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sur 647 notes
Dans les années 80, un groupe terroriste »Action Directe »revendique plus de 80 attentats en France dont ceux du Général Audran et de Georges Besse alors PDG de Renault.
M.Sabolo qui n'a pas trop d'inspiration (croit-elle) pour un prochain roman se dit qu'il pourrait être intéressant d'écrire sur ces années sanglantes qui lui sont complètement étrangères.
Peu à peu en étudiant en particulier le cheminement du quatuor d'assassins, 2 femmes, 2 hommes et de leurs satellites, leur culture de la clandestinité, elle découvre des similitudes avec les parts d'ombre de son propre passé familial. Elle-même a appris assez tard sur un acte de naissance italien « née de père inconnu » Donc, son père, diplomate toujours absent ne serait pas son géniteur...De là, elle essaie d'y voir clair dans sa propre vie clandestine depuis sa naissance à Milan un peu avant que les « Brigades rouges » ne sèment la terreur.
C'est alors, qu'élevée dans le mensonge, dans une troisième partie superbe vient peut-être le moment du pardon .
Cette enquête à double fond n'est rien de moins qu'explosive. A mon humble avis, M.Sabolo a écrit là un grand livre .
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A l'image de son appartement qui prend l'eau,Monica Sabolo se sent perméable à tous les découragements. Bien qu'en panne d'inspiration elle sent l'urgence d'écrire. C'est en écoutant des émissions radiophoniques que l'idée d'écrire sur Action directe s'impose à elle comme une évidence. le sujet est accrocheur et tellement éloigné de son propre univers qu'il sera simple à traiter. En fait de simplicité,M.Sabolo rédige un texte complexe dans lequel j'ai tout d'abord eu du mal à entrer. Son positionnement m'a irritée,puis finalement a générer un intérêt croissant et un grand plaisir de lecture.
M. Sabolo va entreméler ses recherches sur ce mouvement politique et sa propre histoire avec difficulté, confusion. Sa mémoire lui joue des tours,rien n'est linéaire,plus elle approfondit ses recherches et moins elle s'y retrouve. Ce ne sont pas les méandres de ce double cheminement qui m'ont gênée dans un premier temps, mais le lien entre la vie de M.Sabolo et ce qu'on vécu les membres d'action directe,que je cherchais en vain ..comme je le nomme précédemment j'étais irritée car je ressentais chez l'auteure comme une sorte d'egocentrisme : comment faire un parallèle entre son histoire personnelle et la vie de ce mouvement politique !? Elle évoque souvent le sentiment d'imposture qu'elle ressentait de façon récurrente dans sa vie,de ne jamais se sentir à sa place ,et de fait, ici mon agacement relevait de cette même impression. Cependant ,même si le parallèle est resté parfois ténu,j'ai beaucoup aimé l'enchaînement de ses recherches et vu se dessiner subtilement les similitudes par la notion de clandestinité,par la distorsion de la réalité vécue et celle qui est présentée par l'extérieur mais parfois aussi par soi même lorsque les souvenirs de modifient et créent la confusion et l'angoisse.
Après une enquête minutieuse et un recueil impressionnant d'informations à travers la lecture d'articles de presse,de témoignages d'époque qui se contredisent souvent,qui embrouillent Monica tout autant qu'ils l'instruisent,elle sent qu'il lui est indispensable d'aller vers le vivant, de prendre une distance vis à vis des écrits. Elle va réussir à ouvrir des portes, à se faire accepter, à accéder à une toute autre réalité que celle diffusée officiellement. J'ai été sensible à la façon dont elle a su resituer le contexte historique,la déception d'après 68 " le refus de se résigner à la dissolution du commun,le refus du repli et du désespoir de ces années 80 qui se laissent glisser dans le néolibéralisme comme si c'était inéluctable".
Sans excuser les actes de violence envers les personnes,je dirais qu'elle a redonné visage humain aux monstres sanguinaires construits par la presse. Ce virage qui lui permet de passer de la vision de la barbarie à l'humain est certainement sa rencontre avec Hellyette Bess,militante anarchiste propriétaire de la librairie " le jargon libre" à Paris où se retrouvent les militants d'extrême gauche. Une femme hors du commun par le charisme de ses engagements mais aussi par ses qualités humaines,sa gentillesse,son amour de la nature,son empathie. de rencontres en rencontres Monica va accéder aux anecdotes,aux détails du quotidien que les membres d'action ont partagés. Elle accède à la vie, à l'émotion, à tout ce qui fait d'eux des êtres comme chacun de nous , même si leur foi en une idéologie politique les a amené à commettre des actes de la plus grande violence.
Lorsque nous nous éloignons d'action directe c'est pour retrouver l'histoire de l'auteure " une vie entière à tenter de dissimuler la vérité,sans savoir de qui vérité il était question". Parceque pour elle non plus l'histoire n'est pas exactement celle qui est racontée. Qui était véritablement son père ? Que faisait-il vraiment ? Pourquoi tous ces déménagements qui ressemblaient à des fuites? Pourquoi Monica ressentait t'elle cette peur et culpabilité permanente? Comment démêler le fantasme du réel ? Et sa mère,cette icône de beauté où était t'elle ,elle aussi ? " Nous cherchons un sens aux choses que nous avons faites et que l'on nous a faites,nous sommes entortillés dans le passé comme dans un drap mouillé."
Après tout ce cheminement, Monica Sabolo semble faire le deuil de la Vérité pour accepter des vérités. Envisager à travers les traces mnésiques de son existence comme de celle des membres d'action directe, que le bien et le mal,l'ombre et la lumière n'existent pas indifféremment les uns des autres. Se pose alors la question du pardon..." Comment demander pardon quand l'Etat, de son côté,refuse d'envisager ses responsabilités ? le pouvoir serait exempt de crime,de violence. Il ne s'interroge pas ?" et pour Monica il en est de même,peut t'elle pardonner quand l'autre ne reconnaît pas ses responsabilités et ne demande même pas de pardon?
En conclusion de mon billet je citerai les paroles de Panaït Istrati convoqué par l'auteure : "N'est combattant à mes yeux que celui qui subordonne ses intérêts individuels aux intérêts de l'humanité."
Un grand merci à Babelio et aux éditions Gallimard pour cette lecture très enrichissante et originale.
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Au début du roman, le lecteur est accueilli par une buse, achat compulsif de la narratrice, peut-on supposer. Mais celle-ci ne serait-elle pas source de malheurs ?
En effet les catastrophes matérielles se multiplient pour l'écrivaine qui craint de devoir s'installer dans une roulotte avec ses enfants ( des trombes d'eau ont envahi son appartement, «  la moquette est spongieuse comme un tapis d'herbes aquatiques ».

