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Il y a eu ‘Les Buddenbrook', il y a eu ‘Les Thibaut', il y a eu ‘Le guépard', et maintenant viennent s'ajouter les von Trotta à la galerie de ces personnages somptueux qui marquent dans mon panthéon littéraire les grandes figures de la fin d'un monde.
Du geste héroïque du grand-père von Trotta qui sauva l'empereur à Solférino à la mort brutale et stupide de son petit-fils aux confins de l'empire en voie de délitement avec la première guerre mondiale, ‘La marche de Radetsky' sonne le déclin fatal de l'empire austro-hongrois, envisagé sous un angle différent de celui du Monde d'avant de Stefan Zweig, avec un autre avis aussi, mais le sentiment de déréliction est tout aussi puissant.
Je me suis littéralement laissée couler dans ce roman crépusculaire porté par une plume somptueuse évoquant en pointillisme les décors moribonds d'un monde déjà perdu. Je retiens aussi ces pages splendides sur la vieillesse, celle du quotidien du père fonctionnaire, de plus en plus marquée de mélancolie à mesure que grandit son inquiétude pour son fils soldat dont la vie non choisie se délite dans sa lointaine garnison désoeuvrée ; celle de l'empereur également, servi jusqu'à l'absurde par ces trois générations d'hommes qu'il aura anoblis pour leur malheur, et à qui le grand âge a fait perdre jusqu'au sens de sa puissance.
Magnifique !
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Depuis que je suis sur Babelio, j'avais envie de faire la critique de ‘La marche de Radetzky'. Mais ce roman en apparence simple se dérobait. C'est le roman de la fin d'un monde. de la fin de l'empire Austro-Hongrois. du dernier héritier du Saint Empire, de Frédéric Barberousse, des gibelins... Avec lui, disparut une forme d'idéale européen qui datait de Charlemagne. Une vision abandonnée, réduite à la portion congrue, mais qui était toujours là. Et qui, dans son existence, restait la garante d'un certain équilibre européen. le modèle de l'état-nation triomphant prit le relais, et faillit mener le monde à sa perte.

Il faut du temps pour discerner tout cela dans ce roman décrivant un monde à l'agonie. Dans l'histoire de ce caporal, simple fils d'un garde-chasse, devenu ‘héros de Solférino', baron et officier en sauvant la vie du jeune empereur. Puis dans celle de son fils, préfet pour un empereur de moins en moins jeune. Et enfin dans celle de son petit-fils, jeune officier pour un empereur presque sénile, trainant son ennuie dans les villes de garnisons entre alcool, jeux et traditions militaires devenues ineptes. La première guerre mondiale arrive comme une sorte de délivrance. Enfin, le monde va se secouer un peu. La poussière va un peu tomber. On pourra vivre enfin, respirer un air moins épais. Les couleurs seront un peu plus vives, et tout aura l'air un peu plus jeune.

Mais dans les premiers jours du conflit, le jeune officier meurt. Et voici que le roman, qui jusque-là était beau, mais de cette beauté un peu sommeillante des vieux meubles sous la poussière, prend soudain une tournure sublime. La mort du jeune Trotta est sublime. La vie du père ayant appris la mort de son fils est sublime. Tout s'achève avec la mort de François-Joseph. Orsenna est tombée. C'est la fin.

