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La vie du jeune Jean-Jacques, bien qu'originale, n'a pas la saveur d'une épopée.
Si la narration de ses aventures ne m'a pas captivée, je me suis toutefois plongée avec délectation dans ses pensées, sa perception sensorielle du monde, son regard sur la société, et son rapport intime avec lui-même et les autres. Je me suis sentie privilégiée d'entrer ainsi dans l'intimité de ce monstre sacré. J'ai vu l'humain derrière le grand penseur, et la figure est attachante.
Jean-Jacques apparaît comme sensible, aimant, peu adapté aux conventions et aux codes sociaux. Son intelligence toute particulière, son émotivité, sa timidité le rendent inapte dans une société où prédomine l'art de la conversation dans les salons.
Les symptômes de la maladie qui le rongeât toute sa vie apparaissent dès sa jeunesse : il alterne des phases maniaques d'hyperactivité, de sentiment de toute puissance et de mythomanie, avec des phases plus sombres de nostalgie, d'apathie et de profond abattement. Comment oublier cette scène où le jeune Jean-Jacques, qui ne sait rien à la musique, se prétend grand compositeur, allant jusqu'à monter un opéra pour se produire sur scène : ce fut bien sûr un fiasco complet. Jean-Jacques est un écorché vif, un génie tourmenté à la sensibilité exacerbée, capable du meilleur comme du pire.
Rousseau est intransigeant avec lui-même et n'hésite pas à rire de lui-même, racontant ses ridicules avec humour : il ne cesse de se présenter comme timide, gauche et stupide en société et dans son rapport à l'autre. Jean-Jacques explique sans pudeur son difficile labeur, ses problèmes de concentration, sa pensée arborescente, sa mémoire défaillante, et son étanchéité à certains sujets qu'il n'arrive pas à appréhender comme il le voudrait malgré son acharnement (le latin, les échecs, la musique dans une moindre mesure). Il ne cherche pas à se présenter comme un génie érudit et livre toute ses contradictions et difficultés via l'autodérision et l'autocritique.
Rousseau déteste travailler. S'avilir huit heures par jour pour exécuter des besognes grossières alors qu'il pourrait se nourrir de musique, de botanique, de lectures, de dessins et tant autres sujets qui le passionnent ? Rousseau est d'ailleurs un autodidacte qui a tout appris par lui-même, et c'est d'ailleurs selon lui la seule réelle source de savoir. Je partage en tout cas sa révolte face à l'ennui et la perte de temps d'un travail certes rémunérateur, mais qui n'affine pas nos goûts personnels. Il a d'ailleurs lamentablement échoué à toutes ses tentatives d'entrer dans le moule : il n'est pas parvenu à embrasser la profession de juriste, lui qui devint le grand penseur des lumières que l'on connaît, développant des théories complexes sur le fondement du droit (le contrat social notamment).
La voie classique n'a ainsi pas été le choix de Rousseau, qui a forcé son destin à l'âge de 14 ans. Alors qu'il était en apprentissage chez un graveur, il fuit la violence de son maître en quittant brutalement le domicile familial de Genève. S'ensuit alors un long vagabondage exaltant dans les alpes françaises et italiennes, au cours duquel il se convertira au catholicisme pour bénéficier de la protection d'une paroisse.
Rousseau revient d'ailleurs par deux fois sur ce choix qui fut crucial quant à sa destinée. Lorsqu'il s'est trouvé à la croisée des chemins, il choisit de fuguer vers l'inconnu, plutôt que de s'établir comme commerçant à Genève, et devenir ainsi un bon bourgeois. Selon ses propres termes, il aurait pu aspirer à une vie classique, insipide mais douce et tranquille, qui l'aurait sans doute préservé de beaucoup de peines : « Cet état, assez lucratif pour donner une subsistance aisée, et pas assez pour mener à la fortune, eût borné mon ambition pour le reste de mes jours, et, me laissant un loisir honnête pour cultiver des goûts modérés, il m'eût contenu dans ma sphère sans m'offrir aucun moyen d'en sortir (...) j'aurais aimé mon état, je l'aurais honoré peut-être, et après avoir passé une vie obscure et simple, mais égale et douce, je serais mort paisiblement dans le sein des miens. Bientôt oublié, sans doute, j'aurais été regretté du moins aussi longtemps qu'on se serait souvenu de moi ».
J'admire son choix, cette pulsion de vie, et son voyage initiatique à travers la France, la Suisse et l'Italie. L'époque permettait aux aventuriers de déambuler ainsi en se mettant sous la protection de l'église, d'une maîtresse, ou plus généralement d'un personnage quelconque qui se plaisait à prendre autrui sous son aile pour le seul plaisir d'avoir sa compagnie.
Son voyage s'est arrêté avec la rencontre de Madame de Warens, une noble entretenue par le duc de Savoie moyennant services rendus. Elle décide de prendre sous son aile ce jeune vagabond qu'elle éduque et qu'elle finance. Ainsi lui-même entretenu, Jean-Jacques peut vivre librement et vaquer à ses occupations en étudiant, se promenant, jardinant. Il décrit cette période de sa vie avec nostalgie, celle qui se rapproche selon lui le plus de l'état de nature : une vie provinciale à Chambéry, en marge de la vie mondaine. Une vie tranquille dans un ménage à trois avec Madame de Warens, qu'il appelle « maman », et le secrétaire de cette dernière qui est également son amant. Cette relation entre « maman » et Jean-Jacques est d'ailleurs troublante et dérangeante, du propre aveu de ce dernier. A l'âge de 20 ans, il vécut comme un inceste la volonté de sa « maman » d'en faire son amant dans une sorte de rite initiatique.
