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4,07

sur 225 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Couverture bien énigmatique qui semble toutefois annoncer un livre bien sombre , et c'est une triste réalité qui va se jouer sous nos yeux , un drame final en 9 jours ....Le personnage principal , un paysan , Jacques Bonhomme , cultivé , travailleur , respectueux de la terre et de la nature ....Hélas, voilà déjà un moment que l'exode rural a frappé les campagnes , que les villages regorgent de panneaux délabrés qui annoncent la sentence : " A vendre " placardée sur des murs " mangés " par le lierre quand ce n'est pas par les ronces .
Quelques fermes résistent ça et là , derniers héritages d'une société rurale à l'agonie . Les paysans y maintiennent la tradition , celle qui a vu ces hommes et femmes robustes " retirer " de la terre et des près la nourriture essentielle chargée de " faire vivre " une population urbaine plus avide de " prix " que de qualité. Concurrence , prix , grandes surfaces , les " petits " sont à l'agonie et la machine économique s'avance , de plus en plus destructrice , de plus en plus jalouse , de plus en plus vorace . Les paysans luttent puis , emportés par le tsunami , certains par l'âge de la retraite , d'autres par l'intermédiaire du fusil ou de la corde ....Échapper à la vie pour fuir la honte de l'échec....
Pour les " survivants " le coup de grâce viendra . Aujourd'hui , demain , dans quelques mois ou quelques années, apporté par des " bureaucrates " armés de textes de loi , de paperasses si complexes que le temps passé à les remplir mange le moindre espace de repos , de liberté , de textes si stupides que toute possibilité de respiration devient vaine . Et quand ça ne suffit pas , il s'ajoutera le mépris, l'irrespect d'incompétents sbires zélés du pouvoir envers ceux qui , encore , s'accrochent désespérément à leur terroir comme à une bouée au milieu d'un océan déchaîné....Et si tout tarde trop , si l'infortuné résiste encore , il reste encore les gendarmes ...
C'est un beau texte dur , âpre, rude que nous offre Corinne Roger, un texte qui nous emballe , qui nous pousse à toujours croire , à espérer avec cet homme que nous allons accompagner pendant neuf jours incroyables , un personnage vu par d'autres , ses voisins , ses amis ou autres , un personnage qui va nous toucher au plus profond de nous mêmes et nous faire pénètrer dans le monde rural le plus noir , celui qui lutte encore et encore et qui luttera jusqu'au moment fatal ...Pour lui ? pour nous ?
Aujourd'hui , temps de pandémie, la vie rurale semble reprendre quelques droits , mais jusqu'à quand ? Jusqu'à ce qu'un coq chante même le dimanche , un peu trop tôt, un peu trop fort , un peu trop longtemps ? ? Jusqu'à ce que les odeurs de lisier agressent les narines de citadins en quête de...de quoi , au fait ? D'un monde rural sans éleveurs ou paysans peut - être ? Patience , ça vient...vite .
Je me répète, ce livre est comme sa couverture , bien sombre . Roman noir de disparitions programmées, roman social , économique, raconté par un style " au scalpel " , sans concession , sans pathos , sans morale ....Deux yeux , une plume , pas moyen d'y échapper, de dire " je ne savais pas " ....Il y avait Gainsbourg et Gainsbarre . Pourquoi pas Bonhomme et Bas - homme ? le Jacques.
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Au volant de sa Volvo, il fuit, semant facilement ses poursuivants. En gars du pays, il connaît bien les petites routes et les pistes forestières. Une fois la voiture cachée, il profite de la nature, du silence. Encore tout étonné de se trouver étendu sur l'herbe, au petit matin naissant. Presque inutile. Plus à s'occuper de tout ce qu'une ferme suppose. Plus de bêtes ni de terre à s'occuper. Que fuit-il exactement ? Les fonctionnaires d'État ? Les gendarmes ? L'asile où on menace de l'interner ? D'un homme plus que jamais dévoué à ses terres et son cheptel à un paysan qui ne se reconnaît plus dans le métier qu'on lui impose, il est devenu aujourd'hui une bête traquée...

