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Citations sur La Marche de Radetzky (115)

En face, ils soufflaient sans arrêt dans leurs harmonicas. Charles-Joseph distinguait nettement les mouvements des grosses mains hâlées qui faisaient glisser l'instrument sur leurs lèvres rouges et il apercevait, de temps en temps, un rapide éclair métallique. La grande mélancolie de cette musique filtrait à travers les fenêtres fermées, et l'image radieuse du pays natal, de la maison, de la femme et des enfants remplissait les ténèbres. Au pays, ils habitaient de petites chaumières. La nuit, ils fécondaient leurs femmes et le jour leurs champs. L'hiver, la neige blanche s'amoncelait autour de leurs huttes. L'été, le blé mûr déferlait autour de leurs hanches. Ils étaient des paysans, des paysans ! Et la race des Trotta n'avait pas vécu autrement ! Pas autrement !
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Charles-Joseph, baron von Trotta, ne s'intéressait pas aux chevaux. Il croyait sentir parfois en lui le sang de ses ancêtres et ses ancêtres n'avaient pas été cavaliers. La herse dans leurs mains calleuses, ils avaient cheminé pas à pas sur la glèbe. Ils avaient enfoncé le soc de la charrue dans les mottes gonflées de suc nourricier et, les genoux ployés, ils avaient suivi la pesante paire de boeufs de leur attelage. C'est de leur baguette de saule et non de la cravache et des éperons qu'ils excitaient leurs bêtes. Le bras haut levé, ils lançaient comme un éclair leur faux aiguisée et coupaient le blé béni qu'ils avaient eux-mêmes semé. Le père de son grand-père était encore un paysan... Sipolje, ainsi s'appelait leur village d'origine. Sipolje, le mot avait une vieille signification. Les Slovènes d'aujourd'hui ne la connaissaient plus guère. Mais Charles-Joseph croyait le connaître, ce village. Quand il pensait à son grand-père, dont le portrait s'embrumait sous le plafond du fumoir, il le voyait blotti entre des montagnes inconnues, sous l'or éclatant d'un soleil inconnu, avec ses maisons de pisé et de chaume. Un beau village, un bon village ! On aurait donné en échange sa carrière d'officier.
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Tous les deux jours, M. Slama, maréchal des logis-chef était de patrouille. Tous les jours, il venait à la préfecture avec un paquet de dossiers. Il ne rencontra jamais le fils du préfet. Tous les deux jours, à quatre heures de l'après-midi, Charles-Joseph se mettait en marche pour aller à la gendarmerie. Il la quittait à sept heures du soir. Le parfum qu'il rapportait de chez Mme Slama se mélangeait aux effluves des sèches soirées d'été et adhérait jour et nuit aux mains du jeune homme. A table, il veillait à ne pas s'approcher de son père plus qu'il n'était nécessaire.
_ Cela sent l'automne ici, dit un soir M. von Trotta.
Il généralisait. Mme Slama usait systématiquement de réséda.
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C'est alors seulement que ses vacances commençaient. Un quart d'heure encore et il entendait, venant de la caserne, le premier rataplan des tambours de la musique militaire qui se mettait en marche. Tous les dimanches, aux environ de midi, elle jouait devant les bureaux du préfet qui ne représentait rien moins que Sa Majesté l'Empereur dans la petite ville. Charles-Joseph se tenait caché derrière l'épaisse vigne vierge du balcon et il recevait le concert de musique militaire comme un hommage. Il se sentait un peu parent des Habsbourg dont son père représentait et défendait le pouvoir en ce lieu et pour lesquels lui-même s'en irait un jour à la guerre et à la mort. Il savait tous les noms des membres de la suprême maison. Il les aimait tous sincèrement d'un coeur puérilement dévoué mais, plus que tous les autres, il aimait l'Empereur qui était bon et grand, supérieur et juste, infiniment lointain et tout proche, particulièrement attaché aux officiers de son armée. Mourir pour lui aux accents d'une marche militaire était la plus belle des morts, mourir au son de la Marche de Radetzsky était la plus facile des morts. Les balles agiles sifflaient allègrement, en mesure, autour de la tête de Charles-Joseph, son sabre nu étincelait; le coeur et le cerveau tout remplis de la grâce entraînante de cette musique, il tombait sous la griserie des roulements de tambours et son sang s'égouttait en un mince filet rouge sur l'or miroitant des trompettes, le noir profond des caisses et l'argent triomphal des cymbales.
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Maintenant, la mort fulgurait à ses yeux comme un éclair noir, frappait son inoffensif plaisir, réduisait sa jeunesse en cendres et le précipitait au bord des profondeurs mystérieuses qui séparent les vivants des morts.
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Le commandant vécut sa vie, tel le porteur inconnu d’une gloire vite éteinte, telle l’ombre fugitive qu’un objet dissimulé projette dans la clarté du monde des vivants.
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François-Joseph [...] voyait le grand soleil des Habsbourg descendre, fracassé, dans l’infini où s’élaborent les mondes, se dissocier en plusieurs petits globes solaires qui avaient à éclairer, en tant qu’astres indépendants, des nations indépendantes… « Puisqu’il ne leur convient plus d’être gouvernés par moi », songeait le vieillard. Et, à part lui, il ajoutait : « Rien à y faire ! », car il était autrichien.
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Autrefois, avant la grand guerre, à l'époque où se produisirent les événements relatés dans ces pages, la vie ou la mort d'un homme n'était pas encore chose indifférente. Quand quelqu'un disparaissait du nombre des vivants, un autre ne prenait pas immédiatement sa place pour faire oublier le mort, il restait un vide où il manquait, et les témoins proches ou lointains de sa disparition restaient interdits chaque fois que leurs yeux rencontraient ce vide. Quand le feu avait détruit une maison dans une rue, le lieu du sinistre restait longtemps désert, car les maçons travaillaient lentement et avec soin. Quand ils voyaient la place déserte, les proches voisins, comme les passants fortuits, se rappelaient la forme et l'aspect de la maison disparue. Il en était ainsi en ce temps-là. Tout ce qui grandissait avait besoin de beaucoup de temps pour grandir, tout ce qui disparaissait avait besoin de beaucoup de temps pour se faire oublier.
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L'Empereur était un vieil homme. C'était le plus vieil empereur du monde. Autour de lui, la mort traçait des cercles, des cercles, elle fauchait, fauchait. Déjà le champ était entièrement vide et, seul, l'Empereur s'y dressait encore, telle une tige oubliée, attendant. Depuis de nombreuses années, le regard vague de ses prunelles claires et dures se perdait en un vague lointain (Deuxième partie - XV - page 261).
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Il était vieux et las, la mort l’attendait déjà, mais la vie ne le lâchait pas encore. Ainsi qu’une hôtesse impitoyable, elle le retenait à table parce que son convive n’avait pas encore goûté à tous les plats amers qu’elle lui avait préparés.
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