En tout état de cause bien, Rousseau a bien usé de son temps et de sa liberté : il a commencé par étudier en quantité, à se constituer un magasin de pensées pour forger son esprit, et lorsqu'il s'est senti prêt, armé d'une capacité de réflexion et de différentes théories et doctrines qu'il pouvait comparer et éprouver, il a constitué sa propre pensée. Il s'est torturé en se faisant des programmes d'études exigeants, relisant des livres en permanence pour ne pas oublier. Je me suis reconnue dans cette démarche consistant à étudier différentes idées et théories pour les comparer et les déconstruire. J'éprouve les mêmes difficultés que Rousseau, me déconcentrant, ne sachant par où commencer, oubliant, retournant en arrière, m'éparpillant entre plusieurs études lorsque l'une fait référence à une autre.
La construction d'une pensée se fait nécessairement dans la souffrance pour celui qui se plonge dans cette quête : c'est le fardeau de toute personne qui enlève ses oeillères pour sortir de la torpeur de son quotidien et déconstruire le système : s'interroger sans concession sur soi-même, ses choix, sa vision du monde, ses névroses, à l'instar du Rousseau qui s'est plié à l'exercice de toute son âme. Il décrit très bien la torture que cela représente pour l'esprit : la recherche d'une vérité perturbe notre sérénité, les idées absorbées fourmillent dans l'esprit. Il est tellement plus facile de se laisser anesthésier par le tourbillon de la vie moderne : j'envie parfois ceux qui poursuivent leur quotidien avec sérénité et confiance, sans jamais rien déconstruire, sans faire le procès permanent de leurs choix.
Tout au long des confessions de Rousseau, j'ai été subjuguée par la complexité du personnage, par ce mélange de génie et de folie. Peu importe les procès intentés contre lui concernant son caractère difficile ou sa vie de gigolo entretenu : j'admire la hargne et l'intensité de sa jeunesse qui le conduisent à vouloir tout tester sur le chemin de la connaissance, à tout ressentir puissamment, que cela soit du désespoir ou de l'exaltation. Rousseau vit des émotions violentes, pour le pire comme le meilleur : il accepte de les ressentir et de s'ouvrir aux sensations. Cette intensité, bien que nécessairement douloureuse, me semble de loin préférable au consensualisme assommant et à l'apathie et de notre société moderne anesthésiée. Tout affairés à nos carrières, l'argent, et la recherche de reconnaissance pour gonfler notre orgueil, nous en oublions « notre état de nature » fondamental décrit par les philosophes humanistes. L'homme dans son état de nature est libre, il jouit de la vie en ressentant des émotions plutôt que de s'asservir sous le joug d'autrui comme un esclave qui ne ressent plus rien.
Je partage les rêves et les convictions profondes de Rousseau : son dégoût du code social, son rêve d'une société plus spontanée, où le paraître aurait moins de place, prioriser la nature profonde de l'homme et ses valeurs et qualités intrinsèques. Jean-Jacques préfère au théâtre social l'authenticité de la nature : en mettant tous ses sens en éveil, il arrive à ne plus penser, à être dans la jouissance des éléments qui l'entourent : le chant des oiseaux, l'éclat de la lumière de l'eau, la montagne et les gorges qu'il aime admirer pour mieux s'effrayer et ressentir la folie du vertige.
Terminons par la célèbre théorie du philosophe que nous retrouvons en filigrane à travers ses réflexions: l'homme est bon par nature, il est originellement innocent, avec un coeur pur, c'est son expérience et les frustrations corrélatives qui le corrompent.
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Que dire ? Je suis tenté de juger l'homme plus que le livre.
Pour ce qui est du livre, il est passionnant, très bien écrit quand on pense à la distance qui nous sépare du XVIIIe siècle, moderne, surprenant.
Les relations amoureuses et les fantasmes du jeune Jean-Jacques ont dû choquer ses contemporains. Tous ces amours hors mariage, ces relations à trois, quelle santé !
Découvrir également les nombreux métiers et sa passion pour la composition musicale furent une réelle surprise pour moi.
Le livre s'achève sur une persécution de plus en plus marquée, était-elle à ce point réelle ou Rousseau s'érige-t-il en victime? Il faudrait se documenter plus, il n'en reste pas moins que cette vie mérite d'être lue, que cet homme ne laisse pas indifférent et qu'il a réussi son pari d'être sans aucun filtre, proche de la vérité crue.
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Comme pour chaque livre, la seule question qui subsite une fois la lecture achevée est de savoir s'il m'a suffisamment plu, interpellé, questionné ou émerveillé pour que je souhaite me replonger un jour dedans et parcourir une nouvelle fois ses pages. La réponse est non, pourquoi s'infliger cela si ce n'est pour l'importance historique ce cette première autobiographie "People"? Eh non, toute autobiographie n'est pas intéressante même si la personne historique derrière l'est.
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Publié à titre posthume, en 1782 pour les livres I à VI et en 1789 pour les six dernières livres, le livre de Rousseau a connu néanmoins de son vivant quelques lectures, qui ont provoquées des vives réactions, au parfum de scandale. Dans ce livre présenté souvent comme une sorte de point de départ de récits autobiographiques au sens moderne du mot, Rousseau affirme vouloir se défendre, et exposer ce qu'il est, sans rien dissimuler, pour permettre au lecteur de le juger en pleine connaissance de cause, et il n'en doute pas, de l'absoudre, car il est « le meilleur des hommes ». Les Confessions suivent de près le cheminement chronologique de la vie de son auteur. Les livres I à VI sont consacrées à la période qui va jusqu'en 1740, au moment où l'auteur âgé de 28 ans arrive à Paris, c'est la période de jeunesse. Les livres VII à XII décrivent la période parisienne, et la fuite en Suisse, suite aux menaces d'emprisonnement provoquées par ses écrits, le récit s'arrête en 1765 dans un moment de grave crise.