En Bucovine roumaine, la période austro-hongroise reste dans les mémoires comme un âge d'or. Dans les Balkans, ce fut l'une des plus longues périodes de paix.
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« J'aurais bien dit encore, déclara le maire que M. von Trotta ne pouvait pas survivre à l'Empereur. Ne croyez-vous pas, docteur ? Je ne sais pas, répondit Skowronnek. Je crois qu'ils ne pouvaient ni l'un ni l'autre survivre à l'Autriche ? »
Il est facile de présenter ce roman comme celui du déclin et de la chute de l'Empire austro-hongrois, par opposition au titre qui fait appel à la légèreté et la gaité des oeuvres de Johann Strauss. Mais c'est bien plus que cela et s'il est question de la longue et lente disparition du vieil empereur et de son empire, il me semble que c'est avec beaucoup de regrets. C'est aussi à regret qu'on finit, en refermant ce livre somptueux, par quitter les trois von Trotta pour lesquels on ne peut que partager la tendresse que leur porte l'auteur. On peut les trouver froids, rigides, pusillanimes. Mais comment ne pas admirer la modestie et la droiture du grand-père, le « héros de Solférino »? Comment ne pas saluer le moment où le père sort de son confort, boit toute sa honte et consent à s'humilier pour s'en aller quémander « grâce pour son fils ». Quant à ce dernier, le petit-fils tout alcoolique, velléitaire et peu doué pour le métier des armes qu'il soit, sa fin l'absout de ses faiblesses en le rapprochant de son grand-père, lui qui « depuis qu'il avait rejoint le régiment, se sentait le fils de son grand-père et non le fils de son père », lui qui, tout jeune cadet, pensait alors que « mourir au son de la Marche de Radetzky était la plus facile des morts. »
Qui est véritablement le héros ? le grand-père qui sauve la vie de l'Empereur parce que celui-ci se trouve fortuitement à ses côtés au moment où il commet une imprudence, ou son petit-fils, isolé au milieu de nulle part et perdu dans la débâcle du front russe, qui se dévoue pour aller, au péril de sa vie, chercher de l'eau pour ses compagnons sous le feu des cosaques ?
Magistral, superbement écrit, le roman parle d'un temps où les fils obéissaient à leurs pères, où les pères faisaient ce qu'il faut pour tirer d'affaire leurs fils, où l'honneur et la parole donnée avaient un prix. Il évoque avec justesse et beaucoup de tendresse la vieillesse, la mélancolie, ainsi que les longues heures inutiles et désoeuvrées des militaires en garnison qui les conduisent à des loisirs aussi ruineux pour leur santé que pour leurs finances et leur font oublier de se préparer à faire la guerre. Il traite du respect et de l'affection entre le maître et son serviteur (le sous-lieutenant et son ordonnance qui lui offre toutes ses économies, le préfet qui ne se remet pas de la mort de son majordome), entre père et fils, même si elle se dissimule derrière la pudeur et les convenances.
D'une qualité saisissante dès les premières lignes (« Il avait été choisi par le destin pour accomplir une prouesse peu commune. Mais lui-même devait faire en sorte que les temps futurs en perdissent la mémoire. ») et constante tout du long, avec des passages qui confinent au sublime (les dix pages consacrées à l'empereur), ce chef d'oeuvre vous fait tourner ses pages avec l'allégresse de ceux qui défilaient au son de la Marche de Radetzky. Il y a également des pages, qui, cent ans après leur écriture, semblent plus que jamais d'actualité ; comme celles qui concernent les nationalités artificiellement agglomérées dans un empire qui entend les dominer sans réussir à les fédérer (magnifique illustration lors de l'épisode de la fête du régiment le jour de l'assassinat du prince héritier ou le sombre discours du comte Chojnicki « l'Empereur était un vieillard étourdi, le gouvernement une bande de crétins, le Reichsrat une assemblée d'imbéciles naïfs et pathétiques, il disait l'administration vénale, lâche et paresseuse » ). On entend bien que les Hongrois n'ont pas envie de mourir pour les Autrichiens, pas plus que les Slovènes pour les Ukrainiens ou les Roumains pour les Tchèques. Mais soudain, on s'interroge. Cet empire en décomposition ne ressemble-t-il pas terriblement à cet autre empire que se veut être aujourd'hui l'Union Européenne, construction utopique et idéologique dont les fondations s'enfoncent chaque jour un peu plus dans le sable en voulant effacer des nations qui ne le veulent pas ? Quelqu'un a-t-il réveillé le président de la Commission européenne pour l'informer de la disparition de François-Joseph ?
Un moment de lecture formidable pendant lequel l'émotion m'a à plusieurs reprises submergé et l'admiration pour ce roman, truffé de phrases, de paragraphes et de dialogues aussi brillants que les derniers feux de l'empire des Habsbourg, n'a jamais cessé.
Il donne envie de se replonger dans les grandes oeuvres littéraires et musicales de la Mitteleuropa et de se glisser dans les pas du préfet von Trotta lorsqu'il « gravit le chemin droit qui mène au château de Schönbrunn. Les oiseaux du matin exultaient au-dessus de sa tête. le parfum du lilas et du seringa l'étourdissait. Les blanches chandelles des marronniers laissaient tomber ça et là un petit pétale sur son épaule. Lentement, il monta les marches plates et rayonnantes, déjà blanches de soleil matinal. le factionnaire salua militairement, le préfet von Trotta entra dans le château… Il attendait dans la grande pièce précédant le cabinet de travail de Sa Majesté, dont les six grandes fenêtres arquées, aux rideaux encore tirés, comme il est d'usage le matin, mais déjà ouvertes, laissaient pénétrer toute la richesse de l'été à son début, toutes les suaves senteurs et toutes les folles voix des oiseaux de Schönbrunn. Par les fenêtres ouvertes, on entendit sonner de lointaines horloges. Alors soudainement, la porte s'ouvrit à deux battants…»
Alors, vous je ne sais pas, mais moi, après la lecture enthousiasmante de ce chef d'oeuvre, je me vois très bien monter prochainement les marches de Schönbrunn en sifflotant les premières mesures de la Marche de Radetzky.
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« En Charles-Joseph se réveillaient les vieux rêves puérils et héroïques, qui, aux vacances, sur le balcon paternel, l'envahissaient et le comblaient de bonheur, aux accents de la Marche de Radetzky. Le vieil empire défilait sous ses yeux, dans toute sa puissante majesté. Le sous-lieutenant pensait à son grand-père, le héros de Solferino, à son père, dont l'inébranlable patriotisme était comparable à un petit mais solide rocher parmi les hautes montagnes de l'omnipotence habsbourgeoise. »

