Le linceul du vieux monde, tiré des paroles du Chant des Canuts, d'Aristide Bruant (« Nous tisserons le linceul du vieux monde Car on entend déjà la tempête qui gronde ») place ce polar historique sous le signe de la révolte sociale et donne au lecteur l'impression de suivre un feuilleton quotidien dans Le Siècle, La Presse ou La Patrie, dans lequel des personnages hauts en couleur luttent dans le Paris de 1899.
Alors qu'un mystérieux piqueur de fesses agresse des femmes dans les tramways, et les tue, les As de la police, dont le fameux Rossignol (connu pour avoir été poignardé par l'anarchiste Duval, et à qui l'on doit des Mémoires sur ses années de service), ainsi que des scribouillards n'ont qu'un mot à la bouche, « les anarchistes ».
Coupables tout désignés, ils ont pourtant été laminés par la guillotine sèche. L'Affaire Dreyfus divise la France, La Ligue et Les Patriotes s'agitent à Fort Chabrol, ça chauffe à Paname.
Pendant ce temps, Oscar Wilde, ruiné, épuisé, n'est plus que l'ombre de lui-même. Exilé à Paris sans le sou, il mendie des verres en échange de quelques vers, et rêve de faire sauter la Tour Eiffel, avant l'Exposition Universelle. Et le voici plongé dans cette sombre affaire de piqueur aux côtés de Nino, un vieil anar qui tente d'organiser la résistance face au harcèlement policier.
Le linceul du Vieux Monde est une incursion dans le Paris populaire et les milieux libertaires où cohabitent des Hachischins, les Panthères des Batignolles, et même Bibi la Purée, le compagnon de Verlaine. C'est un polar qui fait l'éloge de la solidarité et qui fleure l'absinthe. Qui plus est, Sébastien Rutès, dont on ne dira jamais assez de bien du poétique et beau Monarques, et de La Vespasienne, manie la langue verte comme un Apache des Fortifs.
Commenter  J’apprécie         5613
L'inspecteur Rossignol, bien connu du grand public depuis la mésaventure qui lui valut, alors qu'il n'était que brigadier, un coup de couteau de l'anarchiste Duval, lequel avait répondu au réglementaire "au nom de la loi, je vous arrête" de l'inspecteur par un terrifiant mais mémorable, "au nom de la liberté, je te casse la tête", l'inspecteur Rossignol, donc, tenait jusqu'ici l'hypothèse du sadique solitaire pour la plus avérée.
C'est la punition des hommes sincères que de mourir dans l'incompréhension. Le châtiment des hypocrites, c'est de faire carrière en politique.
Oscar Wilde en grande forme :
- [...] Je suis marié, figurez-vous, et si la pierre de touche du mariage est le malentendu mutuel, je vous assure que le mien fut des plus conformes. Ce cher Abraham, un homme dont la plus grande qualité est de s’en trouver de nombreuses, a d’ailleurs toujours entretenu de meilleures relations avec ma femme qu’avec moi-même, ce qui est le premier dévouement que l’ont peut attendre d’un ami dans mon cas… Ils ont essayé de m’enrôler, mais j’ai trouvé trop inélégants leurs costumes rituels. Ces gens professent une doctrine qu’ils supposent héritée de je ne sais quel ordre teutonique, matinée d’un fatras de croyances cabalistiques, celtes, rosicruciennes, égyptiennes, hermétiques, maçonniques, et Dieu seul sait quels autres iques propres à griser de vieilles comtesses férues d’histoires de fantômes écossais, de fées à la Conan Doyle et de sexualité de groupe…
- Et quel rapport avec notre affaire?
- Aucun je crois, mais vous me demandiez……
Mais notre règne arrivera
Quand votre règne finira:
Nous tisserons le linceul du vieux monde,
Car on entend déjà la révolte qui gronde.
Aristide Bruant, Les Canuts
3 Questions à... Sébastien Rutés