C'est un livre très complexe, car Rousseau, au-delà du récit, volontairement scandaleux par son impudeur de son existence, y insère une partie de sa pensée philosophique, de sa vision du monde. Pas forcément d'une manière explicite, en partie en référence à d'autres textes. Loin de s'y montrer en pauvre être malheureux, l'auteur y fait preuve d'une capacité de persiflage très élaboré, pas plus bienveillant que la mordante ironie voltairienne, mais bien plus codé, réservé à ceux qui pourront le décrypter.

L'ironie et le persiflage débutent dès les premières lignes du texte, lignes devenues très célèbres :

« Je forme une entreprise qui n'eut jamais d'exemple, et dont l'exécution n'aura point d'imitateur. Je veux montrer à mes semblables un homme dans toute la vérité de la nature ; et cet homme, ce sera moi. »

Or Rousseau sait parfaitement que tout lecteur de son oeuvre, connaît les Confessions de St Augustin (ce n'est plus forcément le cas maintenant, mais cela l'était au XVIIIe siècle) et fera immédiatement le rapprochement. C'est comme s'il déclarait nulle et non avenue la grande oeuvre de son illustre prédécesseur. Et de nombreux passages du livre de Rousseau peuvent paraître s'inspirer de l'évêque d'Hippone, voire d'en offrir des sortes de parodies. On peut citer le vol de pomme perpétré par Rousseau, en opposition au vol de poires de St Augustin. Mais Rousseau décrit l'épisode de manière très humoristique, dans une sorte de fausse innocence, sans aucun sentiment de culpabilité. Son seul problème, c'est le fait d'être découvert et puni.

