Comme c'est déprimant de dîner tous les soirs à côté d'une chaise vide, la soeur de Benjamin,
Summer a disparu ? Difficile de partager ses silences, avec des parents qui ne se parlent plus. Difficile de poser des questions qui hantent la vie de Benjamin. Dans cette atmosphère irrespirable le principe de la fuite sera sans doute une piste à explorer.
Le ressort familial s'est cassé, par quel funeste sort, par quel engrenage la machine mondaine s'est grippée irrémédiablement ?
La grande astuce de
Monica Sabolo. est d'avoir réussi une intrigue d'une grande simplicité, opposer l'avant et l'après
Summer. Cet écart devient un vide absolu, mais une distance, pour le romancier est une aubaine. Dans cette nuit familiale qui s'ouvre à l'infini Benjamin ira à la recherche de tous les secrets, les faux comme les vrais qui serpentent entre ses parents, immatures à l'égard des besoins des enfants.
"Qui étions-nous ? Quelles forces souterraines habitaient nos coeurs ? Il est tellement difficile de savoir ce qui a eu lieu, ce qui n'était qu'un rêve".
"Une main délicatement posée, sur la nuque de
Summer, la même main de mon père qui saisit un bras de
Summer violemment. Se souvient Benjamin page 127."
Peu à peu c'est un thriller qui s'installe, car Benjamin ne trouvait pas les réponses dans sa propre famille, comme si chacun se dérobait. Les amies de
Summer ont pris elles aussi du recul installant une pénombre insidieuse sur les circonstances qui ont précédé sa disparition.
Il y avait cette maison et cette piscine des Savioz. Les amis de mes parents avaient disparu eux aussi. Il y avait eu quelque chose avec Franck, Il avait été convoqué par la police. Sans doute à cause de toutes ces choses qui se passaient dans cette piscine au fond du jardin de Savioz.
Et quand il cherche à parler avec Mr Traub, le psychiatre ami de la famille, le docteur est encore plus fuyant que ses propres parents, un fantoche qui n'a que l'épaisseur de ses vêtements.
Il y a dans le récit de cette enquête de benjamin quelque chose de
Modiano. Son regard, curieux de retenir quelques indices, et de les faire resurgir 20 ans après, en les associant à des gens qu'il a connus et avec lesquels il dînait parfois, leurs noms lui reviennent enfin.
Cette façon de marcher à grandes enjambées, suggère un clin d'oeil à
Modiano, ou d'écrire avec une précision de postier et une sensibilité terrienne chaude de vérité, sonnent comme une parenté bienveillante.
"Nous marchions côte à côte sur la terre mouillée qui adhère à nos pieds p 200."
Monica Sabalo a cette plume qui pointe juste avec élégance page 201; "j'aurais voulu dire quelque chose, mais je ne pouvais que rire, avec cette espèce de dédain, tandis que mes doigts tripotaient un briquet dans la poche de mon bermuda."
On glane aussi une grâce sauvage, dans sa perception de la nature, " j'avais été surpris par la douceur de l'eau bienveillante, comme se laisser porter dans ses bras, et se fondre dans le ciel."
Cette musicalité crée un univers singulier fait de douceur et de sensualité, qui s'insinue entre les décors, où l'eau est symbole de vie et de bonheur, et où l'amertume et la nostalgie surnagent de ce passé indéchiffrable.
Cette capacité de traduire les moments les plus noirs, par des images d'une grande clarté poétique ( ce bleu translucide, pareil à une mort hygiénique) construit un plaisir de lecture incroyable.