Si les pensées, les émotions et le cheminement de Jacques Bonhomme ne sont que fiction, Corinne Royer s'est tout de même inspirée d'un tragique fait divers dont on a peu parlé. Pourtant, il démontre à lui seul combien le monde paysan va mal. Soumis à de nombreuses directives et règlements, aux contrôles sur le terrain, à de l'administratif pesant... Jacques Bonhomme, à partir d'un simple contrôle, qui va en entraîner bien d'autres, va très vite être pointé du doigt (négligence, fraude allant jusqu'à la maltraitance de ses animaux). Et c'est dans un véritable engrenage que l'homme va s'engouffrer, allant lui faire douter du bien fondé de son métier. de jour comme de nuit, au coeur de la forêt ou à travers les sentiers, l'on suit les pas de Jacques durant ces 9 jours de cavale. Autour de lui, ses voisins, ses amis, sa famille prennent à tour de rôle la parole pour décrire aussi bien l'homme qu'il était que l'incompréhension dans laquelle ils se trouvent. Saisissant et poignant, ce roman dénonce, de son écriture posée et dense, la détresse, le désarroi, la solitude du monde paysan mais aussi la sournoiserie d'un monde capitaliste.
Bouleversant...
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Librairie Caractères- [Issy-les-Moulineaux- Mardi 24 août 2021 ]

Pépite bouleversante …Un immense coup de coeur et au coeur !...
Prise aux tripes par ce roman inspiré d'un fait divers , nous montrant la situation dramatique de certains agriculteurs, poussés au désespoir à cause de la lourdeur et l'avalanche des obligations, réglementations des gouvernements qui poussent à la production de masse, « à la déshumanisation de leurs pratiques et à la négation de leurs savoir-faire ancestraux »

Un jour, Jacques Bonhomme se retrouve privé de son cheptel ; qu'est-ce qu'un éleveur sans ses bêtes ? Il se rebelle, se révolte contre l'aberration et l'injustice de sa situation, et on lui oppose les gendarmes puis des hommes en blanc… pour « l'enfermer », car on le prend pour un fou, car il se révolte contre toute cette bureaucratie !!!

L'impression que ces avalanches d'obligations, de pressions de rendement… asservissent totalement les agriculteurs…et les acculent parfois au pire. Roman qui se déroule en 9 journées, 9 jours de cavale… alternés avec les récits des voisins-amis, de sa soeur, du Vieux Baptiste, sorte de père adoptif de Jacques, et même la voix d'un inspecteur sanitaire, mettant en cause au fil des années la déshumanisation de son travail…

J'ajoute des extraits significatif de notes explicatives de l'auteur , situées à la fin de l'ouvrage : » Ce roman est inspiré de l'histoire de Jérôme Laronze, un agriculteur de Saône-et- Loire abattu par des gendarmes en mai 2017 après trois années de harcèlement administratif et neuf jours de cavale. Il n'avait pas encore trente-sept ans.
En septembre 2017, le gendarme responsable des tirs mortels a été mis en examen(…)
Jacques Bonhomme est le sobriquet attribué au chef de file des paysans révoltés en mai 1358. En réalité, par l'expression « Jacques Bonhomme », les sources de l'époque dénomment l'ensemble des révoltés de la Grande Jacquerie. Cette dénomination est basée sur l'ancien français « jacques », qui désignait les paysans vêtus d'une veste courte, la jacque »

Je découvre par ce texte la fort belle plume poétique, empreinte de bienveillance et d'empathie de Corinne Royer pour défendre le monde paysan… sans omettre de parler de la solitude , et des suicides trop nombreux des paysans…

un récit bouleversant…que j'ai choisi pour une amie de la campagne bressane, agricultrice à la retraite, avec en doubles pensées, la vie âpre et difficile d'un cousin, septuagénaire, qui se refuse à la retraite et continue de faire marcher dans le Cantal, la ferme héritée de son père…Il me reste toutefois le souvenir très vif de ses récits sur les changements de quotas pour le lait, le lait excédent qu'il était obligé de jeter, la paperasserie continuelle, aberrante, demandée, à tel point que son épouse, en plus de son travail à Aurillac, passait ses jours de congé à mettre tout à jour.

