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Jean-Bertrand Pontalis (Préfacier, etc.)Bernard Gagnebin (Éditeur scientifique)Marcel Raymond (Éditeur scientifique)Catherine Koenig (Auteur du commentaire)
EAN : 9782070393930
858 pages
Gallimard (23/05/1995)
3.38/5   1248 notes
Résumé :
"Je forme une entreprise qui n'eut jamais d'exemple et dont l'exécution n'aura point d'imitateur. Je veux montrer à mes semblables un homme dans toute la vérité de la nature ; et cet homme ce sera moi.
Moi, seul. Je sens mon cœur et je connais les hommes. Je ne suis fait comme aucun de ceux que j'ai vus ; j'ose croire n'être fait comme aucun de ceux qui existent. Si je ne vaux pas mieux, au moins je suis autre. Si la nature a bien ou mal fait de briser le mou... >Voir plus
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sur 1248 notes
« Je forme une entreprise qui n'eut jamais d'exemple et dont l'exécution n'aura point d'imitateur. Je veux montrer à mes semblables un homme dans toute la vérité de la nature; et cet homme ce sera moi. »
Quand j'ai lu cette phrase pour la première fois, j'avais une petite vingtaine d'années et j'ai été immédiatement conquise. J'étais jeune alors, ma culture littéraire était on ne peut plus limitée. Ce n'est pas qu'elle soit considérable aujourd'hui, mais disons qu'elle s'est un peu élargie. Entretemps, j'ai lu Les mémoires du duc de Saint-Simon et Les Essais de Montaigne entre autres. Et même si je reste séduite par Les Confessions et par la personnalité de son auteur, je ne peux me départir d'un léger et persistant agacement. Visiblement, pour Rousseau, ses prédécesseurs comptent pour rien. S'il reconnaît du bout des lèvres que Montaigne, avant lui, a bien écrit quelque chose qui pourrait vaguement s'apparenter au projet qu'il forme aujourd'hui, c'est pour le railler aussitôt :
« J'avais toujours ri de la fausse naïveté de Montaigne, qui, faisant semblant d'avouer ses défauts, a grand soin de ne s'en donner que d'aimables ». On pourrais aisément lui retourner le compliment, mais convenons avec Rousseau qu'étant « le meilleur des hommes » il dut avoir toutes les peines du monde à dénicher en lui de vrais et vilains défauts.

J'en reviens à Montaigne. L'ambition affichée par l'auteur des Essais paraît bien modeste en comparaison. Pour Rousseau, il s'agit, prenant Dieu à témoin, de s'adresser à « l'innombrable foule de ses semblables », ceci afin de tenter de rétablir une image terriblement dégradée : « mais puisqu'enfin mon nom doit vivre, je dois tâcher de transmettre avec lui le souvenir de l'homme infortuné qui le porta, tel qu'il fut réellement, et non tel que d'injustes ennemis travaillent sans relâche à le peindre. » C'est à une véritable entreprise de réhabilitation qu'il s'attèle.
Rien de tel chez Montaigne qui, se gardant bien de mêler Dieu à ses petites affaires, se contente de s'adresser à ses parents et amis, « à ce que m'ayant perdu (ce qu'ils ont à faire bientôt) ils y puissent retrouver certains traits de mes conditions et humeurs, et que par ce moyen ils nourrissent plus entière et plus vive la connaissance qu'ils ont eue de moi. »

Et pourtant, la démarche, dans les deux cas, est rigoureusement la même. Il semble bien que ce que Rousseau nous présente comme une « entreprise qui n'eut jamais d'exemple » ait été formée avant lui par Montaigne qui, dans son adresse au lecteur, prévient :
« Je veux qu'on m'y voie en ma façon simple, naturelle et ordinaire, sans contention ni artifice : car c'est moi que je peins. (…) Que si j'eusse été entre ces nations qu'on dit vivre encore sous la douce liberté des premières lois de nature, je t'assure que je m'y fusse très volontiers peint tout entier et tout nu. Ainsi, lecteur, je suis moi-même la matière de mon livre. »

Il serait assez tentant, à ce stade de mon raisonnement, d'accuser Rousseau de mauvaise foi. Je m'en garderai bien. Il me semble autrement plus fécond d'explorer une autre hypothèse, celle de sa parfaite bonne foi. Rousseau en effet est intimement persuadé d'être radicalement différent des autres hommes. « Je ne suis fait comme aucun de ceux que j'ai vus; j'ose croire n'être fait comme aucun de ceux qui existent. » S'il a cru rencontrer l'âme soeur quelquefois, en la personne de Madame de Warens ou de Diderot, cela s'est avéré à chaque fois être un mirage, et la déception, le chagrin qui s'ensuivirent vinrent conforter un peu plus sa conviction d'être « une espèce d'être à part ». Quoiqu'il en soit, que Rousseau ait réussi ou échoué dans son entreprise de dévoilement, le résultat n'en est pas moins passionnant, servi par une langue sans fioritures, sobre et directe, ironique et savoureuse, un morceau de choix pour collectionneur, un matériau incomparable dans lequel des générations de psys ont puisé avec allégresse.