Les mots récurrents «  clandestine » et « secret » ponctuent le récit, impliquant un certain mystère.

La narratrice, « ignorant tout de sa vraie identité », veut percer l'énigme ,comprendre le sens de son acte de naissance qu'elle a débusqué fortuitement à 15 ans, et sur lequel elle a lu la mention: «  di padre ignoto ».
Secret que sa mère consent seulement à aborder quand l'auteure a 27 ans.

Deux pères, dont elle brosse les portraits, occupent donc ses pensées.
Le premier Alessandro F., s'est volatilisé au printemps 1971, abandonnant la mère de l'écrivaine de 20 ans, enceinte de 6 mois.

Le second : Yves S , diplomate, ce métier lui paraît mystérieux surtout quand il part pour l'Afrique pour des affaires occultes. Il était franc-maçon, lui confie-t-il, un jour.
Ce père,que quelqu'un lui décrit comme « un porteur de valises ».

Ses phrases assassines (insultes), ses gestes, les scènes de disputes, de violence (bagarre,coups) ; le départ de la fille au pair ( qu'il a dû violer) ; le défilé des huissiers… ; le tout est gravé à jamais et la taraude de façon obsessionnelle.

L‘écrivaine questionne sa mémoire, mène une double vie : diurne et nocturne, habitée par des fantômes.
Elle se demande au fil du récit si ses souvenirs sont fiables, surtout quand elle procède à des flashbacks : « Nos souvenirs sont des souvenirs de souvenirs ».

Elle revient sur ses origines italiennes, Milan où elle a vécu ses premières années, entre 1971 et 1974, avant que ses parents s'installent en Suisse. C'est là qu'elle «  débute sa vie clandestine », oublie l'italien au profit du français !
Mais de son enfance à Genève entre 1974 et 1977, elle en garde peu de souvenirs, aucun de ses parents, seuls des détails sur des photos lui confirment sa présence à leurs côtés. Avec sa thérapeute, elle décrypte tous les albums photos, tentant ainsi de reconstituer son passé, de combler le vide.
Elle a traversé un période chaotique à l'adolescence, ses flirts provoquent la colère du père, «  qui détient le pouvoir ». L'amour devient «  un lieu clandestin ».
Pour ses études supérieures, elle doit faire elle-même les démarches pour espérer bénéficier d'une bourse, le père étant parti à Lisbonne retrouver sa nouvelle femme.