Des vies difficiles, éprouvantes, écrasées par la bureaucratie… Toutefois, ce cousin , ayant exercé des années durant des responsabilités syndicales pour défendre les Agriculteurs ,continue de se battre, car la passion de la terre, de ses bêtes restent sa vie, sa fierté…J'avoue éprouver à son encontre une véritable admiration pour sa ténacité et sa vaillance, envers et contre tout !

Le texte de Corinne Royer nous interpelle tous, nous montre combien le système est à changer, à remettre en cause…car il met en danger la terre, la nature, ceux qui « nous nourrissent », les Agriculteurs, ces hommes vaillants, 7 jours sur 7, au labeur…Cela fait pourtant déjà un très grand nombre d'années que les signaux d'alarme sont en branle !

« Il s'était affranchi des abrutissements générés par des années d'espérance plus ou moins passive, se sevrant sans préavis des promesses de jours meilleurs administrées comme des sédatifs. Il avait dit non. Il avait refusé de se laisser à nouveau endormir par le refrain habituel : les allègements de cotisation, les crédits d'impôts, les aides aux calamités, les primes à l'hectare, les subventions à l'investissement, à la formation, à l'exportation. Il s'était détourné d'un système où il ne trouvait plus sa place - ni lui ni tous ceux animés du seul attachement à la terre et aux bêtes. »(p.16)

Texte exceptionnel par sa force de conviction, et une plume magnifique pour décrire la Terre, les bêtes, la nature, et la vie quotidienne des plus méritantes de « nos » Agriculteurs…à qui on doit « RESPECT » pour leur travail journalier difficile, nous « nourrissant», nous les « citadins » !!!…

Je ne peux résister à transcrire un einième extrait très lumineux , pour conclure cette chronique:
« Nous avons inspiré les peintres et les romanciers. Nous avons façonné l'imaginaire de tous ceux qui, le temps d'un été, ont assisté aux fenaisons et aux vêlages. Nous avons été la fierté d'un peuple et d'une nation. Souvenons-nous des textes de Ramuz: le Paysan, au sens vrai du mot, est l'homme des pouvoirs premiers; il a paru de bonne heure sur la terre et il dure encore. Pourrat, Giono, Thibon ont exalté, chacun à sa manière, l'homme à la bêche. Marcel Arland voyait dans les paysans davantage qu'une classe, la race la plus riche en réserves et en possibilités, celle des hommes les moins artificiels, les plus vrais. » (p. 304)


[*** il me reste dans ma PAL, un autre texte bouleversant à lire depuis des mois, je voulais "nommer" "La Malchimie" de Gisèle Bienne
[Actes Sud, 2019 ]


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Roman choc pour moi dans cette rentrée littéraire. A plusieurs voix comme c'est un peu la mode actuellement. Inspiré d'une histoire vraie, et quand on l'apprend en fin de livre, on en reste un peu soufflé. Non pas que l'on doute un seul instant de cette tendance absurde de l'administration à encadrer, réglementer, punir, sanctionner toute activité au nom de la traçabilité et des directives européennes (en réalité, ce n'est pas être efficace qui compte mais faire des rapports nombreux et documentés au format pdf qui potentiellement pourraient justifier d'un travail à des personnes incapables d'en faire un vrai, ce qui est sensiblement différent).
Non pas que l'on doute qu'il y ait la même proportion d'imbéciles obéissants et serviles chez les dépositaires de la force dite « publique » que partout ailleurs dans la société, mais là quand même...
Ce roman est un coup de poing, qui prend aux tripes par la démesure des causes et des conséquences, parce qu'il nous parle de ce que les transhumanistes (il y a très peu d'agriculteurs, de menuisiers, de boulangers parmi cette espèce de parasites en col blanc) ne pourront jamais comprendre : notre lien indéfectible avec notre petite planète Terre.
C'est un roman mais c'est aussi un manifeste pour une agriculture qui revient aux sources, pas bio comme les multinationales le conçoivent, mais naturelle comme seul un type (ou une femme) qui connaît ses bêtes, ses plans, sa terre peut le comprendre.
Et c'est bien écrit. Lu d'une traite. La vache !
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Tout part d'un fait réel, il s'agit de l'affaire Laronze, du nom de cet éleveur bio de Saône et Loire dont Florence Aubenas a retracé l'histoire tragique dans « le Monde ».
Dans le roman, le paysan se nomme Jacques Bonhomme. On ne le trouve plus auprès de ses bêtes, il est en cavale.
En proie aux tracasseries administratives, acculé par les contraintes financières, il finit par perdre pied. Pourtant, il l'aime son métier qu'il tient de son père et de son grand-père. D'ailleurs, il ne sait rien faire d'autre que de s'occuper de ses bêtes, les élever du mieux possible. Ce que ne peut comprendre une administration tatillonne et aveugle qui finit par faire du harcèlement. Comment comprendre ça lorsque vous travaillez la terre ? Vous faites de votre mieux face aux aléas du métier mais, au premier manquement, on a vite fait de vous cataloguer comme dangereux et malsain.
« Ce ne sont pas les cinq mille euros d'amande ni les trois mois de prison avec sursis pour mauvaise gestion d'un troupeau qui l'ont fait basculer. Non, c'est sa conviction intime d'être devenu un mauvais paysan. »

