L'oiseau pourtant, presque dès le nid, à ce que l'on dit, connaît déjà son chant.
Je devais également m'y ennuyer à l'excès, logée dans une frêle maison à peine chauffée même quand prit l'hiver avec ses vents qui traversaient les murs légers. Si je n'y gelai pas vive, c'est que ma logeuse prenant pitié de moi, me confectionna un volumineux édredon de plumes. Lorsque je l'étendais sur moi, j'avais l'impression d'être couchée sous une haute montagne pourtant sans poids et merveilleusement moelleuse.
De même que nous étions des pauvres riches, de même nous étions des malheureux doués pour le bonheur.
Tant de fois, il est vrai, dans la vie, on repasse, l'âme en peine, par où l'on était passé jeune et joyeux.
De la naissance â la mort, de la mort à la naissance, nous ne cessons, par le souvenir, par le rêve, d'aller comme l'un vers l'autre, à notre propre rencontre, alors que croît entre nous la distance.
À la regarder, j'avais l'impression que la vie, presque toute la vie, était une distraction après une autre pour tenter de nous dissimuler l'essentielle vérité.
Pourtant je ne peux oublier que c’est à Paris que je reçus la première révélation importante sur moi-même et qui ne devait jamais tout à fait s’effacer de ma mémoire. […] Ce que je ne peux oublier, c’est que ce fut très certainement le beau Jardin de Paris, illuminé comme par un soleil venu droit de mes Prairies, qui illumina en moi-même le don du regard, que je ne me connaissais pas encore véritablement, et l’infinie nostalgie de savoir un jour en faire quelque chose.
Plus tard, quand je fus à même d’analyser quelque peu ce qui nous était arrivé, j’ai pensé que nous avions été, Stephen et moi, comme ces papillons, ces phalènes, ces mille créatures de l’air que des ruses de la nature, une odeur, des ondes, mènent à leur rencontre sans qu’elles y soient pour rien. Et je me demande si la foudroyante attirance que nous avons subie, de tous les malentendus, de tous les pièges de la vie, n’est pas l’un des plus cruels. À cause de lui, après que j’en fus sortie, j’ai gardé pour longtemps, peut-être pour toujours, de l’effroi envers ce que l’on appelle l’amour.
Je me rappelle seulement que nous buvions et mangions avec goût tout en regardant défiler sous nos yeux le jardin continu de la Côte d’Azur. J’étais enivrée par le gracieux rivage, ses anses, ses calanques, ses petits ports de pêche et surtout par la clarté du ciel que je voyais répandue comme je ne l’avais encore vue nulle part ailleurs aussi éclatante et abondante. Je sentais mon cœur de minute en minute s’éprendre d’un tel amour de cette terre qu’il envahirait toute ma vie.
Toute cette atmosphère de départ et de voyage que je trouvai dès ce soir-là à Montréal était bien de nature à me retenir, car longtemps elle constitua ma seule patrie, me consolant en quelque sorte de n’en avoir pas d’autre, me soufflant que nous ne sommes jamais que des errants et qu’il est mieux de ne rien posséder si l’on veut du moins bien voir le monde que nous traversons en passant.