Elle revisite les divers lieux où elle a vécu, ses relations avec ses parents, au train de vie fastueux ,(souvent absents et qui la laissaient devant la télé avec son frère).
Elle évoque le moment où tout déraille jusqu'à leur séparation.
Elle convoque les instants seule avec son père à contempler l'aquarium et se souvient s'être plainte à sa mère des visites matinales du père, sous-entendant sa main baladeuse. Cette mère qu'elle retrouve (en fin d'ouvrage) à Morges pour les 100 ans de la grand-mère et qui l'étreint, l'embrasse avec fougue et implore le pardon.
Alors qu'elle appréhendait cette confrontation.

Ses recherches lui font croiser des membres d'Action directe pour lesquels elle nourrit une étrange fascination. Peut-être parce qu'elle a décelé un dénominateur commun avec eux : «  le secret, le silence et l'écho de la violence ».
Toutefois, elle réalise qu'elle s'est fourvoyée dans « un sacré guêpier » à vouloir déchiffrer les arcanes de ce mouvement. Sa ville natale, Milan, est alors secouée par les attentats commis par les Brigades rouges. Mais la France connaît aussi une série de drames dont l'assassinat de Georges Besse.

Monica Sabolo fait revivre de façon explosive,les années noires du terrorisme d'Action directe, pages étayées par les nombreuses sources compulsées.
Ces années 80 auxquelles Serge Joncour a également sensibilisé son lecteur dans son roman Nature Humaine.

La romancière nous surprend par son opiniâtreté à cerner le profil des protagonistes, à se plonger dans une tonne de documents afin de mieux les comprendre.
Encore plus étonnante, la façon de s'infiltrer dans leur milieu au «  Jargon libre »( librairie anarchiste), et de se forger une nouvelle famille avec Claude, Hellyette ( «  appui logistique »), La Galère et bien d'autres. Encore plus audacieuse de parvenir à rencontrer Nathalie Ménigon et ceux qui l'hébergèrent pendant un an.
de quoi noircir son carnet de notes. Inattendu pour la narratrice investigatrice de loger dans la chambre qu'occupa Nathalie. Une quête époustouflante !

On suit l'enquêtrice dans tous ses trajets, en bus, en train,( « un lieu refuge, comme « une cabane entre deux tempêtes »).
Lors de ses visites à Hellyette, à Claude...jusqu'au voyage ultime vers son père mourant, celui dont elle a ignoré presque tout. Scène émouvante, elle a envie de lui pardonner malgré «  les choses horribles » qu'elle a subies.

Ce qui intrigue et frappe le lecteur, c'est l'omniprésence de l'eau dans ce roman,à commencer par « l'obscurité marécageuse «  de son appartement, rappelant l'univers aquatique de Summer. Elle a connu « un univers aqueux », vécu « un épisode lacustre » dans cette villa à Bellevue, sur les rives du lac Léman. Quand l'émotion la submerge, elle sent « une poche s'épancher en elle », « une digue céder et tout se déverser ». Par exemple, à sept ans, elle a connu un état second et «  la sensation d'être constituée d'eau tiède, qui se vidait à ses pieds ».
Monica Sabolo finit par voir dans l'aquarium de sa chambre , en Suisse, la représentation de «  sa famille en miniature : un milieu trouble , à l'abandon ».

Elle a le don d'adopter une efficace écriture cinématographique : ainsi le lecteur voit les séquences se dérouler sous ses yeux, comme cet au revoir de Claude regardant le train s'éloigner. Attitude qui rappelle un terme japonais «  l'o-miokuri qui « consiste à raccompagner la personne qui s'en va » jusqu'à ce qu'on ne la voie plus. (1)
Tout aussi émouvant l'adieu au père, dans un cimetière de Colombes, en compagnie de son frère qui « embrasse le bout de ses doigts et effleure le marbre ».
le lecteur est également happé par le contraste entre ce passé tumultueux et les moments de quiétude que Monica Sabolo partage avec Hellyette à observer, non pas les poissons, mais les oiseaux, « les yeux levés vers le ciel, en silence ».