L'un d'eux, Jean Starobinski, historien des idées et docteur en psychiatrie, lui a consacré une somme : « La transparence et l'obstacle. » Honnêtement, je n'ai pas lu tout le livre, mais je crois en avoir saisi l'idée : Rousseau désire ardemment « la transparence des coeurs », c'est-à-dire une communication directe et immédiate, une sorte de télépathie en somme (là, c'est moi qui parle, pas Starobinski), mais comme il « est frustré dans son attente » (et pour cause!), « il suscite l'obstacle », c'est-à-dire qu'il se renferme en lui-même tout entier drapé dans sa dignité de vierge outragée (c'est à nouveau moi qui parle). Donc, il fait tout l'inverse de ce à quoi il aspire, il se ferme comme une huître (quand il ne tient pas des propos carrément offensants), diminuant d'autant ses chances d'être compris, et, pire encore, s'aliénant pour toujours les personnes douées des meilleures intentions à son encontre. Car pour le coup, à force de se croire le seul de son espèce, il a blessé un nombre de gens proprement stupéfiant, s'en faisant des ennemis irréductibles. Durant ma re-lecture, alors que je prenais connaissance de l'invraisemblable litanie de complots réels ou imaginaires ourdis contre l'infortuné Jean-Jacques, j'ai souvent pensé à cette phrase de Desproges : « L'ennemi est bête. Il croit que c'est nous, l'ennemi. Alors que c'est lui. » On touche là un point crucial. Comment un homme, se voyant des ennemis de toutes parts, se croyant attaqué, blessé par ceux-là même qui l'ont aimé, ne voyant jamais qu'il ait pu lui-même blesser et offenser, peut-il prétendre se bien connaître? Sans compter qu'il existe un biais dès l'origine de son projet. Sa motivation première n'est pas de fournir à ses futurs lecteurs « une pièce de comparaison pour l'étude du coeur humain » comme il l'affirme, mais de répondre à ses détracteurs et de défendre son honneur. Comment dès lors, ne pas douter de l'absolue sincérité de sa démarche?

Bref, l'histoire de « Jean-Jacques l'incompris », pourrait bien être celle des « autres incompris de Jean-Jacques », et c'est une grande leçon pour nous tous. Car chacun d'entre nous est convaincu, à des degrés divers, d'être incompris. Et c'est largement vrai, bien sûr. Ce qui l'est moins, ce qui ne l'est pas du tout, c'est de croire être le seul dans ce cas.


