Je croyais avoir tout lu- et le meilleur- sur
Louis XI avec Pierre Champion,
Paul Murray Kendall,
Pierre-Roger Gaussin,
Jean Favier,
Sophie Cassagnes-Brouquet et
Joël Blanchard, quand est venu entre mes mains le plus que remarquable
Louis XI, le joueur inquiet d'Amable Sablon du Corail.
Une fois le livre ouvert, je ne l'ai plus lâché, et, avec lui, j'ai fait ma "révolution copernicienne" en ce qui concerne le sixième roi de la dynastie des Valois. Là où tous les historiens, à la suite de la "redécouverte" de ce roi par
Paul Murray Kendall, voyaient un monarque en génial constructeur d'un État moderne et donc, à cause de cela, un précurseur de ce que cet État allait devenir au fil du temps,
Amable Sablon du Corail, sans nier cet aspect, nous dessine un portrait à la fois plus simple et plus complexe, entre ombre, étrangeté, audace et lumière. Et, analysant sobrement chaque point, il arrive à nous démontrer que l'on peut finalement savoir qui était vraiment
Louis XI, de la plus simple des manières, en nous le donnant à voir dans l'action, au travers des méthodes employées. Mais, mieux encore, il ne s'attache pas qu'au personnage, il livre un exposé rapide mais immédiatement compréhensible des situations, des institutions et une présentation des différents acteurs par ordre d'importance et d'entrée dans l'histoire.
Et là où la thématique de
Jean Favier devient confuse, à force de surcharges et de détails qui peuvent noyer le lecteur, la ligne adoptée par
Amable Sablon du Corail et son propos sont limpides et précis, et donc tout à fait éclairants, tout comme ses digressions qui permettent d'entrer dans le vif du sujet mieux que ne l'ont fait de doctes ouvrages (ce qu'il dit de la gouvernance du Dauphiné, sa manière d'expliquer les différends avec son père, sa rapide et amusante description du sacre de
Louis XI, ses remarques sur les "lieutenants généraux" qui représentaient le roi en telle ou telle région, l'épuration du personnel administratif et étatique à la mort de Charles VII en faisant fi d'un principe d'inamovibilité des grands officiers du royaume pourtant déjà bien affirmé, leur remplacement par des fidèles qui avaient tenu compagnie à Louis et qui avaient servi le futur monarque dans le Dauphiné et à Genappe pendant l'exil en terre bourguignonne, la manière de dire à quoi correspondait l'office de connétable-remplacé par un grand-maître de France sous
Louis XI- et la charge de chancelier, son refus de rompre avec la politique d'imposition permanente et avec le maintien d'une armée elle aussi permanente alors même que la menace anglaise semblait s'éloigner, la définition fine de ce que furent les "aides" fiscales et de ce qu'elles allaient devenir, l'art de se compliquer la vie avec Aragonais, Castillans et Catalans, la volonté du roi de doter chaque région d'une administration propre, l'envoi des plaignants vers des Parlements locaux, la constitution de la Ligue du Bien Public avec le duc de Bretagne, avec
Charles de France, avec d'anciens serviteurs de Charles VII évincés par
Louis XI, avec beaucoup d'autres grands seigneurs et avec Charles de Charolais, le futur Téméraire, la description bien conduite de la bataille de Montlhéry, et tant et tant d'autres éléments lumineusement enchâssés dans le magnifique récit d'Amable Sablon du Corail nous révèlent chez ce dernier un parfait connaisseur de
la fin du Moyen Âge en même temps qu'un excellent pédagogue, aidé par une érudition qui n'a rien de pédante, montrant au passage que l'art d'expliquer une discipline comme
L Histoire peut être un plaisir autant pour celui qui écrit que pour celui qui lit).
Au fond, un savoir qui se transmet ainsi, avec naturel, et sans l'alourdissement d'un formidable appareil de notes qui veulent éblouir le profane, nous apprend que les plus grands des spécialistes gagnent à se faire les amis de tous leurs lecteurs. D'autant que, derrière cette narration chronologique continue et l'analyse des comportements et des faits, se devine, chez
Amable Sablon du Corail, une rigueur irréprochable, doublée de qualités humaines où la simplicité le dispute à la science.
Le sous-titre donné à ce livre a surpris certains commentateurs, alors qu'au contraire il est totalement justifié et bien choisi : oui,
Louis XI fut bien un "joueur inquiet" : la bataille incertaine de Montlhéry et le fait de se jeter dans la gueule du loup à Péronne en sont deux preuves irréfutables, et elles ne sont pas les seules. À chaque fois, Louis aurait pu tout perdre, mais il ne savait quoi faire d'autre que s'exposer avec les peurs et inquiétudes qui étaient les siennes. le joueur ne gagna pas à tout coup, mais il savait relever les défis d'une façon qui n'appartenait qu'à lui et il fit plus qu'apporter sa pierre à l'édifice de renforcement du pouvoir souverain. Il en construisit lui-même toute une partie.
François Sarindar, auteur de
Charles V le Sage, Dauphin, duc et régent (1338-1358)