Au fil du récit, l'écrivaine concède craindre la réaction de sa mère et de son frère à la sortie du roman. Elle a conscience d'avoir «  confectionné un engin sophistiqué, composé de papier, de nitroglycérine et d'une mèche à combustion lente, qui finira par tout faire sauter ». N'a-t-elle pas écrit sur leur histoire, ayant décidé de ne plus se taire ? Et si elle les avait trahis? Toutefois la narratrice ne considère pas agir en
«  traître», elle voit plutôt dans ce livre le message de la réconciliation.

Tant d'années « pour déchirer la paroi de papier qui la séparait d'Yves S » !

A noter que Monica Sabolo a dédié ce septième roman à ses enfants, à l'instar de son père qui lui avait dédié son livre sur l'art précolombien.

Ce récit, à la veine autobiographique, détone par son incroyable sincérité et secoue doublement avec ce parallèle époustouflant entre :
d'une part son passé personnel tumultueux et d'autre part celui des militants d'Action directe. Ce livre coup de poing aura-t-il permis de réparer la mystérieuse blessure ?

Mes remerciements à l'équipe de Babelio et aux éditions Gallimard pour m'avoir permis de lire un premier livre de la rentrée littéraire 2022 d'autant que Monica Sabolo est une auteure que l'on aime suivre.


(1) Nagori de Ryoko Sekiguchi
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Admiratrice des atmosphères envoutantes et poétiques de Monica Sabolo depuis Summer et Eden, dans lesquels des jeunes filles victimes de mauvais traitements s'évanouissent et évoluent dans des mondes souterrains, j'avais envie de voir de quelle manière elle allait aborder une thématique politique et historique.
En panne d'inspiration, à la recherche d'un livre "facile" à écrire, elle écoute une émission à la radio sur l'assassinat de Georges Besse, PDG de Renault, par le groupe Action Directe et décide de lui consacrer son nouveau roman. Elle ne se doute pas de ce que cela va déclencher chez elle.
Elle part à la recherche d'informations pour retracer leurs vies, leurs parcours, pour cerner leurs personnalités et motivations. Elle tourne autour de ces silhouettes, décédées pour certaines d'entre elles, qui ne se laissent pas attraper, rencontre ceux qui sont encore en vie et se remémore en boucle les scènes d'attentat.
Conjointement à l'enquête sur le groupe terroriste, elle commence une recherche autobiographique qui va l'emmener très loin.
Elle entrelace, tisse les deux récits qui vont se répondre, entrer en résonnance, et l'entraîner dans un fascinant jeu de miroirs, alors que rien au départ ne semblait les relier.
Rien ne les reliait objectivement, en dehors de ce qu'ils ont déclenché dans la tête de l'autrice.
Monica qui maîtrise l'art du récit et du suspense, semant de petits indices au fil de la narration, mène un travail d'investigatrice ; elle dissèque le passé obscur des membres de ce groupuscule d'extrême gauche, surtout celui des femmes, et part simultanément à la recherche de traces de son histoire et de ce père fantomatique et mystérieux qui l'a reconnu mais n'est pas le sien.
L'ambiance est floue, évanescente, des bribes de souvenirs surgissent, comme des bulles d'air à la surface d'un étang. le temps a effacé beaucoup de choses, la réalité scintille comme une boule à facettes, la quête de vérité ou de véracité s'avère bien difficile.
Les terroristes d'hier apparaissent bien humains, avec leurs failles et leurs fragilités, aux yeux de Monica qui s'interroge sur l'origine de la violence, et surtout sur le poids de la culpabilité et sur les ressorts du remords et du pardon.
Le noeud du roman est la dissociation, celle des auteurs d'actes violents qui les mettent à distance, et celle des victimes qui enfouissent leurs traumatismes pour les combattre, passant une grande partie de leur vie dans des mondes parallèles, imaginaires.
La vie clandestine est un livre sur la quête d'identité, sur le processus de reconstruction quand on a tout fait voler en éclats et qu'on a passé sa vie à prendre la fuite, à s'échapper, à ne pas être présent au monde, à vivre clandestinement en portant des masques qui dissimulent mais révèlent aussi les êtres.
Mêlant subtilement journalisme rigoureux et respectueux et démarche d'introspection, Monica Sabolo nous offre un magnifique roman où les jeux d'ombre, les apparitions, les simulations nous ravissent. Là où elle excelle, c'est dans le passage de l'ombre à la lumière, du monde réel à celui des songes, de l'imagination et du surnaturel.
Nous comprenons alors pourquoi ses histoires empreintes de réalisme magique sont peuplées de spectres de jeunes filles qui disparaissent dans les forêts ou les eaux des lacs.
Je remercie chaleureusement Babelio et les éditions Gallimard pour m'avoir permis de lire ce très beau livre.