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Rousseau voulait être aimé et il voulait mériter de l'être. Sa grande connaissance des auteurs antiques l'a ainsi tout naturellement entraîné à devenir une personnalité sublime, toujours prêt à défendre les idées les plus contraires à son siècle et aux puissants qui en modelaient les opinions politiques et philosophiques.
Il vivra ainsi de nombreuses déceptions en amitié et en amour, il devra varier dans ses appartenances religieuses extérieures, il vivra aussi l'exil et à la longue, à forces d'être constamment blessé, il deviendra un vieil homme de plus en plus méfiant des autres, un interprète de plus en plus attentif aux moindres signes qui pourraient indiquer de mauvaises intentions envers sa personne dans son entourage, son pauvre cerveau frôlera le délire paranoïaque, mais sans rien perdre de sa géniale beauté. C'est dans cet état de trouble qu'il accomplira l'étrange projet suivant : « Je forme une entreprise qui n'eut jamais d'exemple et dont l'exécution n'aura point d'imitateurs. Je veux montrer à mes semblables un homme dans toute la vérité de la nature; et cet homme ce sera moi. » (t.1, 21)
Et il en raconte des choses sur sa personne. Il ne s'épargne rien. Il se montre sans pudeur dans toute sa fragilité et ses maladresses. Il fait de son auditoire une divinité analogue au Dieu chrétien, qui aurait besoin de se faire raconter ce qu'il savait déjà afin de lui accorder la reconnaissance de son bon coeur. Il est bien convaincu lui-même de son bon coeur : « Pour moi, je le déclare honnêtement et sans crainte : quiconque, même sans avoir lu mes écrits, examinera par ses propres yeux mon naturel, mon caractère, mes moeurs, mes penchants, mes plaisirs, mes habitudes, et pourra me croire malhonnête homme, est lui-même un homme à étouffer. »(t.2, 486) Mais il avait un cruel besoin d'être reconnu par un entourage qui le jugeait comme la règle juge toujours l'exception : comme une erreur, comme quelque chose de laid ou de mal.
Rousseau, on peut être en accord ou non avec ses idées, à mon avis, cela importe peu. Ce qu'il représente pour moi d'extraordinaire, c'est qu'il nous entraîne toujours à des considérations débordantes de bons sentiments, toujours belles et sincères et il me semble qu'on se doit de l'aimer. On le doit à ce que l'on a de meilleur en nous.
Avec moi, il gagne donc son pari haut la main. Je n'ai aucun doute qu'il ait été un honnête homme, c'est-à-dire une entité imparfaite, mais perfectible et remplie de la meilleure des volontés et des plus beaux sentiments.
Ceci dit, si je suis convaincu de cela, j'avoue que j'étais gagné d'avance par ses Discours, par son Émile, et surtout par son Héloïse!
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Ce que j'aime chez Rousseau, et c'est inexplicable, c'est sa magie des mots. Il est capable d'écrire un paragraphe entier avec une seule phrase, sans jamais lasser, sans que cela paraisse long. C'est un peu comme du Mozart.
Rousseau, je ne le lis pas, je ne cherche même pas à comprendre ce qu'il veut dire, non, je l'écoute, j'écoute sa musique des mots. C'est reposant comme le Concerto pour clarinette de l'illustre Mozart. Cela ne s'arrête jamais, cela monte , cela descend, des thèmes reviennent, et c'est sans importance, cela relaxe le cerveau.
Rousseau n'écrit pas, il compose. Il était copiste en musique, cela se sent à chaque phrase. Il cherche des équilibres, des harmonies. Ses confessions....qu'il se confesse donc, c'est sans importance. Nous sommes tous des pêcheurs et des fauteurs ici bas. Alors se confesser ou pas, peu importe. Je crois en cette parole des Évangiles: " pardonne moi Seigneur car j'ai beaucoup fauté". Et comme pour être pardonné soit même, il faut d'abord pardonner aux autres, hé bien je te pardonne tout, illustre Jean Jacques, je te pardonne d'autant plus volontiers que tes mots sont une si douce musique.
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Publié à titre posthume, en 1782 pour les livres I à VI et en 1789 pour les six dernières livres, le livre de Rousseau a connu néanmoins de son vivant quelques lectures, qui ont provoquées des vives réactions, au parfum de scandale. Dans ce livre présenté souvent comme une sorte de point de départ de récits autobiographiques au sens moderne du mot, Rousseau affirme vouloir se défendre, et exposer ce qu'il est, sans rien dissimuler, pour permettre au lecteur de le juger en pleine connaissance de cause, et il n'en doute pas, de l'absoudre, car il est « le meilleur des hommes ». Les Confessions suivent de près le cheminement chronologique de la vie de son auteur. Les livres I à VI sont consacrées à la période qui va jusqu'en 1740, au moment où l'auteur âgé de 28 ans arrive à Paris, c'est la période de jeunesse. Les livres VII à XII décrivent la période parisienne, et la fuite en Suisse, suite aux menaces d'emprisonnement provoquées par ses écrits, le récit s'arrête en 1765 dans un moment de grave crise.

C'est un livre très complexe, car Rousseau, au-delà du récit, volontairement scandaleux par son impudeur de son existence, y insère une partie de sa pensée philosophique, de sa vision du monde. Pas forcément d'une manière explicite, en partie en référence à d'autres textes. Loin de s'y montrer en pauvre être malheureux, l'auteur y fait preuve d'une capacité de persiflage très élaboré, pas plus bienveillant que la mordante ironie voltairienne, mais bien plus codé, réservé à ceux qui pourront le décrypter.