Les Trotta doivent tout à l'empereur d'Autriche, François-Joseph : un coup d'éclat du grand-père à la bataille de Solferino aura pour conséquence l'anoblissement de cette famille d'origine paysanne. le fils du héros sera préfet et le petit-fils, Charles-Joseph, sous-lieutenant dans la cavalerie puis dans l'infanterie, aura un destin certes moins brillant, mais tout aussi contraint par cette loyauté attendue et voulue, dont il ne s'échappera pas, malgré ses désirs.

Toute la société austro-hongroise du règne finissant de François-Joseph est terriblement figée dans un passé qui se veut glorieux. Mais même les empires ne durent pas. Et c'est bien à un effondrement attendu qu'il nous est donné d'assister à la lecture de ce roman profond et pourtant accessible.

L'écriture de Joseph Roth m'a semblé exemplaire pour évoquer ces personnages corsetés et malheureux. Autant dire qu'il n'y sera pas beaucoup question de sentiments et encore moins d'amour. Les personnages féminins y sont rares, mais les deux plus importants m'ont marqué par leur liberté de vie. le ton hésite entre nostalgie d'une époque révolue et description foisonnante d'une mécanique mortifère : sens des convenances et de l'honneur avant tout, esprit de caste poussé à l'extrême, antisémitisme des élites. Et pourtant l'auteur donne le sentiment de regretter cette époque.

Ce roman je pense le relire dans quelques années : il est du genre dont ont ne découvre jamais toutes les beautés à la première lecture.
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La Marche de Radetzky est indéniablement un roman historique, témoignage de grande valeur de la fin de l'empire austro-hongrois, de son apogée en 1859 à la décadence, accélérée par la la 1ère Guerre mondiale.

Cette marche, à contre-pied de celle de Johan Strauss pleine d'entrain, débute avec la défaite de Solferino, et la "création" d'un héros pour les livres d'enfants... toute la suite de l'histoire décline ce même thème : au-delà de l'apparente réussite d'une famille entrant dans la vie aristocratique et superficielle des soutiens au régime, l'illusion de cette société de pacotille se fend, et les personnages se retrouvent face à un abîme, où tout idéal disparaît, avant d'y sombrer effectivement, avec ce régime, dans la Guerre.

