse. le problème est que parfois, cela crée des passages très complexes qui peuvent noyer le lecteur et faire perdre de vue l'intrigue.

Il y a aussi deux traductrices qui font partie des personnages principaux, mettant l'emphase sur l'intérêt du roman autour du multiculturel, de la transition d'un monde à l'autre, et surtout d'être capable d'interpréter les signes comme de nombreux indices. Par ailleurs, les traductrices sont aidées d'une technologie transhumaniste. Elles ont amélioré leurs yeux pour être capables de lire les émotions et les réactions de leurs interlocuteurs. le jeu de la traduction se joue aussi bien au niveau de la langue que du corps. Chaque personnage a sa propre manière de parler.

Le multilinguisme marque notamment à quel point la société des caraïbes a poursuivi son métissage. Plus loin, le Lanvil, mégalopole tentaculaire, s'étend et relie toutes les îles des caraïbes. C'est même au premier coup d'oeil une véritable utopie, un oasis de technologie et de paix. En effet, le reste du monde est en conflits. Lanvil est vue comme une terre d'accueil, une terre promise même. En effet, la ville bénéficie d'une technologie de pointe qui lui permet de se développer. On y fait mention de l'ayi, nom local de l'intelligence artificielle ou de transhumanisme. La technologie semble participer pleinement au développement de l'humanité. Mais tout n'est pas si rose.

En effet, le roman met en scène des tensions qui secouent les strates de la société. Dans l'anba, loin de la profusion de richesse de l'anwo, les populations marginales tentent de survivre. L'anwo met en place trésors d'illusions pour se persuader d'être un monde resté intact à travers les catastrophes écologiques ou politiques. L'anba, où, comme dans de nombreuses oeuvres cyberpunk, sont isolés les marginaux de la société dans une logique verticale des inégalités sociales.

Certains groupes cherchent même le légendaire tout-monde, qui se trouverait sous les couches de métal de la cité. En outre, des enfants disparaissent mystérieusement. Ces deux événements qui n'ont apparemment pas de lien particulier sont pourtant significatifs. La quête du tout-monde représente un retour aux origines décolonial et libertaire, et les enfants sont un symbole d'avenir. Deux concepts indissociables qui marquent l'harmonie et la convergence.

Les arcs narratifs atteignent un climax dans la derrière partie, explosive. On assiste à une scène de rébellion massive qui offre une belle énergie. Cette dernière partie donne un sentiment de complétion en réalisant toutes les promesses égrainées au fil du récit. Cette énergie rappelle d'autres romans caribéens comme Les tentacules de Rita Indiana, dans lequel la notion d'anti-système prend une place prépondérante. Les mouvements sociaux ont une place clé, dans toute leur diversité.