Roman polyphonique où se mêlent d'autres voix comme celle de la soeur de Jacques. Les témoignages alternent avec les sensations intimes, les souvenirs du paysan dont les sentiments oscillent entre colère et abattement.
Très bien documenté ce roman mêle habilement la fiction à la réalité, hélas, dramatique du monde paysan. Au-delà des cultures et des pâturages et de l'effondrement du monde agricole, il s'agit bien d'un dysfonctionnement de notre société que Corinne Royer pointe du doigt. Et si on se posait des questions sur la surconsommation qui entraine la surproduction (ou le contraire ? on ne sait plus très bien) et puis l'atteinte à l'environnement avec ses ressources puisées jusqu'à plus soif et la pollution qui en découle. Oui, il y a de quoi se poser des tas de question avec ce roman poil à gratter.
Corinne Royer a su construire un portrait émouvant, et empathique d'un paysan à la dérive et son écriture limpide, évocatrice, nous emporte
Le roman se termine par une lettre émouvante de Jacques bonhomme adressée à ses frères de terre
« Je m'appelle Jacques bonhomme mais je ne suis pas l'insurgé qu'on présente dans les journaux. Je n'ai insulté ni blessé personne, je n'ai porté atteinte à aucun honneur, à aucune vie. Je ne suis coupable d'aucun autre crime que celui de vouloir vivre en paix, la sainte et foutue paix à laquelle chaque homme aspire et devrait pouvoir accéder sans obstacle. »



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Jacques Bonhomme vient d'avoir trente-six ans, il est l'unique garçon sur trois enfants dans cette famille où la vocation d'agriculteur se transmet comme la providence. Il a fait ce qu'il devait faire, la seule échappatoire possible, il a quitté la ferme et s'est enfui. Jacques Bonhomme est désormais un fugitif. de quoi s'est-il rendu coupable ? Pourquoi s'est-il mué en une bête traquée ? Tout a commencé avec les premiers contrôles administratifs.

Dans ce roman poignant tiré de faits réels, à travers la révolte de Jacques, Corinne Royer nous raconte la réalité du monde paysan au XXIe siècle. Les sécheresses, les récoltes détruites par les maladies, les orages. le peu de rémunérations, les longues heures de travail sans week-ends ni vacances. Les effets pervers des avancées technologiques qui apparaissent comme un gain de temps et de simplification, mais qui peu à peu dépossèdent les agriculteurs de leur savoir. Emprunter, toujours emprunter pour s'agrandir et rembourser les traites. Les dettes, ils en ont pris pour perpétuité pas seulement eux, mais après eux leurs enfants et après les enfants de leurs enfants. L'agriculture intensive, produire toujours davantage, la merde chimique qu'on déverse dans les champs, la surrèglementation, et ces satanées normes toujours plus compliquées, le monde agricole qu'on enterre vivant, sa conviction intime d'être un mauvais paysan.

Les neuf jours de cavale de Jacques alternent avec les voix de sa famille de ses amis, des histoires d'agriculteurs. Marie-Ange dont le fils Arnaud a été retrouvé au bout d'une corde et qui maintenant dans son fauteuil est une moitié d'homme. Baptiste, le plus vieil agriculteur en activité, on lui reprochait des vaches non identifiées et il avait résisté à l'administration. Paulo 22 ans, qui rêvait d'intégrer les petits Chanteurs à la Croix de Bois et qui s'est jeté dans la cuve à lisier. Pierre contrôleur, qui reconnaît qu'il n'a pas le temps de prendre en compte la dimension humaine.