Considérée comme "décadente" par les nazis, l'écriture de J. Roth m'a semblé au contraire assez "classique". J'y ai trouvé des longueurs, comme dans les romans-fleuves de Flaubert, Proust ou Balzac. Mais par son thème et le traitement psychologique des personnages, je le situerais autant stylistiquement que géographiquement -ce qui n'est sans doute pas un hasard- entre le Désert des Tartares du vénète D. Buzzati et la veine slave de Dostoïevski. Enfin, le déracinement de J. Roth est omniprésent dans son roman, ce qui le rapproche rapproche de Kafka, autre auteur de langue allemande mais à l'âme slave, juive, multiculturelle par obligation, caractéristique des écrivains de cette Europe de l'Est "explosée" par L Histoire en ce début de XXème siècle.

Du rapport avec D. Buzzati et Kafka on retiendra l'amertume et le cynisme qui transparaissent dans "'l'observation" des personnages. Passifs, prisonniers de leurs rôles sociaux, ceux-ci paraissent en effet plus observés par le journaliste J. Roth, que réellement mis en scène. Ses personnages, sans se l'avouer, s'ennuient, désespèrent, luttent en vain pour exister. L'affection de l'auteur pour sa patrie multiculturelle et ses personnages inspirés de son vécu est sensible, mais il met cependant une distance, comme pour se protéger de sombrer lui aussi dans l'inertie et la déliquescence. L'armée et la bureaucratie semblent les seuls remparts, bien fragiles, d'un empire finissant, autour du culte d'un Empereur omniprésent, mais en réalité simple icône désincarnée.

A certains égards, on peut aussi rapprocher J. Roth de Dostoïevski, par son questionnement sur l'identité nationale, et par le ton : derrière la description aseptisée les personnages bouillonnent à l'intérieur, dans leur inconscient profond, leurs gènes. Les personnages de J. Roth, "enrôlés" dans l'opérette autro-hongroise mais puisant leurs racines juives et slaves dans les campagnes de Galicie sont, au même titre que leurs cousins russes, cet "homme de trop" pour l'Europe, dont parlait Tourgueniev, déchiré entre l'orient et l'occident.

Malgré ces richesses, je n'ai retrouvé chez J. Roth ni la force De Balzac ou Dostoïevski, ni le surréalisme de Buzzatti, ni l'absurde métallique de Kafka, qui ont fait de ces lectures un plaisir à 4 ou 5 étoiles. La lecture de ce roman m'a intéressé, mais pas passionné ; comme je l'ai lu dans un article de M-F Demet, J. Roth reste donc pour moi un "auteur marginal", enrichissant mais pas incontournable. Je remercie néanmoins les amis babeliotes qui me l'ont fait connaître.
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Qui n'a pas déjà entendu la marche de Radetzky si ce n'est au concert du Nouvel An donné par l'Orchestre Philarmonique de Vienne ? Tiens … Je me suis même renseigné (cf. Wikipedia) : « Depuis 1958, le concert se termine généralement par trois bis après le programme principal. le premier est traditionnellement une polka rapide. le deuxième est la pièce de Johann Strauss II : la valse du Beau Danube bleu, dont l'introduction est interrompue par les applaudissements du public. Les musiciens souhaitent alors collectivement au public une heureuse nouvelle année, puis jouent le morceau suivi par la Marche de Radetzky de Johann Strauss I. »
Le roman de Roth date lui de 1932 mais comme pour ces concerts, il symbolise l'Empire austro-hongrois, sa grandeur mais aussi son déclin car cette marche a été composé en réalité en l'honneur de l'un des derniers généraux victorieux de l'Empire.
Dans ce roman, on suit les Trotta, issus de paysans slovènes dont le destin va être bouleversé par l'exploit héroïque à la bataille de Solferino ou un simple lieutenant sauve la vie à l'empereur François-Joseph. Les Trotta se verront alors adjoindre un von devant leur nom et intégreront une nouvelle sphère en obtenant le titre de baron. Cette faveur impériale qui se devait d'ouvrir de nouveaux horizons se révélera au final être un fardeau sous lequel le petit fils du héros, sous-lieutenant dans l'armée et obnubilé par l'image tutélaire du grand-père, ploiera, perdra son honneur et au final la vie.
Requiem d'une époque, Roth dépeint à travers cette épopée familiale tragique une société en déliquescence, battue avant d'avoir combattue, attendant simplement le signal pour enfin expirer si possible dans de beaux draps fins. Par certains points, on retrouve les plaisirs rencontrés à la lecture de la montagne Magique de Thomas Mann.
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A la veille de la première guerre mondiale, le puissant empire austro-hongrois vit ses dernières années. Les signes avant-coureurs sont là pour qui est assez lucide pour les voir : la montée des nationalismes dans la mosaïque de peuples et d'ethnies qui composent l'empire ; les premières grèves et révoltes ouvrières ; une armée, autrefois prestigieuse, minée par l'oisiveté, le jeu et l'alcool ; les escrocs de tout poil qui, flairant l'odeur de la charogne, s'abattent comme des rapaces sur un pays en voie de décomposition.