Le fait majeur, celui qui change toute la vie de St Augustin, c'est sa conversion de coeur, qui a lieu dans un jardin à Milan. Rousseau semble s'y référer dans une scène importante de ses Confessions, celle d'une sorte d'illumination qu'il connaît sur la route de Vincennes (il y va pour rendre visite à Diderot emprisonné). Sous un arbre, il lit, non pas la Bible, mais le Mercure de France, qui annonce un concours (Si le progrès des sciences et des arts a contribué à corrompre ou à épurer les moeurs ? ). St Augustin a reçu la grâce divine, le poussant à prêcher, à célébrer Dieu, et en essayant de convertir les hommes. Rousseau se sentira aussi la mission de répandre une bonne parole, mais une parole « laïque », une parole de raison, d'où Dieu est absent.

Il y a une opposition radicale dans la vision de l'humanité des deux hommes. St Augustin considère que l'homme est corrompu depuis le péché originel, et que seul la grâce de Dieu peut le sauver. Livré à ses seules forces, il est perdu, car le mal l'habite. Pour Rousseau, le mal vient de la société, de son organisation. L'homme est naturellement bon, c'est l'éducation et l'organisation de la société qui le corrompent. Les deux auteurs puisent dans leurs expériences respectives de quoi illustrer ces deux thèses opposés. Rousseau met en exergue son expérience lors de son apprentissage, chez un maître cruel, où il aurait appris à voler et à mentir, pour survivre plus que par plaisir.

Rousseau va bien sûr développer ses théories d'une manière plus approfondie et construite dans d'autres oeuvres, comme Emile, le contrat social, ou le discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes. Les Confessions sont plutôt une approche intuitive, sensible, de ses idées, illustrées, par des épisodes de son existence. Même s'il prend un visible plaisir à étaler des détails très intimes et troubles, au risque, ou plutôt dans le but de déstabiliser, de mettre mal à l'aise son lecteur, avec lequel il semble prendre un malin plaisir à jouer parfois. Car là aussi, au contraire de St Augustin, Rousseau s'adresse en permanence au lecteur, semble s'engager dans un dialogue, dit vouloir convaincre. Même si ce lecteur a très vite l'impression d'être en face de quelqu'un qui ne s'écoute que lui-même, et au final ne paraît avoir grande considération pour qui que ce soit d'autre que sa personne.

Sans aucun doute une oeuvre très importante, que son écriture rend très accessible. Que l'on soit d'accord ou non avec les idées de Rousseau, que l'on apprécie ou pas le personnage, il est difficile d'en faire l'impasse, tant elle a eu des résonances et des influences jusqu'à nos jours.
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En tant que pure lecture, les Confessions sont un vrai plaisir littéraire. Pas étonnant de la part de quelqu'un qui a grandi avec les livres, notamment de philosophie. Il raconte avec élégance les travers de son enfance et prend le parti de la sincérité. Je me suis attaché à ce personnage (oui, personnage, car malgré le caractère autobiographique, on est clairement dans l'hyperbole et l'auto-fiction), notamment son plaisir de la contemplation, de la nature, des balades, et de la solitude.

Malheureusement, cette image qu'il se donne du seul homme au monde qui serait sincère et honnête, admettant ses torts, (à deux doigts d'inventer l'autobiographie) révèle en lui un orgueil gigantesque, ce qui est d'autant plus paradoxal. le début du livre est hallucinant d'égocentrisme. A l'entendre, il aurait inventé l'honnêteté.