Les dernières pages sont bouleversantes portées par une plume belle et limpide. Corinne Royer a su retranscrire avec réalisme la souffrance de ces hommes qui ne se reconnaissent plus dans ce métier qu'on leur impose, elle a su porter leurs paroles, leurs cris, leur détresse, elle ne juge pas elle se contente de raconter et c'est vraiment dur. Ce livre avec une couverture superbe, est sans aucun doute un des grands romans de cette rentrée littéraire.


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Ce livre est un roman. Inspiré de l'histoire tragique de Jérôme Laronze. Seuls les contrôles administratifs l'ayant poussé à bout, le nombre de jours de sa cavale ainsi que « les éléments tragiques du dernier chapitre » peuvent être considérés comme des emprunts à la vérité, nous prévient Corine Royer. Pour le reste, il ne s'agit que de construction romanesque. le personnage principal notamment, pressenti en exergue comme l'homme révolté de Camus, l'homme qui dit non sans être résigné, un homme qui ne renonce pas, animé aussi d'un mouvement de oui. Oui à un autre monde agricole, à une autre vision des exploitations, ancrées dans un bon sens respectueux du cheptel et de l'environnement, libérées de la productivité et son industrialisation.
Voici notre homme révolté sous le patronyme symbolique de Jacques Bonhomme, étendard de la Grande Jacquerie du 14eme siècle, parangon de la révolte paysanne. Il endosse la silhouette musculeuse d'un Colosse, un type à la carrure impressionnante, large et haute, avec, sur le cou puissant, un visage au regard pierreux, un type que l'on découvre d'entrée en cavale, perdu dans ses pensées, enfermé dehors et vite tenaillé par la faim, habité par la voix de la mystérieuse Constance au ton bienveillant et poétique : "Laisse aller tes pensées, Colosse, laisse-les courir librement, donne-leur du lest, […] c'est ça, tu t'élèves, t'es léger comme une plume, Colosse, tu t'élèves si haut que le monde disparaît."
C'est sa cavale de 9 jours qui dictera la structure du livre, 9 jours comme autant de chapitres pour remonter le fil de son histoire, sa vie familiale et amoureuse, les évènements récents liés aux contrôles administratifs, mais aussi pour découvrir un homme et sa culture (Giono, Malaparte, Dumas...), et un homme incarné dans la nature, parfois oppressante : "[...] il trébucha, se rattrapa à une racine, suspendit sa progression. Il doutait soudain de la réalité du cri. Peut-être n'était-il que l'écho de la fin d'un monde, l'apogée d'une lamentation au terme de laquelle tout redeviendrait silence." Corinne Royer élargit le point de vue avec une voix dans chaque chapitre, pour former un choeur de témoignages éloquents : les proches comme ses soeurs, son voisin Baptiste le paysan plein de bon sens ou son ami Arnaud à moitié vivant, ou plus éloigné comme un fonctionnaire qui exprimera des regrets :" Il aurait suffi de si peu. Il aurait suffi, le temps d'un partage que je n'ai pas su accorder, d'accepter la tasse de café offerte par un paysan."
Le contexte extérieur à la cavale est celui d'un monde agricole en plein effondrement, d'une noirceur effarante. L'un des personnages, André Odouard, y tient le funeste registre des âmes en peine, une liste tenue à jour au rythme métronomique du suicide quotidien d'un agriculteur en France, où il décrit les raisons du passage à l'acte, entre une administration aux normes absurdes, l'incitation à une agriculture intensive, l'endettement, la déshumanisation ou la perte du sens. Début 2021, les agriculteurs seraient deux par jour à mettre fin à leur vie, selon Corinne Royer.
Ce livre est un roman... À la silhouette documentaire, à la portée interrogative sur notre société. Mais Pleine terre est surtout un texte ciselé et poignant, qui s'élève au dessus des questions de vérité ou de fiction, comme un emblème du malaise paysan ancré dans un fait divers tragique.
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Jacques Bonhomme est en cavale.
Après 2 ans de harcèlement administratif, il a choisi de fuir, d'abandonner sa ferme, ses vaches, son chien afin d'échapper aux forces de « l'ordre » venant en renfort de la DDPP se présentant à nouveau aux Combettes pour lui prendre ses bêtes cette fois….