Le jeune sous-lieutenant Charles-Joseph Trotta von Sipoljie sert dans l'armée impériale. Son grand-père, modeste sous-lieutenant, a sauvé la vie de l'empereur sur le champ de bataille de Solferino en 1859. François-Joseph Ier anoblit ce descendant de paysans slovènes et lui offre sa protection. Charles-Joseph est élevé dans le culte de son grand-père. Son père, préfet en Moravie, a choisi pour lui la carrière militaire, afin de servir au mieux la patrie et « Sa Majesté apostolique, impériale et royale ». C'est l'histoire de cette famille sur trois générations, en particulier celle de Charles-Joseph et de son père, que narre avec brio Joseph Roth. Si les deux hommes appartiennent à ces piliers de la monarchie que sont l'administration et l'armée, et se vouent corps et âme à la haute idée qu'ils se font de l'Autriche-Hongrie, le père refuse d'admettre le déclin qui se profile et se raccroche à son devoir, alors que le fils, qui rêve de se sacrifier pour son empereur (comme l'a fait son grand-père), finit par douter de son pays et de lui-même. L'époque n'est plus à l'héroïsme, Charles-Joseph est né trop tard.

Joseph Roth nous offre en outre une émouvante évocation de rapports père-fils (les mères sont absentes du récit, mortes prématurément), faits ici de respect, de crainte, de pudeur et de tendresse contenue. On compare souvent la manière de Roth à celle d'un Dostoïevski. Il y a en effet quelque chose de très russe dans cette façon de décortiquer les tourments de l'âme, et de les révéler par les gestes, les actes, les attitudes, les expressions des personnages plus que par leurs paroles. L'âme slave imprègne ce roman dont l'action se déroule en majorité en Moravie et en Galicie, dans ces confins de l'empire qui commencent à s'agiter sous la pression d'un désir grandissant d'autonomie.

Les nationalismes, un empereur vieillissant et la première guerre mondiale auront eu raison de l'Autriche-Hongrie. le livre s'achève en 1916, à la mort de François-Joseph. Avec lui meurt l'empire et le rêve de grandeur qu'il portait avec lui. Dans l'oeuvre de Joseph Roth, Juif de langue allemande né en Ukraine, ayant vécu à Vienne, à Berlin, puis à Paris de 1933 à sa mort, s'exprime une grande nostalgie de l'Autriche-Hongrie, qu'on retrouve aussi chez ses compatriotes écrivains de la mitteleuropa Stefan Zweig et Robert Musil. Ils admiraient en elle cette agrégation de cultures et de religions diverses qui préfigurait ce qu'ils rêvaient pour l'Europe, et qui les faisait se sentir citoyens du monde. Mélancolique au souvenir de cette période, Joseph Roth ne l'idéalisa pas pour autant, acceptant de regarder en face les causes du malheur. Mais cela ne diminua pas pour autant sa peine, qu'il tenta peut-être d'apaiser en écrivant « La marche de Radetzky », ce chef-d'oeuvre en forme d'adieu.

