Mon père, ma montagne, mon jardin
Avec
Nous sommes les chardonsAntonin Sabot a remporté le Prix
Jean Anglade 2020. Ayant eu la chance de faire partie du jury, je vous entraîne dans les coulisses des délibérations avant de vous présenter ce beau roman initiatique.
Cette chronique sera un peu particulière, car j'ai eu la chance de faire partie du jury du Prix
Jean Anglade. Je peux par conséquent vous expliquer comment nous avons choisi le roman d'
Antonin Sabot comme lauréat 2020 et vous dévoiler les coulisses de la sélection. Une belle expérience qui a aussi été l'occasion de quelques belles rencontres même si – confinement oblige – elles ont été virtuelles.
Mais commençons par le commencement. Initié par le Cercle
Jean Anglade et les Presses de la Cité, ce Prix est décerné chaque année à un premier roman qui met en avant les valeurs que le romancier auvergnat a défendu tout au long de sa longue vie (
Jean Anglade est décédé le 22 Novembre 2017 à 102 ans). À l'issue d'un concours d'écriture, les Presses de la Cité ont procédé à la sélection des cinq meilleurs manuscrits et les ont soumis sous leur forme brute au jury d'une quinzaine de membres présidé cette année par
Agnès Ledig. Parmi les autres membres, on trouvait notamment Jean-Paul Pourade, Président fondateur du Cercle
Jean Anglade, Hélène Anglade, la fille de
Jean Anglade,
Véronique Pierron, Lauréate 2019 avec
Les miracles de l'Ourcq, des critiques littéraires et professionnels du livre ainsi que des blogueurs, dont votre serviteur. Sans oublier Clarisse Enaudeau, Directrice littéraire Presses de la Cité.
Notre mission consistait à lire les manuscrits et à les évaluer, chacun avec sa sensibilité, puis de les classer chacun avec leurs forces et leurs faiblesses. En mars dernier la pandémie a empêché le jury de se réunir sur les terres de
Jean Anglade, mais nous avons pu échanger nos points de vue par vidéoconférence et très vite constaté que deux titres se détachaient. Au terme de débats aussi intéressants qu'animés,
Antonin Sabot a été choisi, notamment pour sa plume «efficace et généreuse» pour reprendre les termes d'
Agnès Ledig.
C'est alors que Clarisse Enaudeau a pris le relais pour retravailler le manuscrit, le débarrasser de ses coquilles, choisir la couverture et préparer le lancement de l'ouvrage en librairie. C'est en fait maintenant que commence l'aventure de
Nous sommes les chardons!
Il est donc temps de vous présenter ce roman à la thématique à la fois universelle et très actuelle. Martin vit dans la montagne avec son père dans un quasi dénuement. Mais la nature environnante et leur «mur de livres» suffisent à satisfaire leurs modestes besoins. Sauf qu'un soir le père ne revient pas. La nouvelle vie de Martin est alors rythmée par ses jours sans le père.
«On dirait que le père s'est volatilisé, et je sais que je ne le rattraperai pas, il connaît la forêt comme sa poche et, s'il a décidé de rester seul, il peut se débrouiller pour ne pas être retrouvé.» À l'incrédibilité du premier jour succède le choc avec le réel. Il faut répondre aux questions des gendarmes, puis il faut s'installer dans la nouvelle réalité: «si je veux manger ce soir et les suivants et pouvoir affronter l'hiver seul, il va falloir travailler double et ne compter que sur moi. C'est ce soir que cette pensée me frappe avec le plus d'acuité, en me rendant vraiment compte que le père n'est plus là».
Avec beaucoup d'acuité, mais aussi un joli sens de la formule, le romancier va alors s'attacher à démontrer combien le lien entre le père et le fils est fort, juste dans les gestes du quotidien. Comme quand il coupe du bois: «En reproduisant les gestes de ceux d'avant, on les respecte, on montre qu'on n'a pas tout oublié. Et puis, ce qu'il y a de bien avec le bois que l'on fend, c'est que l'on se chauffe deux fois. On se réchauffe en le brûlant, mais aussi en le coupant.» La puissance du lien est alors telle qu'avec une touche de fantastique le fils continue de parler à son père, à
lui dire ses difficultés tout en essayant de conjurer sa solitude. Ses rencontres avec
Marie-Louise, qui a bien connu son père et qu'il croise lors de ses balades en montagne
lui mettent un peu de baume au coeur.
La surprise va venir avec les obsèques, lorsqu'il fait le connaissance d'une invitée-surprise, sa mère. Cette dernière va
lui proposer de l'accompagner à Paris, proposition qu'il va accepter, non sans appréhension.
La seconde partie de ce passionnant roman s'inspire de la véritable histoire d'
Olivier Pinalie, créateur du Jardin Solidaire, qui a relaté son expérience dans
Chronique d'un Jardin solidaire. On y voit Martin essayer d'amener un peu de nature et de solidarité dans la grande ville. Une démarche qui va finir par susciter l'intérêt de sa demi-soeur…
Après Nature humaine de Serge Joncour,
le grand vertige de
Pierre Ducrozet,
La Dislocation de
Louise Browaeys ou encore
2030 de
Philippe Djian, on retrouve ici le thème du lien de l'homme avec la nature, de plus en plus distendu et de plus en plus indispensable. Souhaitons donc plein succès à ce beau roman initiatique !
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