Tè Mawon est un roman exigeant qui ne plairait pas forcément à tout le monde ! L'auteur joue avec les langues et les registres pour créer une symphonie divergente qui cherche l'harmonie, faisant écho à plusieurs reprises à la quête du tout-monde d'Édouard Glissant. L'écriture est donc créative, proposant un texte aussi fin que complexe. Ainsi, l'un des premiers objectifs est de parler de traduction, que ce soit au niveau des codes, des langues ou que des émotions. Outre la communication, le roman aborde les mouvements sociaux dans les sociétés très stratifiées. Puisque Lanvil, qui se présente comme une métropole utopique, mais qui en réalité rejette une partie de sa population dans l'anba. le roman propose donc une vision originale et unique qui vient renouveler le cyberpunk, tout en gardant les marqueurs forts du sous-genre.
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De prime abord, l'histoire de Tè Mawon de Michael Roch est un classique du cyberpunk. Au sein d'une mégalopole, différents individus se démènent pour découvrir ce qui se cache sous la surface et derrière les lumières de la ville. Certains vivent dans les bas-fonds, d'autres dans les étages bourgeois aux mains des corporations, et d'autres encore sont à la marge, ni tout à fait dans cette conurbation, ni tout à fait en dehors.
Et pourtant, Tè Mawon est une expérience de lecture très différente. Pourquoi ? Déjà parce que Lanvil, la mégapole du récit, couvre une bonne partie des Caraïbes de Cuba au Vénézuela, en passant par la Guadeloupe et la Martinique. Dans ce récit, la métropole et l'Europe en général sont à peine mentionnés, comme étant un lieu que des migrants fuient pour se réfugier à Lanvil. Tout comme l'Asie, les Etats-Unis et le reste du monde. Tout se déroule en vase clos dans cette ile bétonnée gigantesque ceinte par la mer et ses sargasses, sous la lumière artificielle d'un monde qui a oublié la lueur des étoiles et la chaleur du soleil, sauf en réalité virtuelle.
Deuxièmement parce que le langage et les multiples interprétations qu'il propose sont au coeur du récit. Chacun des personnages principaux de Tè Mawon utilise sa propre langue, son propre dialecte. Même ceux parlant créole et, on le comprend assez vite, formant une famille, n'utilisent pas tout à fait les mêmes mots. Ainsi, Pat au créole le plus prégnant auquel se mêlent des mots de son cru comme le tétral pour la tête ne parle pas la même langue que son fils Patson qui va ajouter au créole martiniquais et au français des expressions espagnoles et quelques termes anglo-saxon glanés au cours de ses pérégrinations. Joe, l'exilé venu d'Europe va, lui, parler un argot mâtiné de francitan comme bouléguer. La lecture du récit n'est jamais simple, elle demande soit de faire un effort (et de subvocaliser) pour déchiffrer chaque mot, soit d'accepter de lâcher prise et de se laisser porter par le sens global de l'histoire. Quitte à revenir plus tard sur une séquence. Ce n'est pas pour rien que deux des protagonistes sont d'ailleurs des traductrices bardées de prothèses et habituées à naviguer sans cesse entre le monde réel et des couches de virtuels variant d'un lieu à l'autre, d'une personne à l'autre. Et ce n'est pas pour rien qu'elles nous avertissent que le réel ne peut s'appréhender que par le prisme de sa propre expérience, de sa propre interprétation, et de ce que l'on sait de l'expérience et de l'interprétation qu'en font à leur tour ses interlocuteurs.
Derrière son vernis cyberpunk, Tè Mawon cache un message d'indépendance, aussi bien par rapport à son passé qu'à ses racines géographiques ou à ses attaches familiales. Il ne s'agit pas de renier d'où l'on vient, ni d'idéaliser un utopique âge d'or, mais au contraire de se bâtir une vie meilleure avec son héritage. Finalement un roman presque optimiste, non ?
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Je ne vais pas le cacher, d'autant plus que j'en suis très fière : je voue une admiration absolue aux oeuvres de Michael Roch. Depuis longtemps je suis une fidèle de ses créations, je m'intéresse à ses explorations de toute forme de narration. Rien ne me touche plus que ses romans. de Moi, Peter Pan au Livre Jaune, j'ai déjà dit tout le bien que j'en pense, et à quel point cet écrivain à un talent dingue.
Je me suis donc précipitée sur le dernier-né : Tè Mawon, dont le titre même laissait présager la subtile exigence que ses écrits portent toujours.

Il est en effet évident, dès la lecture du titre, que ce roman est bien différent de la SF habituelle. Il en reprend pourtant un ressort assez classique. L'histoire se passe dans une mégalopole futuriste stratifiée, Lanvil, dans laquelle les défavorisés doivent se coltiner les profondeurs tandis que les bourgeois s'élèvent vers les sommets, jusqu'à ce qu'on cherche à renverser cet état de fait. La grande différence réside dans le fait que Lanvil s'élève sur les terres caribéennes, que ses habitants en sont les héritiers, et ça, les enfants, ça bouscule nos habitudes bien plus que ça ne le devrait !
Michael Roch réussit à faire de Tè Mawon l'un des livres les plus originaux qu'il soit, et dieu sait s'il nous avait pourtant déjà habitué à du haut niveau, en utilisant des procédés qu'il maîtrise tellement que c'en est prodigieux :


Le roman choral : Michael Roch alterne les points de vue et il le fait bien. Bien au-delà d'un jeu de ping-pong plat, c'est une véritable symphonie qu'il orchestre. Il nous présente des personnages aussi contrastés que convaincants, chacun réussissant à trouver une place de choix dans le patchwork que forme la trame de ce récit. Les interventions, une à une, finissent par former une fine marqueterie parfaitement ajustée, faisant sortir un univers de terre, faisant avancer une intrigue d'une efficacité indiscutable.