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Plongée au coeur d'Action directe, plongée au coeur de l'enfance de l'autrice.
Action directe, je connaissais de nom, j'étais trop jeune à l'époque. Je les voyais comme les terroristes coco qu'ils sont.... mais en moins violent. Bref, ce livre m'a remis l'église au milieu du village en ce qui concerne cette sombre période de l'histoire française.
L'enquête est bien décrite et passionnante.
J'ai un peu moins apprécié le parallèle avec la vie de Monica Sabolo, bien moins intéressant.
Quoi qu'il en soit, c'est un très bon bouquin!
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« Toute mémoire est une eau trouble.
Que voulez-vous que l'on y voie.
Si lentement que l'on s'y noie… » (Aragon, Infinitif présent).
*
En quête d'inspiration, lorsqu'elle tient enfin le sujet de son dernier roman, Monica Sabolo ne sait pas encore que son propre passé va ressurgir.

« J'allais écrire sur un truc facile et spectaculaire, rien n'était plus éloigné de moi que cette histoire-là. Je le croyais vraiment. Je ne savais pas encore que les années Action directe étaient faites de ce qui me constitue : le secret, le silence et l'écho de la violence ».

De recherches documentées en souvenirs exhumés, Action directe – mouvement armé d'extrême gauche sévissant dans les années 80 en France, et la vie privée de l'autrice, sont racontés dans ce roman, avec en fond, la violence, le silence, et la question du pardon – un passé revisité.

« Je suis aspirée par une matrice qui me ramène vers le passé ».

Il y a une simultanéité dans le récit, Action directe et vie privée de l'autrice, j'ai trouvé intéressant le cheminement entrepris, ce qu'il a permis de détecter, de remémorer, malgré le flou et certaines zones grises.
Le titre est parfaitement choisi et reflète les faces cachées, la dualité des êtres, les identités mouvantes, évoluant en vie clandestine.

Complexité des vies, parts d'ombre et de lumière, mensonges, secrets de familles. Et surtout la violence, quelquefois sourde, la mémoire engloutie – étrange mémoire provoquant de multiples interprétations – révélant, lorsqu'elle perce à la surface, ce qu'il y a de plus enfoui.

« Nous nous racontons une histoire, puis nous réécrivons au fil du temps. Ce spectre fantasque s'appelle la mémoire. (…) le souvenir est un organisme vivant (…) ».
Quoi de plus faillible, infidèle, fantaisiste, que la mémoire…qui se meut, se fissure, se dissout parfois…se confond… Un glissement de souvenirs sans cesse réinterprétés.
Fiction, réalité, vraie vie nimbée de romanesque et de tragique.

Un roman constitué d'imbrications de réalités aux fins de révélation à soi.
Une composition originale et audacieuse.
J'ai ressenti la superposition des pensées de l'autrice sur, à la fois les recherches-enquêtes qu'elle mène sur les protagonistes d'Action directe et, sur sa propre histoire - son père en particulier.
Ça a pu me paraître confus, voire tortueux quant aux liens à établir, j'ai plutôt considéré deux voies distinctes se reflétant avec la violence et le secret en commun, la clandestinité.
« (…) une certitude demeure : la colère est là, je reconnais sa vibration ».
« tout glisse dans l'existence (…)

Assister à une rencontre en librairie avec Monica Sabolo, que j'ai trouvé sensible et touchante, m'a aussi paru d'un éclairage avisé. Elle dit n'éprouver bien sûr aucune fascination pour les membres d'AD notamment quant aux assassinats perpétrés, la narration pouvant dégager confusion, empathie, curiosité de comprendre.
Un roman comme des ondulations entre la surface et le dessous ; souvenirs, mémoire enfouie…
Ce que l'on sait, ce que l'on tait ; le caché et le visible, et tout ça formant des strates qui s'accumulent ou s'enchevêtrent.