L'ironie et le persiflage débutent dès les premières lignes du texte, lignes devenues très célèbres :

« Je forme une entreprise qui n'eut jamais d'exemple, et dont l'exécution n'aura point d'imitateur. Je veux montrer à mes semblables un homme dans toute la vérité de la nature ; et cet homme, ce sera moi. »

Or Rousseau sait parfaitement que tout lecteur de son oeuvre, connaît les Confessions de St Augustin (ce n'est plus forcément le cas maintenant, mais cela l'était au XVIIIe siècle) et fera immédiatement le rapprochement. C'est comme s'il déclarait nulle et non avenue la grande oeuvre de son illustre prédécesseur. Et de nombreux passages du livre de Rousseau peuvent paraître s'inspirer de l'évêque d'Hippone, voire d'en offrir des sortes de parodies. On peut citer le vol de pomme perpétré par Rousseau, en opposition au vol de poires de St Augustin. Mais Rousseau décrit l'épisode de manière très humoristique, dans une sorte de fausse innocence, sans aucun sentiment de culpabilité. Son seul problème, c'est le fait d'être découvert et puni.

Le fait majeur, celui qui change toute la vie de St Augustin, c'est sa conversion de coeur, qui a lieu dans un jardin à Milan. Rousseau semble s'y référer dans une scène importante de ses Confessions, celle d'une sorte d'illumination qu'il connaît sur la route de Vincennes (il y va pour rendre visite à Diderot emprisonné). Sous un arbre, il lit, non pas la Bible, mais le Mercure de France, qui annonce un concours (Si le progrès des sciences et des arts a contribué à corrompre ou à épurer les moeurs ? ). St Augustin a reçu la grâce divine, le poussant à prêcher, à célébrer Dieu, et en essayant de convertir les hommes. Rousseau se sentira aussi la mission de répandre une bonne parole, mais une parole « laïque », une parole de raison, d'où Dieu est absent.

Il y a une opposition radicale dans la vision de l'humanité des deux hommes. St Augustin considère que l'homme est corrompu depuis le péché originel, et que seul la grâce de Dieu peut le sauver. Livré à ses seules forces, il est perdu, car le mal l'habite. Pour Rousseau, le mal vient de la société, de son organisation. L'homme est naturellement bon, c'est l'éducation et l'organisation de la société qui le corrompent. Les deux auteurs puisent dans leurs expériences respectives de quoi illustrer ces deux thèses opposés. Rousseau met en exergue son expérience lors de son apprentissage, chez un maître cruel, où il aurait appris à voler et à mentir, pour survivre plus que par plaisir.

Rousseau va bien sûr développer ses théories d'une manière plus approfondie et construite dans d'autres oeuvres, comme Emile, le contrat social, ou le discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes. Les Confessions sont plutôt une approche intuitive, sensible, de ses idées, illustrées, par des épisodes de son existence. Même s'il prend un visible plaisir à étaler des détails très intimes et troubles, au risque, ou plutôt dans le but de déstabiliser, de mettre mal à l'aise son lecteur, avec lequel il semble prendre un malin plaisir à jouer parfois. Car là aussi, au contraire de St Augustin, Rousseau s'adresse en permanence au lecteur, semble s'engager dans un dialogue, dit vouloir convaincre. Même si ce lecteur a très vite l'impression d'être en face de quelqu'un qui ne s'écoute que lui-même, et au final ne paraît avoir grande considération pour qui que ce soit d'autre que sa personne.

Sans aucun doute une oeuvre très importante, que son écriture rend très accessible. Que l'on soit d'accord ou non avec les idées de Rousseau, que l'on apprécie ou pas le personnage, il est difficile d'en faire l'impasse, tant elle a eu des résonances et des influences jusqu'à nos jours.
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Je vais être assez sévère avec toi, Jean-Jacques: j'ai moyennement aimé tes " confessions", au cours de cette relecture.C'était déjà le cas,étudiante.J'ai préféré " Les rêveries d'un promeneur solitaire".

La raison de mes réticences? Une , essentiellement.Lorsque tu écris en préambule: " Je forme une entreprise qui n'eut jamais d'exemple et dont l'exécution n'aura point d'imitateur", je te trouve bien présomptueux.Et quand tu ajoutes: "Je veux montrer à mes semblables un homme dans toute la vérité de sa nature", alors là, je pourrais te traiter de menteur ! Car, au regard de ce que tu racontes, on ne peut pas dire que tu sois de toute franchise, comme tu le prétends...

Souviens-toi, par exemple, de l'épisode du ruban volé.Certes, tu montres bien tes remords d'adulte mais en même temps, tu cherches à te dédouaner auprès du lecteur.Et dans tes souvenirs,combien de plaintes, d'apitoiement sur toi-même ! On a toujours l'impression que tu joues à la victime...

Cependant, je reconnais que ce projet est novateur pour l'époque.Il se détache nettement des Mémoires à caractère politique et historique.Il ouvre la voie à l'autobiographie, qui fleurira ensuite au 19ème siècle.Il place le Moi au centre du livre.