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J'ai lu ce roman dans le même cadre que le Guépard, pour le cours de l'agrèg sur les romans de la fin du monde... Et donc, malgré son statut de chef d'oeuvre de Joseph Roth, et toutes ses qualités indéniables d'écriture, il a pour moi souffert de la comparaison avec le chef d'oeuvre de Lampedusa. Les deux oeuvres partagent ce thème crépusculaire de l'Histoire, passant d'une époque à une autre, phénomène terrible dont sont victimes les personnages, habitués à servir un régime qui s'efface, ce qu'ils refusent d'accepter... Ici, il s'agit de la mort de l'empire austro-hongrois et de l'avènement de la première guerre mondiale. En attendant, on suit la famille Trotta sur trois générations, et vu la vie très austère, militaire, qu'ils mènent, on peine (mais cela finit par arriver) à ressentir quelque sympathie pour eux.

Je pense surtout à François von Trotta, comble du fonctionnaire austère, froid, enfermé dans sa routine, dans le protocole... Heureusement, les choses changent suite à un évènement venant bouleverser l'armure de son coeur, et il nous apparaît alors beaucoup plus sympathique, émouvant et humain. Mais jusqu'à lors, tout résidait dans le non-dit, dans des proportions gênantes, voire irritantes. Son fils, par contre, soldat médiocre, qui sombre dans une déchéance absolument pitoyable, ne prenant jamais en main sa destinée à temps, n'atteint notre affect que lors de son adolescence et sa liaison avec Mme Slama (superbes passages et descriptions rurales, et à ce propos, l'apothéose à ce sujet vient lors de toute la présentation de la frontière austro-russe en début de deuxième partie, où l'on respire littéralement cette nature marécageuse qui vit, où le temps s'arrête!) ainsi qu'à la toute fin.

L'image du Père, figure d'autorité impressionnante et effrayante, qui pousse chaque fils dans de mauvaises directions, engendre également le destin funeste de la famille. Les moments où François ouvre les yeux à ce propos sont d'autant plus touchants. La Mort est l'autre grande instance récurrente dans le roman, effroi voulu initiatique pour chaque membre de la famille (surtout Charles-Joseph qui voit plus d'un cadavre), mais c'est d'autant plus frustrant que Charles ne se décide jamais à agir, sans doute parce que le destin des Trotta était effectivement lié à l'empereur, la lignée devait logiquement s'éteindre avec l'empire comme il est dit à la fin... La Marche de Radetzky, qui donne son titre à l'oeuvre, rappelle à chaque fois un passé révolu, idéalisé, d'insouciance militaire, de dévotion aveugle à l'empereur sans se poser de questions, sans voir l'horreur réelle de la guerre qui doit arriver et la chute de l'édifice historique.

Un beau roman donc, mais qui fait selon moi pâle figure face au Guépard, et qui est parasité par tout le fatras détaillé du monde militaire dans lequel nous sommes plongés... Il n'est certes pas mis en valeur, mais on l'ingurgite à dose assez conséquente. Je dirais également que le roman aurait gagné à être un peu élagué, même si souvent, les actions s'enchaînent assez rapidement.
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Ce livre est magnifique : le thème en est la chute de l'Empire austro-hongrois observée à travers les vicissitudes d'une famille fictive anoblie sous le nom de von Trotta : le premier d'entre eux à n'être pas paysan n'a fait rien de moins que sauver la vie de l'empereur lors de la bataille de Solférino et s'est trouvé propulsé, presque à son corps défendant, dans les manuels scolaires.

Ce pan d'histoire, réel quant à lui, a façonné quantité d'évènements qui ont marqué notre inconscient collectif de diverses façons, même si nous ne nous en rendons pas compte, et même si nous ne sommes ni autrichiens, ni hongrois : on voit comment la défaite des armées de François-Joseph a symboliquement amorcé le déclin de son Empire dans les mentalités; on rencontre des tirailleurs algériens engagés du côté français dans cette bataille catastrophique ( 3300 soldats répartis en trois bataillons ); on croise Henri Dunant, le fondateur de la Croix-rouge; on assiste à la montée des nationalismes de tous les peuples bridés au sein de cet immense ensemble disparate; on assiste aux premières grèves ouvrières, durement réprimées par les politiques et les industriels; on comprend comment cet enchaînement a exercé sur l' immense Etat une force centrifuge telle qu'il n'y a pas résisté et que les conditions de la première guerre mondiale se sont trouvées réunies.

