"C'est bien, elle connait le sujet.. Mais bon, c'est beaucoup de littérature."
Mon père a lu ce livre avant moi. Dès sa sortie, dès mon retour de librairie. le monde paysan, c'est le sien. le monde littéraire, plutôt le mien. Alors, son avis me semblait plutôt de bon augure pour ma lecture.
Ce roman, je l'ai commencé à l'automne dernier et terminé il y a quelques semaines. Un quasi abandon. Parce que mon père avait raison finalement.
Pleine terre c'est
Jacques Bonhomme, un nom de paysan révolté. Son vrai nom est apparu dans les journaux car c'est d'un fait divers que
Corinne Royer tire son inspiration. La violence ordinaire d'une administration qui va pousser cet éleveur à quitter sa ferme pour une cavale de neuf jours et le conduire à une fin tragique.
Tragique, c'est sûrement le mot clé. L'autrice écrit une fiction, elle le clame dès la première page. de ce paysan, elle fait un héros tragique. Il est Sisyphe, il est Camus. Et je le trouve dépossédé. Desincarné. Est-ce que faire de cet homme un personnage à ce point emblématique et charismatique ne fini pas par amoindrir la banalité du sujet ? Et faire d'une réalité on ne peut plus concrète (il suffit de regarder le taux de suicide chez les agriculteurs en France...) un mythe de la nature contre la société ?
Ce n'est pas incompatible me direz-vous, et au début de ma lecture, j'ai même été charmée par le style si littéraire, si recherché de l'autrice. C'est très bien écrit. Mais au fil de ma lecture, j'ai trouvé que c'était trop écrit. Et que je perdais toute émotion, toute empathie pour
Jacques Bonhomme. Pire encore pour les personnages secondaires. Tout me semblait froid, la nature hostile, les animaux étrangers.
Il n'y a pas d'erreurs et le sujet est maîtrisé, documenté. Mais de cette matière factuelle, je vois surgir un texte érudit qui ne donne pas accès à un univers que je peux me vanter de connaître un peu. La beauté du texte nous tient éloignée de la vérité des hommes.
N'étant pas émue là où je pensais l'être, j'ai reposé le livre. Repris pour quelques pages. Reposé encore. J'ai lu des avis élogieux, je me suis dit que je devais être trop proche du sujet pour pouvoir être tout à fait objective... Ce livre qui devait être pour moi, finalement, ne l'était pas, donnant aux paysans comme aux fonctionnaires des airs que je ne leur reconnais pas. J'étais en littérature mais je n'étais pas chez moi. Et j'ai mis un an à le comprendre et à le formuler. Ce que mon père dès le départ avait résumé d'un lapidaire "c'est beaucoup de littérature."