Voilà mon voyage par procuration terminé, un voyage très riche d'enseignements, et ce, par l'intermédiaire du livre de mon amie Francine, alias Afriquea.
L'auteure nous relate, avec par instants un brin d'humour, ses expériences lors de son séjour au Gabon de 1972 à 1973, puis en Guinée équatoriale de 1989 à 1994.
Le prologue, inspiré de l'écrivain
Birago Diop, est d'une grande beauté, d'une grande profondeur, et ses anaphores lui confèrent une puissance qui étreint le coeur. "J'écris parce que j'ai peur de la mort". Oui Francine. Raconter ce qui à nos yeux revêt de l'importance, avant que nous ne puissions plus le faire.
À la lecture de l'introduction, je n'ai pu m'empêcher de sourire, car celle-ci illustre si bien ce que ressentent les auteurs qui, à tort, se sentent un peu comme des imposteurs. "Un grand silence gêné, suivi de rien, un peu comme si j'avais prononcé une grossièreté". Ce silence gêné évoque l'hésitation qu'a pu ressentir Francine, avant, enfin, de nous partager ses expériences, aussi magnifiques qu'atypiques, ce pour quoi je la remercie.
Parlons, Francine, de ce sentiment d'appartenance que tu as à l'Afrique. "Dès les premières marches descendues depuis l'avion, le sentiment de retrouver un monde connu me gagne... Je ressens une sorte de connivence sécrète, une acceptation totale, une correspondance absolue avec cette culture". le sentiment d'appartenance à un pays qui n'est pas le nôtre est d'une force telle, qu'il ne peut être réellement compris que par ceux qui l'ont vécu. Couleur de peau, éducation, croyances, il n'est rien qu'il ne puisse défier. C'est comme si tout celà était absorbé par la terre que notre coeur a choisie, se transmutait et nous reprogrammait pour faire de nous quelqu'un d'autre, celui où celle que, dans le secret de notre âme, nous avons peut-être toujours été.
Grâce à la description précise mais sans redondance que tu fais de Libreville, j'ai eu le sentiment de m'y promener. Dans ce Libreville des années 70, petite bourgade entre passé et modernité, où se côtoient hôtels gratte-ciel, aéroport en bois et blocs de béton posés pêle-mêle en guise de débarcadère, et où le temps n'importe plus. Certes, le danger n'est jamais loin, il peut se manifester sous forme, entre autres, de serpents tapis on ne sait où, pour autant, il m'a semblé qu'il était doux de vivre dans cette petite bourgade à l'air provincial, non aseptisée et un tantinet brouillonne. S'y trouve cependant un hôpital sans médicaments, le ton est donné...
À Port Gentil, accompagnée de ton jeune époux Gabonais, tu fais la connaissance de ta grande et chaleureuse belle-famille. J'ai regretté que tu n'aies suffisamment brossé le portrait des uns et des autres, car vis-à-vis d'eux, j'ai gardé une certaine distance. Mais peut-être n'était-ce pas vraiment le propos, et que ton intention était certes, de faire partager au lecteur ces tranches de vie, mais aussi et surtout de nous dépeindre les couleurs de l'Afrique, sa complexité, ses us et coutumes, et en ce sens ton livre est d'une grande richesse et fort instructif.
Le deuil et ses rites, la libation, la conception de la famille, bien curieuse au regard de l'occidentale que je suis, tout celà ponctué de la Grande Histoire. La Grande Histoire que tu as distillée avec la juste mesure, suffisamment pour immerger le lecteur dans cet univers, mais sans que ce soit pour autant indigeste. le climat politique y est également abordé, donc il va sans dire que corruption et malversations vont bon train.
La corruption n'est certes pas l'apanage des Africains, mais celle-ci, lorsqu'elle a lieu dans des pays d'Afrique, me révolte et m'inspire encore plus de mépris.
Comment des politiciens dont les ancêtres ont connu l'humiliation de l'esclavage, peuvent-ils à leur tour se montrer si vils. Si assoiffés de pouvoir et d'argent ? Ne devraient-ils pas avoir à coeur d'assurer à la population, à leurs frères, une vie un tant soit peu décente. Ne devraient-ils pas marquer un point d'honneur à montrer au monde qu'ils sont des êtres responsables, et que leur pays ne peut en aucun cas être le terrain de jeu des uns et des autres. Eh bien non. L'appât du gain est le plus fort. Tout est permis. Pourvu que celà servent leurs intérêts financiers. Et qu'il y a t-il de plus criminel, de plus nuisible et inconstructif pour un pays, que de le priver de ses têtes pensantes, dans le but, il va sans dire, de mieux s'agripper à son "trône". Toute ces exactions m'ont proprement révoltée.
À ce propos Francine, un passage de ton livre m'a particulièrement interpellée et mérite qu'on s'y arrête un instant. Je cite : "J'apprends cette notion de destin inéluctable dès mon arrivée. Je me pose la question de savoir si le passé de ces peuples les a éduqués dans l'acceptation, ou si une certaine indifférence de départ à permis les siècles de sévices, si le fatalisme les a aidés à supporter la captivité, ou si les déportations leur importait finalement peu, comme si ce sort était prévu de tout temps et que toute révolte aurait été futile.
Habib Bourguiba a dit : "Si nous avons été colonisés, c'est parce que nous étions colonisables".
Aimé Césaire a d'ailleurs tenu des propos très ressemblants. Je n'ai plus les termes précis en tête, mais sa pensée était la même, sauf qu'elle s'appliquait à l'esclavage. Et à Malek Benabi de dire, "Une nation n'est pas tant défaite par des agressions extérieures que par la perte de sa cohésion interne". Alors peut-être avons-nous notre réponse...
Mais heureusement qu'après tous ces sujets que tu fais bien d'évoquer, il y a de l'amour dans l'air !!! Voilà qui fait
du bien ! Vient ta rencontre avec ce bel Andalou, "ce beau chevelu sauvage ", puisqu'entretemps tu as divorcé de ton premier mari. Tout m'est apparu si fluide entre vous. L'amour est parfois comme une évidence, et c'est beau.
Le chapitre intitulé "L'Afrique des blancs ", lui par contre m'a carrément amusée. Tu donnes la parole aux "illustres" épouses de coopérants qui cassent du sucre sur le dos des Africains, et je n'ai pu m'empêcher d'établir un lien entre ces pestes ignorantes et les Français métropolitains établis en Guadeloupe qui, en 2023 ! Pratique l'entre-soi et cassent du sucre sur notre dos. Heureusement que je suis venue quelques fois en métropole, ce qui m'a permis de me forger une opinion plus juste, de reconnaître que ces imbéciles ne sont pas du tout représentatifs de la population Française.
Je vais quand-même conclure, Francine, ton livre est très enrichissant, très instructif, émaillé de nombreuses références littéraires, une prose simple et belle, alors je te dis merci. Merci pour ton érudition qui ne peut susciter qu'admiration, ton
humour et ton impartialité, car en dépit de l'amour que tu as pour ce continent, c'est sans concessions que tu as dévoilé ses aspects les plus lumineux comme les plus sombres. Merci Francine, de m'avoir fait passer un fort bon moment.