Qu'a-t-il avoué, exactement ? A part un ruban volé et quelques mesquineries d'enfance ? Ces épisodes sont présentés de façon théâtrale, pour bien insister sur sa sincérité. C'est poussif et hypocrite. Au final, ses contemporains s'accordent à dire qu'il se place systématiquement en victime, d'ailleurs il le dit lui-même, qu'il aimerait être un martyr. Son délire de persécution vient décrédibiliser sa posture philosophique. En effet, en désaccord avec ses pairs sur le Discours de l'inégalité parmi les hommes, il se pense la victime d'un complot "le plancher a des yeux, les murs ont des oreilles" écrit-il. Au lieu d'avouer ses fautes, c'est la société toute entière qui semble en tort contre lui. Il n'avouera même pas clairement avoir abandonné ses cinq enfants. Cet acte abominable est justifié ainsi "c'était courant à mon époque"
On sent la frustration à chaque paragraphe, de n'avoir pas fait accepter ses idées, de n'avoir pas trouvé d'amour réciproque, d'être tiraillé entre le plaisir de la solitude et sa soif de reconnaissance. Un portrait vraiment étrange, et lui-même ne parvient pas à masquer ses défauts les plus terribles. Ce qu'il confesse véritablement, c'est-à-dire en tant que grave faute, il le confesse malgré lui, entre les lignes.
Constamment en exil, en porte-à-faux avec la vie mondaine, il est souvent pauvre, malade et malgré tout reçoit étonnamment toujours un toit où s'abriter. Il enchaîne les querelles littéraires avec Voltaire et autres contemporains, notamment sur son abandon d'enfants.
Je reste perturbé de ma lecture, face à tant de contradictions intérieures. On apprend peu de choses de la vie de l'époque, comme il vit en reclus. Ca reste un ouvrage qui a marqué la littérature, et que je recommande.
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« Je forme une entreprise qui n'eut jamais d'exemple et dont l'exécution n'aura point d'imitateur. Je veux montrer à mes semblables un homme dans toute la vérité de la nature; et cet homme ce sera moi. »
Quand j'ai lu cette phrase pour la première fois, j'avais une petite vingtaine d'années et j'ai été immédiatement conquise. J'étais jeune alors, ma culture littéraire était on ne peut plus limitée. Ce n'est pas qu'elle soit considérable aujourd'hui, mais disons qu'elle s'est un peu élargie. Entretemps, j'ai lu Les mémoires du duc de Saint-Simon et Les Essais de Montaigne entre autres. Et même si je reste séduite par Les Confessions et par la personnalité de son auteur, je ne peux me départir d'un léger et persistant agacement. Visiblement, pour Rousseau, ses prédécesseurs comptent pour rien. S'il reconnaît du bout des lèvres que Montaigne, avant lui, a bien écrit quelque chose qui pourrait vaguement s'apparenter au projet qu'il forme aujourd'hui, c'est pour le railler aussitôt :
« J'avais toujours ri de la fausse naïveté de Montaigne, qui, faisant semblant d'avouer ses défauts, a grand soin de ne s'en donner que d'aimables ». On pourrais aisément lui retourner le compliment, mais convenons avec Rousseau qu'étant « le meilleur des hommes » il dut avoir toutes les peines du monde à dénicher en lui de vrais et vilains défauts.

J'en reviens à Montaigne. L'ambition affichée par l'auteur des Essais paraît bien modeste en comparaison. Pour Rousseau, il s'agit, prenant Dieu à témoin, de s'adresser à « l'innombrable foule de ses semblables », ceci afin de tenter de rétablir une image terriblement dégradée : « mais puisqu'enfin mon nom doit vivre, je dois tâcher de transmettre avec lui le souvenir de l'homme infortuné qui le porta, tel qu'il fut réellement, et non tel que d'injustes ennemis travaillent sans relâche à le peindre. » C'est à une véritable entreprise de réhabilitation qu'il s'attèle.
Rien de tel chez Montaigne qui, se gardant bien de mêler Dieu à ses petites affaires, se contente de s'adresser à ses parents et amis, « à ce que m'ayant perdu (ce qu'ils ont à faire bientôt) ils y puissent retrouver certains traits de mes conditions et humeurs, et que par ce moyen ils nourrissent plus entière et plus vive la connaissance qu'ils ont eue de moi. »

Et pourtant, la démarche, dans les deux cas, est rigoureusement la même. Il semble bien que ce que Rousseau nous présente comme une « entreprise qui n'eut jamais d'exemple » ait été formée avant lui par Montaigne qui, dans son adresse au lecteur, prévient :
« Je veux qu'on m'y voie en ma façon simple, naturelle et ordinaire, sans contention ni artifice : car c'est moi que je peins. (…) Que si j'eusse été entre ces nations qu'on dit vivre encore sous la douce liberté des premières lois de nature, je t'assure que je m'y fusse très volontiers peint tout entier et tout nu. Ainsi, lecteur, je suis moi-même la matière de mon livre. »