Taine le jugeait sèchement: " Préoccupé de soi jusqu'à la manie et ne voyant du monde que lui-même". Je serai plus indulgente. Et de plus, j'ai apprécié le style de cette autobiographie romancée, non dénuée d'ironie et d'auto-dérision.Mais jusqu'à un certain point car le côté larmoyant et les explications de mauvaise foi visant à se
justifier ternissent l'ensemble.Dommage, Jean-Jacques, et désolée, tu n'es pas, pour moi, unique...
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je sens mon coeur et je connais les hommes. je ne suis fait comme aucun de ceux que j'ai vus; j'ose croire n'être fait comme aucun de ceux qui existent. si je ne vaux pas mieux, au moins suis-je autre...
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Je m'ennuyais des amusements de mes camarades ; et quand la trop grande gêne m'eut aussi rebuté du travail, je m'ennuyai de tout. Cela me rendit le goût de la lecture que j'avais perdu depuis longtemps. Ces lectures, prises sur mon travail, devinrent un nouveau crime qui m'attira de nouveaux châtiments. Ce goût irrité par la contrainte devint passion, bientôt fureur. La Tribu, fameuse loueuse de livres, m'en fournissait de toute espèce. Bons et mauvais, tout passait ; je ne choisissais point : je lisais tout avec une égale avidité. Je lisais à l'établi, je lisais en allant faire mes messages, je lisais à la garde-robe, et m'y oubliais des heures entières ; la tête me tournait de la lecture, je ne faisais plus que lire. Mon maître m'épiait, me surprenait, me battait, me prenait mes livres. Que de volumes furent déchirés, brûlés, jetés par les fenêtres ! que d'ouvrages restèrent dépareillés chez la Tribu ! Quand je n'avais plus de quoi la payer, je lui donnais mes chemises, mes cravates, mes hardes ; mes trois sols d'étrennes tous les dimanches lui étaient régulièrement portés.
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Ici commence le court bonheur de ma vie ; ici viennent les paisibles mais rapides moments qui m’ont donné le droit de dire que j’ai vécu. Moments précieux et si regrettés ! ah ! recommencez pour moi votre aimable cours ; coulez plus lentement dans mon souvenir, s’il est possible, que vous ne fîtes réellement dans votre fugitive succession. Comment ferai-je pour prolonger à mon gré ce récit si touchant et si simple, pour redire toujours les mêmes choses, et n’ennuyer pas plus mes lecteurs en les répétant, que je ne m’ennuyais moi-même en les recommençant sans cesse ? Encore si tout cela consistait en faits, en actions, en paroles, je pourrais le décrire et le rendre en quelque façon ; mais comment dire ce qui n’était ni dit ni fait, ni pensé même, mais goûté, mais senti, sans que je puisse énoncer d’autre objet de mon bonheur que ce sentiment même ? Je me levais avec le soleil, et j’étais heureux ; je me promenais, et j’étais heureux ; je voyais maman, et j’étais heureux ; je la quittais, et j’étais heureux ; je parcourais les bois, les coteaux, j’errais dans les vallons, je lisais, j’étais oisif, je travaillais au jardin, je cueillais les fruits, j’aidais au ménage, et le bonheur me suivait partout : il n’était dans aucune chose assignable, il était tout en moi-même, il ne pouvait me quitter un seul instant.
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Les climats, les saisons, les sons, les couleurs, l'obscurité, la lumière, les éléments, les aliments, le bruit, le silence, le mouvement, le repos, tout agit sur notre machine, et sur notre âme.
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Leurs amours avaient commencé presque avec leur vie : dès l' âge de huit à neuf
ans ils se promenaient ensemble tous les soirs sur la Treille ; à dix ans ils ne
pouvaient plus se quitter. La sympathie, l' accord des âmes affermit en eux le
sentiment qu' avait produit l' habitude. Tous deux, nés tendres et sensibles,
n' attendaient que le moment de trouver dans un autre la même disposition, ou
plutôt ce moment les attendait eux-mêmes,et chacun d' eux jeta son coeur dans
le premier qui s' ouvrit pour le recevoir .
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*RÉFÉRENCE BIBLIOGRAPHIQUE* : « Neuvième promenade », _in Les confessions de J.-J. Rousseau,_ suivies des _Rêveries du promeneur solitaire,_ tome second, Genève, s. é., 1783, pp. 373-374.
#JeanJacquesRousseau #RêveriesDuPromeneurSolitaire #Pensée
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