La maîtrise de la langue : c'est LE tour de force/coup de maître/trait de génie/morceau de bravoure/j'en passe et des plus superlatifs... du bouquin. Il donne corps à ses personnages par leur réappropriation de leur propre langage. Hybridant les dialectes, explorant les 1001 facettes du créole, dotant chacune des figures du récit de ses propres expressions. Ici le langage définit l'être, raconte sa vie, en dit plus sur lui que la plus longue des descriptions.

Lire un roman de Michael Roch, c'est exigeant. le découvrir, l'apprécier à sa juste valeur, s'enrichir de sa lecture, cela demande une implication qui fait de toi un acteur à part entière de l'histoire.
Ici, il te faudra décortiquer, déchiffrer certains mots si tu t'obstines à vouloir tout comprendre, ou te laisser emporter par la formidable mélodie qui se dégage de certains passages. J'ai par exemple lu une partie du livre à haute voix. ça m'a aidé à comprendre, certes, et ça m'a permis surtout de profiter vraiment de toute la poésie qui se dégage de ces pages.

Au-delà d'un roman à l'intrigue palpitante et aux enjeux forts, c'est une nouvelle leçon que nous offre Michael Roch.
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Le langage est la clé du roman de Michael Roch, un roman choral, parfois exigeant, à l'esthétique cyberpunk , riche de mots qui m'a souvent émerveillée.
On suit plusieurs points de vue, ceux des membres d'une même famille, qui parlent chacun et chacune leur propre langage : Pat, révolutionnaire qui veut découvrir la terre des ancêtres, les deux soeurs traductrices, Ézie qui tente d'élucider ces mystères autour des disparitions d'enfants, et Lonia, Joe et Patson, fils de Pat. Pat s'exprime surtout en créole martiniquais mêlé de créole haïtien et de quelques mors de son crû — souvent du créole qu'il a détourné comme « bouden » pour ventre (alors que le mot existe en haïtien) « fondok » pour « le fond du fond » (en créole martiniquais, c'est ce qui fonde, la base). Donc pas complètement de l'invention. Joe utilise le verlan et Patson, comme il le dit : « Moi, je parle français, parce que je préfère. du moins, je m'en fous quoi. Mon père, il parle kréyol quand il veut. »
La langue est riche, foisonnante., se décrypte, et tant mieux, puisque tout est une question de traduction, d'identité, de multilinguisme. On comprend ici que le thème de l'identité et de la communication se trouvent au centre du roman.

Dans une ville (l'en-ville littéralement, Lanvil) une mégapole caribéenne, à la pointe de la technologie où les humains sont reliés au réseau et aux machines, la verticalité est de rigueur ; on ne vit pas de la même façon en haut« l'anwo » qu'en bas « l'anba », ; là vivent les riches, et là où tentent de vivre les plus défavorisés (on peut penser à Rivers Solomon « L'incivilité des fantômes« , par ex.).

Les dominés, les plus pauvres, essaient de résoudre cette inégalité en cherchant le Tout-Monde, comme le fait Pat. le tout-(monde renvoie à la notion développée par Edouard Glissant (en 1997) : « J'appelle Tout-monde, notre univers tel qu'il change et perdure en échangeant et, en même temps, la “vision” que nous en avons » (plus ici )

Je n'en dirais pas plus : il faut prendre le temps de découvrir Tè mawon, de se plonger dans la langue créole, de se laisser embarquer dans cet univers.

Tè Mawon est un roman très réussi d'afro-futurisme caribéen qui pourrait se conclure par ceci : — kouté pou tann (écoutez pour entendre) tann pour konprann (entendre pour comprendre) konprann pou antann (comprendre pour l'entente)
antann pou vansé ansanm (l'entente pour avancer ensemble
Lien : https://imaladybutterfly.wor..
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