Il serait assez tentant, à ce stade de mon raisonnement, d'accuser Rousseau de mauvaise foi. Je m'en garderai bien. Il me semble autrement plus fécond d'explorer une autre hypothèse, celle de sa parfaite bonne foi. Rousseau en effet est intimement persuadé d'être radicalement différent des autres hommes. « Je ne suis fait comme aucun de ceux que j'ai vus; j'ose croire n'être fait comme aucun de ceux qui existent. » S'il a cru rencontrer l'âme soeur quelquefois, en la personne de Madame de Warens ou de Diderot, cela s'est avéré à chaque fois être un mirage, et la déception, le chagrin qui s'ensuivirent vinrent conforter un peu plus sa conviction d'être « une espèce d'être à part ». Quoiqu'il en soit, que Rousseau ait réussi ou échoué dans son entreprise de dévoilement, le résultat n'en est pas moins passionnant, servi par une langue sans fioritures, sobre et directe, ironique et savoureuse, un morceau de choix pour collectionneur, un matériau incomparable dans lequel des générations de psys ont puisé avec allégresse.

L'un d'eux, Jean Starobinski, historien des idées et docteur en psychiatrie, lui a consacré une somme : « La transparence et l'obstacle. » Honnêtement, je n'ai pas lu tout le livre, mais je crois en avoir saisi l'idée : Rousseau désire ardemment « la transparence des coeurs », c'est-à-dire une communication directe et immédiate, une sorte de télépathie en somme (là, c'est moi qui parle, pas Starobinski), mais comme il « est frustré dans son attente » (et pour cause!), « il suscite l'obstacle », c'est-à-dire qu'il se renferme en lui-même tout entier drapé dans sa dignité de vierge outragée (c'est à nouveau moi qui parle). Donc, il fait tout l'inverse de ce à quoi il aspire, il se ferme comme une huître (quand il ne tient pas des propos carrément offensants), diminuant d'autant ses chances d'être compris, et, pire encore, s'aliénant pour toujours les personnes douées des meilleures intentions à son encontre. Car pour le coup, à force de se croire le seul de son espèce, il a blessé un nombre de gens proprement stupéfiant, s'en faisant des ennemis irréductibles. Durant ma re-lecture, alors que je prenais connaissance de l'invraisemblable litanie de complots réels ou imaginaires ourdis contre l'infortuné Jean-Jacques, j'ai souvent pensé à cette phrase de Desproges : « L'ennemi est bête. Il croit que c'est nous, l'ennemi. Alors que c'est lui. » On touche là un point crucial. Comment un homme, se voyant des ennemis de toutes parts, se croyant attaqué, blessé par ceux-là même qui l'ont aimé, ne voyant jamais qu'il ait pu lui-même blesser et offenser, peut-il prétendre se bien connaître? Sans compter qu'il existe un biais dès l'origine de son projet. Sa motivation première n'est pas de fournir à ses futurs lecteurs « une pièce de comparaison pour l'étude du coeur humain » comme il l'affirme, mais de répondre à ses détracteurs et de défendre son honneur. Comment dès lors, ne pas douter de l'absolue sincérité de sa démarche?

Bref, l'histoire de « Jean-Jacques l'incompris », pourrait bien être celle des « autres incompris de Jean-Jacques », et c'est une grande leçon pour nous tous. Car chacun d'entre nous est convaincu, à des degrés divers, d'être incompris. Et c'est largement vrai, bien sûr. Ce qui l'est moins, ce qui ne l'est pas du tout, c'est de croire être le seul dans ce cas.