Il me semble que c'est aussi un livre de l'échappée.
La littérature c'est une vie clandestine, confie l'autrice.
« Ce qui n'existe pas insiste, insiste pour exister ».
*
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Monica Sabolo est journaliste. Elle se consacre à l'écriture littéraire et scénaristique depuis 2014.
Alors qu'elle cherche un sujet pour son prochain livre, elle écoute les Affaires sensibles sur France Inter, cherchant un fait divers, souhaitant céder à la facilité.
Lorsqu'elle entend le récit des actions du groupe terroriste Action Directe, elle se dit qu'elle tient son sujet. Elle n'envisageait pas alors que l'enquête qu'elle conduirait pour écrire son livre l'emmènerait dans sa propre histoire, aux confins de ses traumatismes d'enfance ; que ce serait tout sauf facile.
L'autrice dégage de ses réflexions à propos des deux femmes de AD (sic), un questionnement personnel. Des ponts sont faits entre son histoire, celle de sa mère et la jeunesse de Nathalie Ménigon, celle de Joëlle Aubron.
Le début du récit est construit sur une alternance entre les deux sujets puis il mêle les deux, entraînant le lecteur dans le méandre des pensées et des émotions de l'autrice.
Le ton est celui de la sincérité, celui de la sidération.
J'ai été touchée par ce cheminement qui laisse supposer que nos choix ne sont pas faits par hasard, qu'ils répondent à un sentiment impérieux plus fort que notre conscience.
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Deux récits s'entrecroisent. D'abord celui de l'enquête menée par Monica Sabolo sur le groupe terroriste Action directe. Pour ce faire elle fouille dans les archives journalistiques et surtout elle rencontre les survivants du groupe, sortis de prison après avoir purgé leur peine.
Le deuxième récit, plus survolé, est celui de son enfance et de sa jeunesse, dominé par la figure de son père adoptif, coupable de transgression.
Autant l'enquête menée sur Action directe et les « années de plomb » est passionnante, surtout grâce à l'attachement et l'empathie qu'elle manifeste vis à vis des anciens terroristes (sans leur pardonner), autant le retour sur son propre passé et en particulier son regard sur un père incestueux (c'est à peine suggéré) aux activités occultes, me laisse sur ma faim.
Quant au rapprochement entre les récits, il me semble très artificiel. Peut-on considérer qu'il s'agit là de deux « vies clandestines », ce que le titre laisse penser ? Si c'est le cas, outre qu'elles ne sont pas de même nature, on ne peut pas les mettre sur le même plan. C'est la seule réserve que je fais sur un livre par ailleurs souvent passionnant.
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Un prologue autobiographique profond, autant que puisse l'être un questionnement philosophique sur le sens des choses, de soi.
Une perpétuelle délibération silencieuse dénuée de réponses , un gouffre métaphysique comme refuge, vie souterraine entre être et temps.
Puis il va falloir écrire.
Ecrire une histoire facile, loin de soi. S'éloigner de soi.
Chercher le sujet.
Écoute d'un épisode sur l'assassinat de Georges Besse, PDG de Renault par Action Directe.
Déclic.
Un bon sujet.

" La fièvre assassine, un processus funeste, la fin d'une époque sanglante [...]
C'était un bon sujet [...] Je le croyais vraiment. Je ne savais pas encore que les années Action Directe étaient faites de ce qui me constitue : le secret, le silence et l'écho de la violence. "

Action Directe, obscure association d'extrême gauche qui a sévi de 1979 à 1987.
Quatre-vingts attentats au compteur dont la fusillade de la façade du Conseil national du patronat français et divers symboles de l'Etat.
Certains actifs seront arrêtés en 1980, bénéficieront de l'amnistie présidentielle à l'élection de François Mitterrand.
Reprise des attentats.
1983 : 2 policiers abattus.
1985: René Audran, ingénieur dans l'armement et directeur des affaires internationales au ministère de la défense, est abattu.
1986 : Georges Besse, patron de Renault est abattu sur le trottoir devant chez lui.
21 février 1987, après des mois de traque, Jean-Marc Rouillan, Nathalie Ménigon, Joelle Aubron et Georges Cipriani sont arrêtés dans une ferme du Loiret.
Butin : armes, explosifs, listes des cibles potentielles, prison du peuple pour les capitalistes.
Fin d'Action Directe.