Corinne Royer donne voix à Jacques en égrenant les 9 jours de sa cavale. Ce jacques, ce vilain, ce paysan, nommé si justement comme le Jacques Bonhomme de la Grande Jacquerie de XIVème, ce bon homme que l'inspectrice s'obstine à appeler Bas-homme.
Cette voix est celle de la révolte, de la colère de ce colosse aux pieds bien plantés dans sa terre, qu'il connait, qu'il pratique, certain de ses choix de bon sens comme d'élever des Limousines si rustiques qui pourront rester aux prés toute l'année, fatigué de perdre un temps précieux en paperasserie rendue incontournable par la sacro-sainte exigence de traçabilité, dénonçant comme porte-parole de la Confédération paysanne le productivisme agricole soumis à l'industrie agro-alimentaire et à la grande distribution…
Entre chacune de ces journées, d'autres voix s'intercalent et remontent le fil du harcèlement dont a été victime Jacques : celle de la mère de son ami, Arnaud, celle d'une soeur, puis l'autre, celle du vieux paysan ami Baptiste, et même celle d'un autre inspecteur de la DDPP (Direction Départementale de la Protection des Populations)… Une petite anomalie relevée dans la déclaration des veaux nés sur la ferme, le refus de se soumettre à des exigences coûteuses pour se mettre en conformité et l'engrenage est en route, que rien ne semble pouvoir arrêter.
Ce récit n'est pas celui d'un paysan poussé au désespoir par la solitude, d'un paysan acculé par les dettes comme c'est malheureusement trop souvent le cas. Jacques Bonhomme a une vie sociale active, une famille, des amis. Certes, il regrette comme tout un chacun les années d'insouciance, les amis disparus, les amours enfuis mais ce colosse atypique, lettré, entre en révolte du fait de l'injustice qui lui ait faite, de l'humiliation qu'on lui inflige, de son orgueil blessé aussi…
Je reste effarée par cette histoire révoltante. Car tout est vrai. Jacques Bonhomme aurait pu s'appeler Jérôme Laronze.
Pour plus d'infos aller à
https://reporterre.net/Jerome-Laronze-paysan-mort-pour-avoir-dit-non-a-l-agriculture-industrielle
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Je commence bien ma première lecture sur les 10 livres sélectionnés pour le prix des bonnes feuilles organisé par la librairie maison de la presse des Herbiers. Réaliste, puissant, fort, bouleversant, poignant à la fois.
Ce livre est inspiré d'un fait divers, des éléments ont donc été repris (succession de contrôles administratifs, cavale, le drame final) mais il reste bien un roman de fiction.
Jacques Bonhomme est un agriculteur pris à la gorge qui va se retrouver pourchasser par les gendarmes comme un criminel car il est en cavale. Pourquoi ? Comment en est-il arrivé là ?
Ce roman donne quand même une bonne représentation de la vie de nos plus petits agriculteurs, des choses demandées. Je pense que l'on soit de la ville ou de la campagne, notre sensibilité, notre ressenti ne seront surement pas les mêmes à la lecture du livre. Quand on est dans le milieu rural on voit plus concrètement leur quotidien, l'évolution que leur métier a subi (normes, taches administratives,…), on peut avoir des connaissances aussi qui font ce métier. Pas facile pour les plus petites exploitations de suivre financièrement pour se mettre aux nouvelles normes, ils doivent aussi parfois faire face aux conséquences de la météo, l'histoire de leur rémunération….
Un récit bouleversant et révoltant. Un livre que je recommande.
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Je suis éblouie par l'écriture et certains passages engagés de Corinne Boyer sur un sujet peu traité de nos jours : la souffrance des agriculteurs, venant surtout des administrations qui débarquent dans leur ferme façon commando. Jacques Bonhomme est parti en cavale suite à un déchaînement déplorable qui a commencé par, je cite : « On m'a demandé de prouver la filiation de mes veaux par des tests génétiques que je ne pouvais pas financer. » Un roman coup de poing, inspiré de faits réels.
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