Ce livre m'a beaucoup appris. Ses protagonistes, qu'ils soient des personnages principaux ou secondaires, ont une grande densité humaine, ce qui est une qualité appréciable car elle permet de mieux saisir ce tourbillon historique en nous interessant à leur sort.

L'auteur a réussi là une grande épopée dont tous les protagonistes sont sortis perdants mais qui a contribué à créer l'Europe actuelle.

Un moment de lecture formidable pendant lequel l'émotion m'a à plusieurs reprises submergée.
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A quel moment de la lecture sait-on que l'on a en main un chef-d'oeuvre ? Quand insensiblement on ralentit sa lecture, quand on se surprend à relire une phrase, un paragraphe, juste pour le plaisir, quand on se met à lire à voix haute un passage pour faire résonner les mots.
C'est ce que j'ai ressenti à la lecture de Joseph Roth.
J'avais ce livre dans ma ligne de mire depuis longtemps mais le volume emprunté en bibliothèque était de tellement mauvaise qualité, frappe serrée, typographie baveuse, encollage qui ne permet pas d'ouvrir normalement le livre, bref j'avais renoncé.
C'est donc avec plaisir que j'ai ouvert ce volume clair, bien imprimé et qui va évidement resté dans ma bibliothèque.

Une fresque magnifique, qui a la beauté des dernières fusées des grands feux d'artifice, on sait que ce sont les plus belles mais aussi que ce sont les dernières.
Un déroulé sans faille, depuis le geste du Héros de Solférino, le brave soldat Trotta pousse l'empereur François-Joseph pour lui éviter un tir ennemi, blessé son fait d'armes va changer sa vie et celle de sa famille à tout jamais. Il monte en grade et est anobli en von Trotta, il reçoit une petite fortune.
C'est un sage sujet de l'Empire, un paysan slovène de Sipolje qui devient par la grâce de son geste un héros de livre d'histoire.
Mais il a un double, c'est l'Empereur lui-même qui sera son jumeau tout au long du récit, récit qui va de l'épanouissement de l'Empire à sa chute, de la montée vers la gloire de la famille Trotta à son délitement.

Le récit est magistralement conduit. On suit les conséquences du mythe du sauveur sur les relations dans la famille von Trotta, un fracture s'est faite entre père et fils « Son père était séparé de lui par une montagne de grades militaires »
Joseph Roth déroule trois générations avec en réminiscence permanente le geste mythique parce que « quand on était un Trotta, on sauvait sans interruption la vie de l'Empereur »
Le fils sera préfet, fidèle à François-Joseph
« Tous les concerts en plein air – ils avaient lieu sous les fenêtres de M. le préfet – commençaient par la Marche de Radetzky. »
Le petit-fils Charles-Joseph von Trotta reprend le métier des armes sans passion, sans bravoure, empêtré dans des histoires de femmes, de jeu et de duels. On est loin du héros de Solférino.
Le sous titre de ce roman pourrait être à la manière de Gibbons : grandeur et décadence de l'Empire Austro-hongrois.
Il se déroule aux confins de l'Empire, en Galicie, en Moravie où l'on assiste au réveil des nationalismes et à la fin du « grand soleil des Habsbourg » qui faisait tenir ensemble des peuples de langue, de culture, de religion différentes.

Comme dans « Souvenirs d'un européen » de son ami Stephan Zweig, Joseph Roth exprime sa nostalgie de cette Mitteleuropa à jamais disparue.
Un roman magnifique avec des morceaux inoubliables, un duel, la mort d'un vieux serviteur, la rencontre avec l'Empereur ou cette Marche de Radetzky qui donne son titre à l'oeuvre se fait entendre chaque dimanche sous les fenêtres du préfet, puis revient régulièrement par la suite, comme l'écho lointain d'un passé disparu, comme le souvenir d'une gloire antérieure à jamais révolue.

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