" J'ignore si ces jeunes gens sont romantiques ou dangereux, rêveurs ou fous à côté de la plaque ou au coeur du réel. Je ne sais d'où vient la violence, d'eux ou du système, je ne sais s'ils sont résistants, des aventuriers, des Pieds Nickelés ou des gangsters. Peut-être sont-ils tout cela à la fois, peut-être rien de tout cela. Mais ce qui m'apparaît, et m'est étrangement familier, c'est le glissement. "

Le Glissement a un départ, pour Monica Sabolo c'est le trou noir qui habite sa mémoire, celle d'une enfance représentée par l'absence des parents, des souvenirs aussi froids que l'acier.
Un silence pour un bouleversement à l'écho futur.
Ebranlement d'une conscience, sous le masque d'une adolescence parfaite et souriante se cache la solitude extrême, le grand vide interne, spectre invisible de tous qui se consume.
En était-il de même pour Nathalie Menigon, si jeune et au sourire peut-être trop parfait ?
Joelle Aubron, cachait-t-elle sa peur ou sa vulnérabilité derrière cet air d'intouchable, était-elle déjà, elle aussi, cette bombe à retardement dans une société plombée et crépusculaire ?
Cette société des années 80 où les espoirs de mai 68 sont enterrés , morose, fait face à un climat anxiogène et instable qui ne permet plus de rêver.
Combat pour la libération des peuples colonisés, peur de l'apocalypse nucléaire,
violence politique, terrorisme, capitalistes,
impérialistes , restructurations brutales,
révoltes des travailleurs...

" Les rêves d'insurrection ont fait place au fric et aux paillettes".

Repli ou explosion ?

"Action Directe, organisation qui se replie sur elle-même, s'immergeant toujours plus profondément dans la clandestinité, là où le monde n'est qu'un lointain écho, de même que le monde avance et ne les entend pas. Ses membres refusent de se soumettre, se dressent contre leur temps, mus par la beauté du rêve, de l'utopie, la soif, la justice [...] "

Beauté du rêve tailladée , Monica Sabolo apprend à 27 ans que son père ne l'est pas, secret qui semblait ne pas l'être vraiment ou mémoire aussi trouble que cet homme occulte qui finira par disparaître.
" Mes souvenirs sont un château de sable assailli par les vagues d'un océan froid dont la surface change de couleur avec la lumière et les saisons".
"C'est ainsi que commence ma vie clandestine ", enfermée dans un silence illicite qui rejoint la violence du ressentiment muet de l'inceste "paternel".
Un "Pardon".
Est ce possible que ça suffise ?
Une dizaine d'années plus tard Action directe sera dans la clandestinité également , les membres révoltés enfermés dans un meublé du XIVeme.
Le monde ne les entend pas non plus.
A qui devrait-on pardonner ?

"Qui suis-je ? "
Est-ce la question qui les relie ?
C'est cette sensation de vivre le réel dans l'action qui pousse Monica Sabolo à s'identifier aux femmes d'action Directe, vivre à la marge, sensation d existence, de "vraie vie", doublée de rage et d'un besoin de justice, de puissance et de jouissance...
La liberté.

"La justice est la liberté en action" [ Joseph Joubert]

Là où certains ont pris les armes par utopie d'une justice , d'autres prennent la plume pour disséquer l'humain, sa colère et sa violence.
Pour expulser la leur ?

"Qui rembourse les dettes que la vie a contractée envers nous ? Qui se charge de nous rendre ce qu'elle nous doit, ce que l'on a payé, et paye encore ? Avec le temps se dessine la perspective que personne ne s'en acquitte jamais. Nul ne parle de ces choses là. Ni ma mère ni mon frère ne l'ont jamais évoquée. Chacun essaye de l'apprivoiser dans son coin. Mais désormais j'ai l'impression de me rembourser sur leur dos. Alors qu'ils me croient plongée dans le récit d'un groupe terroriste des années 80, je confectionne un engin sophistiqué, composé de papier, de nitroglycerine et d'une mèche à combustion lente, qui finira par tout faire sauter. "

Mais le larmoiement n'est pas Monica Sabolo, le silence qui l'habite est un mur trop compact pour en faire sortir du sirupeux, on navigue entre le demi mot et la pudeur, le souvenir imprécis et les remous hésitants d'une faille sismique en éveil.
Ainsi est la vie clandestine, silencieuse et polie avant le grand attentat.