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C'était horrible à lire, l'auteur se pose constamment en victime mais ne se remet jamais en question, il a un égo surdimensionné et c'est très désagréable à lire. Je note aussi que l'écriture est en deçà de la qualité que j'espère trouver dans un classique, vraiment, je ne comprends pas l'engouement de certains professeurs qu'il y a autour de ce livre. C'est une autobiographie pas franchement passionnante à lire, il ne se passe jamais rien d'intéressant à mon goût. Il ne reflète même pas l'époque à laquelle il a été écrit, c'est creux, et vide de sens pour un lecteur contemporain. J'ai détesté en tout point.
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J'ai peut-être lu Rousseau trop tôt, de façon trop scolaire pour pouvoir réussir à l'apprécier désormais. Je me souviens d'heures de première passées sur le Préambule des Confessions que je trouvais d'une lourdeur et d'une emphase dans le style, dans la formulation... Au lycée, j'y avais lu aussi le portrait d'un homme jouant une fausse modestie pour insister sur sa singularité et donc son exceptionnalité. de cette époque date mon peu d'intérêt pour le genre même de l'autobiographie en général.
Je continue néanmoins, je persévère même, ma lecture de Rousseau, sans aller toutefois jusqu'aux oeuvres vraiment philosophiques. J'avais beaucoup appréciée les Rêveries du Promeneur solitaire pour leur écriture, cette pose poétique pré-romantique. Je me suis donc enfin décidée à lire les Confessions, surtout après un ouvrage sur ses rapports avec la Savoie, ma région d'adoption.
J'ai donc retrouvé avec un certain plaisir le début de l'oeuvre - et la fin, lorsque Rousseau célèbre les beautés de la nature, ses promenades notamment autour de Chambéry, d'Annecy, de Genève. Il aime la nature et la randonnée, en parle avec poésie, ce qui ne peut que me plaire !
Il y a ensuite des passages tellement étudiés, repris, lus ailleurs, que j'avais l'impression d'une relecture : la scène des cerises jetées dans le sein d'une jeune fille, l'amour platonique pour Mme de Warens, l'abandon des enfants, les études de gravure, le portrait mélioratif de Genève... D'autres passages m'ont bien plus surprise, notamment ceux en lien avec la sexualité - qui n'est que peu abordée par Rousseau qui rêve plus d'une union des âmes que des corps : son exhibitionnisme devant des prostituées, le ménage à trois avec "Maman" et son secrétaire, la tentative d'agression homosexuelle dont il est victime par un jeune converti au catholicisme. Il aime les femmes de façon idéalisée, désincarnée, rêvant plus qu'il ne séduit. Peu à peu, il se met en ménage avec Thérèse, tout en la décrivant comme une fille gentille, mais incapable de le comprendre. La façon dont Rousseau parle des femmes est donc assez irritante pour moi, lectrice du XXI ème siècle...
Et puis... il y a tous les passages sur les intrigues philosophico-mondaines à Paris, le coeur de l'ouvrage. J'avoue m'être perdue dans toutes les nobles femmes qui protègent Rousseau puis le haïssent, n'avoir pas saisi tous les enjeux des cabales. "Il n'y a que le méchant qui soit seul" écrit Diderot, phrase que Rousseau prend pour lui. Je ne sais pas à quel point il est vraiment persécuté, mais il pense l'être et s'en plaint et geint sur de très, très, longues pages, et se retrouve effectivement seul.
Néanmoins, d'autres passages ont retenu mon attention. Ce sont ceux qui montrent l'écrivain, le philosophe, l'artiste, au travail, ceux qui présentent son processus de création. D'où vient une idée ? Comment se transforme-t-elle en oeuvre ? J'ai apprécié ce processus d'introspection.
Une lecture très longue, qui ne me réconcilie pas avec Rousseau, loin de là, mais qui m'a donné d'autres pistes de lecture.
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Même si je suis un peu sceptique sur la philosophie de l'auteur et un peu dubitatif sur la véracité de tous les faits qu'il décrit, je dois reconnaître que son style est incroyablement beau, et dire que c'est un autodidacte. J'ai d'ailleurs appris que notre cher JJ a toujours mis à la première place de ses goûts la musique et la composition, qu'il place même devant la philosophie. L'incipit est légendaire.
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J'ai absolument adoré ce roman .
L'intrigue est superbe , les personnages bien dépeints par le narrateur accompagné d'un ensemble réaliste .
Nous avons aussi pu découvrir différentes atmosphères mais avec une écriture assez soignée .
C'est un livre envoûtant qui amène à la réflexion .

Cet ouvrage m'a aussi plu car l'on voyait toutes les faces de l'auteur ce qui laissait au lecteur une liberté de jugement et d'interprétation .

De même , à travers Rousseau qui se confesse , nous voyons la vie et le monde qui l'entoure .
Cela m'a vraiment paru être un dialogue entre l'auteur et le lecteur.
Même si certains éléments de sa vie ne m'ont pas plu énormément , j'aime le principe d'écrire sa vie et son âme avec tous leurs aspects .

Je dédierais donc , pour finir, ce livre à ceux qui aiment l'esprit des Lumières car il est difficile de mieux le représenter.
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