Ce qui caractérise l’Occident, constate Morin [Edgar], c’est d’abord une tendance instinctive à séparer les réalités : l’âme et le corps, l’homme et le monde, l’intelligence et la sensibilité, la science et la spiritualité, la sphère personnelle et l’espace politique. Ces séparations sont parfois utiles, mais elles peuvent aboutir à des divorces regrettables. Le monde occidental a de plus en plus conscience du caractère nocif des oppositions que j’ai indiquées. Il pense qu’on a trop coupé les choses. Il réclame une « approche holistique ». Pour la mettre en œuvre, il se tourne tout naturellement vers l’Orient, réputé unir ce que l’Occident sépare.
Deuxième caractéristique de l’Occident : il connaît une espèce de frénésie de l’action, privilégie le faire au détriment de l’être, de la « présence », selon le terme employé par Christiane Singer. Face à l’Occident menacé d’activisme, l’Orient apparaît comme le continent méditatif. Or, on ressent le besoin de réconcilier les deux dimensions.
L’intérêt pour des religions autres que la sienne apparaît à beaucoup comme l’un des avatars du syncrétisme, lui-même considéré comme un des vices religieux modernes. Personnellement, je n’analyse pas les choses ainsi. Je pense que toute religion a ses forces et ses faiblesses, des points sur lesquels elle insiste avec beaucoup de pertinence et d’autres, qu’elle laisse plus ou moins dans l’ombre. Je crois à une certaine complémentarité de l’expérience spirituelle, une notion que, selon moi, on va voir se développer au cours des prochaines décennies.(…) Je pense qu’on va vers un monde de métissage et d’influences réciproques entre les traditions spirituelles. Quand je discute avec des amis bouddhistes, je constate combien un certain sens chrétien de l’engagement leur parle. Mais j’observe aussi, à l’inverse, que le langage bouddhiste sur le « lâcher-prise » et la nécessité de pratiquer la méditation semble très bien convenir à un certain nombre de chrétiens.
J’en découvre tous les jours un peu plus sur Dieu. Cela m’embêterait de faire trop tôt ma petite synthèse et mettre sur ma porte : « Dépositaire exclusif des secrets de Dieu. Visite de 5 à 7 heures… » Ce n’est pas sérieux. Je veux rester en recherche toute ma vie. C’est pour cela que j’aime le dialogue inter-religieux. « Raconte-moi, lama Denys, dis-moi ce que tu penses de l’ultime réalité. Raconte-moi, Swami Ramdas, qui est l’absolu pour toi ? Raconte-moi, Bentounès, qui est Dieu pour l’islam ? » C’est fascinant, non ? Dieu est au-delà de tous ces chemins et nous aurons tous de sacrées surprises ! Vous ne croyez pas ?
Face à cet Occident en procès, quels sont les atouts de l’Orient ? À une pensée de séparation et d’exclusion, il oppose la complémentarité des contraires. Plutôt que de dominer la nature, il préfère vivre en symbiose avec elle. Au culte de l’individu, il substitue le décentrement par rapport à l’ego. Face au réductionnisme de type positiviste, il nourrit le sentiment que la réalité est plus vaste, plus complexe qu’on ne veut bien l’affirmer.
Stan Rougier. Conférence sur les Béatitudes.