Je ne vais pas y aller par quatre chemins," La vie clandestine" est un travail d'orfèvre, un édifice à l'architecture admirable,
de l'or à l'état brut qui caillasse les injonctions sociétales, la casse sociale, la brutalité libéraliste, la perversité familiale et met en exergue la fabrique de la barbarie et du cynisme.
Un grandiose exercice de reconstitution
journalistique et d'introspection mêlés à la psychologie d'une génération utopique et désenchantée.
“L'injustice appelle l'injustice ; la violence engendre la violence. ”(Lacordaire)

Un pavé dans la mare qui au delà du cadre du roman ricoche souterrainement sur les actualités brûlantes voire incandescentes. La petite musique du clapotis de la colère et de la réparation des corps meurtris est toujours en marche et les vies clandestines qui surnagent ont aujourd'hui un écho...

Magistral.

"La vie nous rappelle que l'histoire n'est pas celle que nous nous racontons". [Monica Sabolo]
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J'avoue ne pas avoir d'appétence particulière pour l'autofiction mais, force est de constater que j'en lis pas mal ces derniers temps. Il faut dire aussi que la rentrée littéraire de septembre 2022 en publiait beaucoup (en tout cas plus que d'habitude, de mon point de vue).
Comme beaucoup je pense, j'avais vu ce roman – c'est en tout cas ce qui est marqué sur la couverture du livre – en bonne place dans beaucoup de librairie. Pourtant, je n'avais pas envie particulièrement de le lire, d'autant que j'avais déjà un ou deux romans de l'auteure dans ma PAL. Mais, téléspectatrice plutôt assidue de l'émission La grande librairie, j'y ai vu le passage de Monica Sabolo qui expliquait qu'elle cherchait à l'époque un sujet « facile » pour son prochain livre et qu'elle était tombée sur l'émission de France Inter « Affaires sensibles » qui relatait alors l'assassinat de Georges Besse par le groupuscule d'extrême gauche "Action directe". Ecoutant moi-même cette émission en podcast pour m'endormir (oui, je sais, c'est particulier), je me suis davantage intéressé à cette histoire qui s'avère être finalement plus qu'un récit ou compte-rendu sur le groupe terroriste. En effet, Monica Sabolo en profite pour parler d'elle, de sa propre « vie clandestine ».

J'ai réussi à ressentir chez l'auteure le conflit intérieur qui l'anime, ou animait, concernant Action directe. Elle semble vouloir leur rendre une certaine « justice », une certaine légitimité même, tout en insistant sur le fait que les crimes de sang dont des membres du groupe ont été reconnus coupables sont injustifiables. Et je comprend pour ma part tout à fait ce déchirement interne qu'elle a dû ressentir entre sa conscience, sa morale et ses valeurs, d'un côté, et l'amitié et la loyauté qui peuvent naître, de l'autre côté, quand on passe beaucoup de temps sur un sujet qui nous passionne et, surtout, quand on a tissé des liens avec certains membres. Mais, ce qui ressort quand même, et qui personnellement me gêne beaucoup, est la fascination qu'exerce lesdits membres, vivants ou disparus, sur Monica Sabolo, c'est en tout cas ce que j'ai ressenti à la lecture de ce livre. Cela me ferait quelque peu penser, si j'ose une comparaison douteuse, à ce français emprisonné à Guantanamo, depuis ressorti et se disant repenti d'al Qaïda, et qui ne pouvait s'empêcher d'être encore exalté lorsqu'il parlait de sa rencontre avec Ben Laden. Ou alors à ces femmes qui écrivent à Guy Georges et le demandent en mariage. Cette fascination morbide, mortifère, je ne la comprends pas.

Je ne comprends pas non plus le parallèle qu'elle fait entre Action directe et sa propre existence, ce qu'elle a vécu enfant, cela m'a fait un peu penser aux soeurs de Cendrillon qui tentent désespérément d'entrer leur pied dans la pantoufle de vair, l'une en se coupant les orteils, l'autre en rabotant son talon. Ce serait comme vouloir faire entrer un carré dans un rond, et c'est un peu ce que fait Monica Sabolo ici : elle veut tellement faire entrer son histoire dans une autre histoire qu'elle force, force, force... Et cela m'a ennuyée.

Reste quand même une écriture fluide, agréable, presque séduisante. Si seulement cela avait été un roman, un vrai...

En bref, un livre qui me laisse au final une impression amère, que je n'ai que très moyennement apprécié, mais porté par une très jolie plume.



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